Raylambert avait une tête ronde et joviale, un regard vif et un sourire espiègle, à l’image de ses dessins, truffés d’humour généreux et d’humanisme.
Sa fille a fort justement dressé ainsi le portrait de son père :
Raylambert…, un artiste merveilleux…, un ami pour ses élèves…, un homme de cœur et d’esprit, sage et modeste, simple et sincère, délicat et désintéressé. La qualité et la profonde honnêteté de son talent, sa bonhomie compréhensive, l’humour et la tendresse de son œuvre, son œil malicieux en coulisse, sa philosophie, son charme, son fin sourire, tout séduisait en lui …
Ce sont des mots et des formules tout simplement recueillis au fil des lettres émouvantes que la mort de mon père en 1967, m’a valu de recevoir.
Ainsi le voyaient ses amis. Ainsi je l’ai connu… depuis ma plus tendre enfance.Jeannine Raylambert
Malgré une excellente conduite, Raylambert n’avait pas à l’école de bons résultats, sauf en écriture et en dessin.
Robert Doisneau a dit : « Le premier de la classe ignore le plaisir que prend le cancre à regarder par la fenêtre« . On pourrait dire que, dans le cas de Raymond Lambert, le premier de sa classe ignorait le plaisir que prenait cet artiste en herbe à crayonner tout ce qu’il voyait. Bon vivant de nature, il aimait croquer la vie, dans tous les sens du terme. De cette passion naquit tout naturellement sa vocation de dessinateur et d’illustrateur. Et c’est dans l’univers scolaire qu’il trouva le terrain idéal pour exercer son talent.
Les représentations d’enfants de Raylambert, si justes et sensibles, nous transportent dans une France qui, encore marquée par les souffrances et les privations de la seconde guerre mondiale, a l’air pourtant heureuse et affairée. Le pays travaille, à l’image de tous les corps de métiers à l’ouvrage dans les manuels illustrés par Raylambert. A l’école aussi, le maître veille, encore en cravatte et respecté. Mais le pays est à l’aube de profonds bouleversements.
Si l’exode rural s’intensifie après guerre, la France est encore très rurale, comme en témoignent ces photos de classes de 1951, où certains enfants portent encore sarraux et sabots dans les villages de Brecey, dans la Manche, et de Ouge, en Bourgogne.
L’école républicaine prône alors encore l’excellence et ne craint pas de la récompenser.
Et chacun peut rêver récolter des lauriers
et recevoir des livres rouges par dizaines…
On ne craint pas d’établir des classements et d’honorer publiquement les plus méritants lors de cérémonies de remise de prix.
Avec leurs merveilleuses histoires qui font oublier aux enfants les temps difficiles de l’entre-deux guerres, puis de l’occupation et de l’après-guerre, les auteurs de romans scolaires vont trouver en Raylambert l’artiste idéal pour les traduire en images.
C’est tout naturellement que Raylambert, traumatisé par ses années passées dans les tranchées de Verdun, a rejoint ces « résistants du rêve », d’abord en 1929 avec Ernest Pérochon, puis en 1941 avec Edouard Jauffret.
Trop âgé pour être mobilisable en 1939, Raylambert reste à sa tâche : distraire et faire rêver les enfants en dessinant. Pousuivant l’enseignement du dessin qu’il avait commencé à l’école ABC qui a dû fermer, il donne, chez lui, des cours de dessin 4 fois par semaine jusqu’à la libération.
Les auteurs de romans scolaires lui témoigneront leur gratitude en lui attribuant le succès de leurs ouvrages qu’il magnifie par la grâce de ses illustrations, véritables œuvres d’art, aujourd’hui rééditées. Picasso dira de lui qu’il est « l’un des plus grands illustrateurs de manuels scolaires de tous les temps » et la maison d’édition Belin lui attribua le titre de « Prince des illustrateurs« . Mais sa modestie aura raison d’une renommée demeurée assez « discrète ».
Cet homme simple et bon a pourtant su comme nul autre saisir la poésie de l’enfance et de l’école. Ses illustrations de romans et manuels scolaires vont marquer des générations de lecteurs.
Lui qui a connu l’enfer du Chemin des Dames de la 1ère guerre mondiale, où il a été blessé à deux reprises, est pacifiste et rêveur.
A l’image du titre du livre de Paul Margueritte qu’il illustre en 1951, il a une âme d’enfant. Fuyant le monde et ses mondanités, il trouve refuge et réconfort en compagnie de ces êtres innocents qu’il affectionne tout particulièrement de dessiner : les enfants et les chiens.
Il recrée autour d’eux un monde merveilleux mais toujours tendre, drôle, apaisant, et familier. Dans ses dessins, les enfants sont presque toujours sages et les chiens jamais méchants.
Âme d’enfant, Paul Margueritte, Gedalge, 1951
L’univers de Raylambert est celui, enchanté, du bonheur familial, de l’école républicaine, d’un monde rural ou commerçant besogneux mais heureux, une société rude mais où chacun trouve sa place. La vie foisonne et tout est prétexte à illustrer problèmes d’arithmétique ou bien règles de grammaire, avec, toujours, une touche d’humour.
Comme le soulignent Daniel Durandet et Yves Frémion dans leur ouvrage sur Raylambert, cet illustrateur génial demeurera « un dessinateur du bonheur et d’une France paisible et structurée » qui a aujourd’hui disparu :
Le monde de Raylambert dépeint dans ses illustrations a pratiquement disparu. Ce monde où la vie rurale domine encore et où l’immense majorité des enfants vit en contact avec la nature, auprès d’animaux tant domestiques que sauvages. Les travaux sont visibles : les paysans dans les champs, les commerçants sur les marchés ou les artisans dans leur échoppe. Il est simple pour les enfants de comprendre chaque métier et de s’y intéresser sans formation particulière. L’école est régie par des règles, le respect des «maîtres» est une évidence, l’ambiance y est apaisée, sauf quelques bagarres dans la cour, et encore … sans danger. Raylambert décrit la vie comme elle est, pas facile, mais unanimement acceptée. Aucune trace de révolte nulle part dans ses dessins. L’«éducation populaire» est d’abord positive, optimiste, universelle et ne suscite pas le doute. C’est pourquoi on peut parler d’une « école enchantée » chez Raylambert, une école dont rêveraient certainement beaucoup d’enseignants et de parents.
L’école enchantée de Raylambert, Durandet et Yves Frémion, Belin, 2016
La douce France de notre enfance
C’est dans deux livres de français pour les plus jeunes, parus chez Delagrave en 1940, et qui figurent parmi ses œuvres les plus charmantes, que se manifeste le mieux ce monde daté et disparu, qu’évoquent Daniel Durandet et Yves Frémion. L’éditeur donne au dessinateur carte blanche pour illustrer au total 125 leçons par des dessins de grand format qui jouent un rôle central dans l’apprentissage, formant le point d’appui d’exercices de vocabulaire.
On ajoutera à ces deux ouvrages de français, un ouvrage de calcul, Mon premier livre de calcul, qui était paru chez Delagrave en 1937 et qui inaugurait le modèle d’une illustration unique par leçon, confiée à Raylambert, et occupant la moitié de la page.
Les thèmes y sont plus divers, avec notamment plusieurs dessins inspirés par des contes (Le chat botté, Cndrillon, Le Petit Poucet, Peau d’âne, Les Noces de la Belle au Bois Dormant ou Robinson).
Mais l’on trouve aussi, déjà, des dessins sur le thème des visite de commerces (Chez l’épicier, Les sucettes et Les livres d’étrennes) ou de jeux d’enfants (On joue à la marchande), emblématiques de l’univers de Raylambert.
A la suite de Mon premier livre de calcul, Delagrave charge Raylambert d’illustrer en 1940 un livre de français destiné, de même, aux tout petits : Mon premier livre de français.
Les auteurs écrivent dans leur préface : « Les divers exercices oraux et écrits se rattachent à des illustrations dans lesquelles le dessinateur, M.Raylambert, a prodigué les trouvailles de sa verve et les richesses de son talent ».
La couverture, représentant les enfants et leur maîtresse regroupés autour d’un exemplaire sur-dimensionné de ce livre, constitue une idée de génie. Soixante-deux magnifiques images en couleurs, occupant plus de la moitié de chaque page, font de ce livre, chef d’oeuvre de Raylambert, un enchantement poétique.
Les titres des leçons parlent d’eux-mêmes : cela commence bien entendu par Les joies de la rentrée, suivies du retour à la maison, puis, entre autres, des vendanges, des feuilles mortes, de la chasse, de La veillée. Le monde rural est traité par Le repas de la basse-cour, Le réveil de la ferme, Le bon lait neigeux, Le labourage ou Les moissons. Les taches quotidiennes, Le ménage ou La cuisine, alternent avec les moments de fête qui rythment l’année : L’arbre de Noël, Repas de fête, Matin de jour de l’an. Et les enfants, récompensés par Les confitures, sont invités à l’effort, malgré leur jeûne âge : Rendons-nous utiles, Aidons Maman !
Toujours en 1940, les éditions Delagrave poursuivent leur collaboration avec Raylambert en publiant une nouvelle oeuvre majeure du maître de l’illustration : Méthode et exercices de langue française.
La couverture, représentant à nouveau une mise en abyme avec une fillette jouant à la maîtresse, tenant dans ses mains ce livre et donnant la leçon à son ours et à sa poupée.
Comme pour le précédent ouvrage de 1940, soixante-trois images de grand format servent de point de départ aux leçons de vocabulaire. Rationnement oblige, une seule couleur est utilisée, avec en alternance du rouge, du bleu et du vert. Toujours aussi inspiré, « M.Raylambert, écrivent les auteurs, a mis beaucoup de mouvement, de fantaisie et de talent » dans ses dessins.
L’école, la nature, les saisons sont à nouveau à l’honneur.
Le monde rural est aussi toujours présent. On boit à la ferme « le bon lait neigeux » de la fermière et on encourage le travail pénible des paysans, comme le souligne le titre de la 16ème leçon : Au travail, braves laboureurs !
Les distractions sont encore majoritairement celles de la campagne et de la nature.
Les punitions sont rares à l’école enchantée du bon Raylambert. Mais quand il faut vraiment sévir, c’est toute l’école qui se retrouve en bonnet d’âne …, pour la bonne cause d’une leçon d’arithmétique. Alors, pour éviter la mésaventure des « Paresseux punis », comptez-bien :
« Vous voyez 9 bancs de 10 enfants et 1 banc de 9. Cela fait 99 ânes. Avec celui qui arrive, il y aura 10 bancs de 10, ou 10 dizaines d’ânes. Dix dizaines, c’est une centaine ou cent : 100. »
… et quand la cloche sonne la sortie de l’école, on retourne à la maison prendre son quatre heures avant de faire ses devoirs.
Mais quelques-uns restent jouer aux quilles ou au ballon sur la place du village.
A la maison, comme les enfants sont sages dans les livres d’image de Raylambert, ils contribuent aux tâches ménagères.
« C’est jeudi ; les enfants aident leur maman à faire le ménage. (…) Meubles et parquets seront brillants et propres« .
La vaisselle aussi leur incombe pour aider leur maman.
Et au jardin, ils se rendent utiles en ramassant les feuilles mortes.
Les joies du foyer domestique sont un autre thème abondamment traité dans ces leçons, où la vie est simple et frugale mais où l’on est heureux.
C’est l’heure du petit déjeuner et l’arôme du café, fraîchement moulu, emplit la cuisine où toute la famille est réunie. On mange des tartines beurrées et un beau croissant roux trempé dans son café au lait.
« Il est midi. Toute la maisonnée a faim… » Maman prépare une belle omelette dorée. « Quelle odeur apétissante !«
Et pour le goûter, c’était promis, Maman fait des confitures sur le vieux fourneau en fonte de la cuisine, autour duquel se pressent impatients les petits gourmands, une tranche de pain à la main.
Après dîner, la famille se réunit dans la salle à manger pour la veillée. « Le poêle ronfle. Maman tricote en écoutant la musique donnée par la T.S.F. Line se balance sur les genoux de papa qui la retient par les bras. Paul à quatre pattes, sous la table, fait jouer Minet avec une bobine. Tous sont heureux. On est si bien au chaud, en famille, quand dehors il fait sombre et froid !«
Mais toutes les maisons ne sont pas aussi modernes ! Beaucoup se réunissent le soir venu autout du feu de cheminée, qui fait la joie des enfants.
Et l’on dort dans un bon lit chaud à barreaux sur roulettes, à côté de sa poupée elle aussi mise au lit. Et maman veille au bon sommeil de tous, comme la lune à la fenêtre.
Dans l’univers enchanté de Raylambert, on se rend, toujours avec bonheur, au marché ou chez un commerçant : à la boulangerie, chez l’épicière, chez la marchande de sucettes, ou chez le marchand de livres.
Au marché de la ville, une petite fille contemple avec envie des oranges et de belles pommes que la fruitière a étalées, à côté de pommes de terre « très saines », de choux fleurs « bien blancs », de haricots secs et de bananes.
Le marché du village est bien plus animé : les animaux y sont vivants, et il faut rattraper la poule qui s’enfuit. « Mon mari et moi, nous soignons bien nos poules, nous apportons les plus belles au marché« , dit la fermière à l’acheteuse.
« Quelle bonne odeur !« , quand on achète le pain chaud à la boulangerie. La boulangère est en blouse blanche. « Il ne faut pas gaspiller le pain« , nous recommande-t-on dans les exercices de la leçon.
« Suzette est venue chez l’épicier avec sa maman. L’épicière sert le lait avec un litre en fer blanc à la poignée recourbée. L’épicier mesure des marrons avec un litre en bois ».
On utilise les mêmes mesures en bois et en métal que celles du compendium métrique de l’école, dont se sert le maître pour nous enseigner les poids et mesures.
Avec son petit frère qu’il tient par une simple corde, Paul va tout seul acheter des livres chez le marchand avec les sous reçus en étrennes.
Et la visite à la marchande de sucettes est l’occasion de s’exercer à compter en additionnant les dizaines et les unités.
Au village, les distractions sont simples et réunissent toute la population.
« C’est la fête ! Les drapeaux, les guirlandes, la musique entrainante des manèges mettent le village en gaîté« .
Et les tout petits chevauchent fièrement cochons, cygnes, dromadaires et corbeaux sur les manèges.
Dans l’univers enchanté des illustrations scolaires de Raylambert, prédomine encore la vie rurale.
La vie est saine et les enfants peuvent boire à la ferme « le bon lait neigeux » que vient de traire la fermière.
Les enfants participent aux vendanges. « Jeannette mange une grappe mûre aux grains gonflés, dorés et sucrés. Toute la troupe vendange gaîment en chantant« .
Cette fillette et son grand-père, sur une photo datant de l’immédiat après-guerre, semblent tout droit sortis du dessin de Raylambert…
Le travail des paysans est glorifié : « Au travail, braves laboureurs !« , s’intitule une leçon du manuel de français de 1947. Les charrues sont encore conduites par des boeufs et des cheveaux. Le travail est pénible mais le père François peut être fier de son travail : « Ses sillons sont droits, profonds. Il les contemple longuement. Il est heureux« .
La part de la population française vivant à la campagne cesse d’être majoritaire en 1930. L’exode rural s’accélère avant la 2ème guerre mondiale et se poursuit après. Les paysans ne sont pas concernés par la semaine de 40 heures et les congés payés, obtenus par les ouvriers en 1936. Le travail est dur dans les champs quand on moissonne encore à la faux. L’exercice de lecture qui accompagne la leçon « Les épis blonds » illustre la fin imminente d’un certain monde paysan voué à disparaître face à la mécanisation :
Le papa de Marie s’est arrêté de faucher. Il fait si chaud et le travail est si pénible ! Il a enlevé son chapeau. Ses cheveux brillent sur la nuque : ils sont mouillés de sueur. Du revers de sa main gauche, il s’essuie le front. Sa faux est à ses pieds, la pointe en l’air. Devant lui, sa petite Marie cueille des coquelicots et des bluets. Il la regarde. Il songe. Il entend le cliquetis de la moissonneuse là-bas. Peut-être, un jour, aura-t-il beaucoup de champs et une aussi belle machine.
La ville n’est pas encore très polluée mais déjà « animée et bruyante ». Beaucoup s’y rendent avec curiosité et appréhension, comme on s’aventure dans un territoire étranger, avant de retourner dans son village, moins moderne mais plus humain.
Une illustration de Raylambert se reconnaît aisément par deux éléments : sa manière si charmante et vivante de dessiner les enfants, d’une part, et la présence très fréquente d’un chien espiègle observant ou participant à la scène.
Ajoutons à cela une exceptionnelle inventivité et beaucoup d’humour, notamment dans les manuels d’arithmétique que les illustrations de Raylambert sont chargées d’égayer. C’est ce mélange si particulier qui rendait ses illustrations identifiables entre toutes et tellement appréciées par les éditeurs.
Des enfants et des chiens
Les chiens sont omniprésents dans les illustrations scolaires de Raylambert. Il les aimait par dessus tout et en a toujours possédés.
Image de couverture de Tiot Loulou, Gédalge, 1956
Blessé en 1914, c’est en convalescence qu’il recueillit un border collie blanc et noir qu’il appela Domino et en compagnie duquel il repartit au front comme brancardier.
Il eut plus tard un briard noir nommé Ouragan, dont les facéties inspireront son maître.
Affectueusement liés, chiens et enfants sont complices de jeux privilégiés
Vive la lecture ! Albin Michel, 1935
Petit Gilbert, Belin, 1942
Les chiens contribuent à nous rendre encore plus familières et plaisantes les scènes domestiques où ils interagissent avec leurs maîtres.
Ils éveillent chez le lecteur des sentiments de tendresse pour ce témoin et complice affectueux de notre vie quotidienne qu’il partage avec espièglerie.
Les chats peuvent aussi jouer ce rôle, notamment dans la cuisine, où les uns comme les autres sont toujours présents pour réclamer leur part.
Véritable fil rouge et signature de l’artiste tout au long de son oeuvre, les chiens sont les témoins et souvent les acteurs des scènes imaginées par le dessinateur. Dans certaines illustrations, leur présence est incidente et ils se contentent d’observer avec étonnement les humains.
Mais les chiens sont aussi fréquemment acteurs joueurs, malicieux et opportunistes, chipant de la nourriture ou jouant à renverser des quilles et des cubes.
Le comique de situation des illustrations de Raylambert n’a pas besoin de textes. Les dessins se suffisent à eux-mêmes.
Curieux de tout, les chiens sont toujours disponibles, sous le crayon imaginatif et plein d’humour de Raylambert, pour nous faire sourir avec tendresse quand ils interagissent avec des objets, que ce soit avec un phonographe ou bien un jeu de cubes.
Les chiens de Raylambert sont aussi très intelligents : en effet, certains savent lire…
… et pourraient même jouer au scrabble !
Ils accompagnent d’ailleurs fréquemment les enfants à l’école et voudraient bien qu’on les laisse entrer, eux aussi.
Dans les livres illustrés par Raylambert, certains chiens parviennent parfois à s’introduire dans l’enceinte de l’école, et même dans la classe.
C’est le cas dans Le roman de l’école, livre de lecture de cours élémentaire et moyen publié chez Hachette en 1933.
Un enfant prénommé Bournioux avait permis à Bob, son fidèle chien qui s’ennuyait, de l’accompagner jusqu’à l’école.
Devant la porte de l’école, Bournioux dit à son chien de rentrer à la maison car, comme l’explique le texte à lire :
« Il n’y a pas de classe pour les chiens, même pour les chiens qui, comme Bob, sont très intelligents, parce qu’il est bien difficile de lire avec une voix qui aboie, et de tenir un porte-plume avec une patte. »
Bob parvint à pénétrer à l’intérieur de l’école. Tous les écoliers se lancèrent dans la cour à sa poursuite et il finit par être chassé de l’école.
Mais il arrive aussi, plus rarement, qu’un chien réussisse à pénétrer jusque dans la salle de classe.
C’est ce qui survient dans le roman scolaire Au pays bleu, où le chien d’Edouard, prénommé Sauvé, se fait admettre à titre exceptionnel dans la classe et reçoit à la fin du cours les compliments de la maîtresse pour être resté silencieux.
Enfin quand les chiens se disputent, c’est seulement pour amuser les enfants
Découpages parus en octobre 1952 dans le N° 30 d’Humour Magazine.
L’arithmétique joyeuse de Raylambert
De nombreux manuels d’arithmétique des années 40 et 50 regorgent de merveilleuses illustrations de Raylambert, où des enfants jouent à mette en scène des problèmes de calcul, en présence, souvent, de chiens malicieux voulant participer eux aussi.
Pour intéresser les enfants, l’arithmétique doit être introduite par une image « afin de créer pour le travail de l’enfant une atmosphère aimable« , comme l’écrivent les auteurs de L’Arithmétique et la vie, paru en 1949 chez Gedalge.
Le génie créatif de Raylambert s’emploie dans ce but à traiter l’arithmétique comme un jeu. Ce sont les enfants eux-mêmes qui présentent le programme mensuel de l’année en jouant au calcul, comme s’ils jouaient à la dinette, mais avec un sérieux et une application décalés et frappants.
Chacun trouve sa place pour participer aux mises en scènes ou aux jeux de rôle imaginés pour s’exercer.
Pages d’introduction des programmes mensuels du manuel L’arithmétique au cours moyen, paru en 1951 aux éditions Belin.
On mesure la taille de la petite seur, on joue à la caissière qui doit rendre la monnaie ou au vétérinaire estimant la durée d’opérations nécessaires pour réparer ours en peluche démembrés et pates cassées de girafes à roulettes.
La concentration et l’application des enfants sont remarquables. On joue très sérieusement en calculant, en pesant, en mesurant.
C’est Raylambert qui s’amuse en réalité, en imaginant ces tableaux décalés, où, selon ses convictions, l’enfant est invité à travailler dans une atmosphère propice et gaie.
Sa motivation est encouragée en lui faisant pratiquer les notions enseignées dans ses jeux d’enfant.
Autour des grands, les plus petits participent aussi, comme les chiens et chats, les poupées, et les ours en peluches.
La page du mois de révisions générales est illustrée d’un savoureux dessin : le passage en revue par les plus grands, sur une voie triomphale délimitée par des mètres pliants, des plus petits formant une troupes d’écoliers au garde à vous, avec à leurs pieds les trophées de la matière vaincue : poids et mesures de toutes tailles.
Pages d’introduction des programmes mensuels du manuel Le calcul au cours élémentaire, paru en 1951 aux éditions Delagrave.
La charmante couverture du manuel réunit trois enfants studieux en train de réviser leurs cours. Seuls fantaisie du dessinateur : un dé surdimensionné sert de siège à un petit garçon.
Mais à l’intérieur du livre, le chien farceur de Raylambert est cette fois présent sur chaque scène du programme mensuel, qu’il égaie de ses pitreries, jonglant avec une quille, se cachant derrière une borne kilométrique, soulevant des poids, et profitant de chaque occasion pour boire ou manger.
La révision générale des notions de l’année est source d’un sommeil agité où formes géométriques, monnaie, poids, mesures, balances, mètres et bornes kilométriques se mélangent dans un tourbillon cauchemardesque auquel le chien s’efforce d’échapper en détalant.
La page du mois de révisions générales est illustrée d’un savoureux dessin : le passage en revue par les plus grands, sur une voie triomphale délimitée par des mètres pliants, des plus petits formant une troupes d’écoliers au garde à vous, avec à leurs pieds les trophées de la matière vaincue : poids et mesures de toutes tailles.
Pages d’introduction des programmes mensuels du manuel Le calcul au cours supérieur et classe de 7e, paru en 1952 chez Delagarave
On joue cette fois à de gigantestques mécanos. On calcule des distances à parcourir dans sa voiture à pédales, des durées de trajets de son train électrique ou de traversée du bassin par sa maquette de bâteau.
Et la révision générale annonce les grandes vacances : « On liquide et on s’en va ».
Dessins d’introduction aux leçons du manuel L’arithmétique et la vie, paru en 1949 à la Librairie Gedalge.
Les deux derniers dessins de la série ci-dessus sont un exemple typique de l’humour de Raylambert qui représente, à gauche, une petite fille tentant d’apprendre à compter à des poules, et à droite, en marge de la scène principale, une poule contemplant avec curiosité une cocotte en papier.
L’illustration de romans scolaires
Raylambert avait commencé à travailler pour l’éducation en illustrant à partir de la fin des années 20 et jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale, une série de romans scolaires d’Ernest Perochon : Le livre des Quatre Saisons en 1929, Contes des 101 matins en 1930, Les Yeux Clairs en 1934, A L’ombre des Ailes en 1936, Taptap et Bilili et Nicolas et Nicolette au Bois Charmant en 1938.
Parallèlement à ses nombreux dessins pour des manuels scolaires, il entame en 1941 , à la demande de la maison d’éditions Belin, l’illustration de romans scolaires d’Edouard Jauffret, réédités en 2008.
L’illustration de romans scolaires offre à Raylambert une plus grande liberté graphique que les manuels de calcul ou de grammaire. Son art de la composition et sa maîtrise des couleurs font parfois penser, dans certaines de ses réalisations, au style des artistes classiques de l’estampe japonaise. Plusieurs des dessins qu’il imagine pour les romans d’Edouard Jauffret comptent parmi ses plus belles oeuvres.
Avec les romans d’Edouard Jauffret, Raylambert trouve un terrain propice à l’expression de toute la palette de son talent. La poésie de ses dessins est en étroite symbiose avec les histoires si sensibles et émouvantes du romancier pour enfants.
Instituteur passionné, Edouard Jauffret fut aussi inspecteur de l’enseignement primaire. Ecrivain de l’enfance, il est doté, écrit de lui son préfacier d’Au pays bleu d’un « sens profond et affectueux de l’enfance ». Avec Raylambert, qui illustrera tous ses ouvrages, sans jamais le rencontrer, Jauffret a trouvé son semblable, aussi fin et tendre observateur de la jeunesse.
C’est dans ses deux premières collaborations avec Edouard Jauffret que Raylambert déploie avec le plus de liberté son génie. Les illustrations de Au pays bleu, roman d’une vie d’enfant, paru en 1941, y enveloppent littéralement les textes. Il a choisi de se limiter à l’emploi de trois couleurs : lestextes et les traits sont en brun, complétés par le bleu et le orange.
Jauffret décrit dans des pages émouvantes ce « goût de l’école » qui ne le quitta jamais, grâce à sa première institutrice.
Au pays bleu eut une carrière exceptionnelle puisqu’il fut utilisé jusque dans les années 80 et réédité en 2008 par les éditions Belin avec deux autres livres de son auteur : Petit Gilbert et Les belles images. Nul doute que la beauté des et le charme des illustrations de Raylambert ont leur part dans ce succès.
Raylambert va encore plus loin graphiquement l’année suivante avec ses illustrations de Petit Gilbert, paru en 1942, où ses dessins s’étendent sur deux pages et se superposent cette fois au texte.
Et l’école, toujours, inspire à Raylambert de touchants dessins de rangées d’écoliers attendant de rentrer en classe.
Paru en 1945, le roman scolaire d’Edouard Jauffret La maison des flots jolis est l’occasion d’évoquer l’illustration de ces sentiments d’amitié d’enfants qui sont liés à nos souvenirs d’écoliers.
Au pays bleu contenait déjà une telle amitié « pour la vie », née sur les bancs d’école, qui donne aux enfants l’occasion d’expérimenter et d’exprimer de nobles sentiments de fraternité.
Edouard, le héros, scellle son amitié avec son camarade Albert dans une scène émouvante où ce dernier lui dit qu’il a perdu sa mère un an auparavant.
Dans le roman La maison des flots jolis, le héros André possède pareillement un ami très proche, prénommé Marcel. Et l’affection entre eux fournit de beaux exemples de soutien et de camaraderie.
Ainsi, quand André, soucieux de l’éloignement de son père qui s’apprète à partir le lendemain pour plusieurs mois en Turquie, se fait punir par le maître pour ne pas suivre la lecture…
Son ami Marcel lui vient en aide en expliquant les soucis de son ami André au professeur qui annule finalement la retenue.
Qaund il apprend plus tard devoir partir rejoindre son père, alors en mission en Turquie, le petit André suscite la curiosité de ses camarades d’école qui l’entourent et le questionnent dans la cour de l’école.
Mais la joie de l’aventurier est assombrie par la tristesse de quitter son ami Marcel et il lui laisse alors, en témoignage de sa fidélité, son plus beau livre.
La maison des flots jolis contient plusieurs dessins en pleine page de Raylambert, dont le style évoque parfois celui des plus grands artistes japonais. Le manuel Aimons à lire paru en 1939 contenait lui aussi des illustrations suscitant la même observation.
On pense parfois à Hiroshige, à la fois par son style, par ses sujets, et par son don d’observation. Raylambert est un coloriste hors pair, comme l’illustre japonais, et l’homme est aussi souvent présent au premier plan dans ses paysages aux pins pareillement tourmentés.
Raylambert, pêcheur et bateau, gouache et aquarelle sur papier pour La Maison des Flots Jolis
Deux estampes de Hiroshige, à gauche et à droite, et deux dessins de Raylambert au centre, tirés de Aimons à lire et de la Maison des Flots Jolis.
Ses paysages d’hiver d’enfants sur le chemin de l’école, aux tonalité gris-beige, font aussi penser aux procédés des artistes japonais.
Deux enfants sur le chemin de l’école,
vers 1930 – Lavis d’encre et gouache.
Illustration de Aimons à lire (1939) :
à gauche, gouache originale préparatoire, à droite état publié.
C’est aussi dans ses dessins d’animaux que transparaît chez Raylambert ce style japonisant.
L’art de ce grand dessinateur s’apparente à celui, si prisé des Japonais ; on retrouve dans ses silhouettes, toujours très dépouillées, les lignes souples et déliées tracées, d’un pinceau habile qui donnent à ses réalisations cette note très personnelle, ce semblant de facilité d’interprétation qui le hausse au grand art et fait de lui, dans le domaine de l’illustration et de l’humour le premier animalier de notre temps.
Portrait de Raylambert par Arsène Brivot, Revue « Humour Magazine » N° 30, octobre 1952
Raylambert – Petit Gilbert, p.24 – gouache et aquarelle
Raylambert, illustration de Aimons à lire
Si le chien était son animal préféré, Rayambert était amoureux de tous les animaux et il aimait passer du temps à les observer. Dans sa jeunesse, il partait la nuit aux Halles dessiner les chevaux qui tiraient les voitures des maraîchers. Il allait aussi un jour par semaine au Zoo de Vincennes ou au Jardin des Plantes, collaborant aux revues Naturalia, Bêtes et Nature et Rustica. Sa maison était peuplée d’animaux : chiens, chats, tortue, oiseaux.
L’artiste animalier, disait Raylambert, est un bipède qui chasse seul en toute saison, sans chien, sans fusil ni cartouche, sans plume à son chapeau. N’est pas animalier qui veut. Il faut aimer les bêtes, vivre le plus possible avec elles, les comprendre. »
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur cet artiste demeuré peu connu mais j’espère que cette évocation aura permis à ceux qui ne le connaissaient pas de le découvrir et de l’apprécier.