Promenade amoureuse à l’école d’antan
Comme beaucoup, j’ai toujours été habité par des souvenirs d’école, et attendri par la nostalgie qui émane de tous les objets qui l’évoquent.
C’est donc tout naturellement que j’ai choisi le thème de l’école pour l’inauguration en 2006 de la Brocante de Mamie Gâteaux.
Ma fille avait alors 5 ans. C’étaient les jours heureux, le bonheur d’élever une petite fille tout droit sortie d’une illustration de Raylambert, avec sa coupe au carré et son regard espiègle.
Ayant eu l’opportunité d’acquérir une dizaine de bureaux d’élèves en bois, j’ai pu m’amuser à reconstituer une salle de classe d’autrefois qui, à mon grand étonnement, a convaincu une dame du quartier qu’une nouvelle école avait ouvert… Elle entra en souhaitant se renseigner pour y inscrire ses enfants !
Il faut dire que rien ne manquait : sarraux d’écoliers, sacs de billes en terre, affiches scolaires, encriers en porcelaine, plumiers, boîtes de craies Robert…
Ce décor a attiré l’attention du talentueux photographe-écrivain Sébastien Siraudeau qui l’a inclus dans son magnifique ouvrage Brocantes, paru en 2008 chez Flammarion.
Ce lieu de mémoire a disparu mais j’en ai néanmoins conservé de nombreux souvenirs, dont beaucoup que je ne me suis jamais résolu à vendre, comme cette école-jouet, avec ses figurines.
J’ai également conservé quelques affiches scolaires. Parmi celles éditées après-guerre par les éditions Rossignol, la salle de classe est certainement la plus connue et reproduite, montrant une classe de garçons des années 50.
Mais l’affiche que j’affectionne le plus est Le départ pour l’école. qui met en scène, au petit matin, l’harmonie d’une cuisine familiale ordonnée lors du départ pour l’école, ce rituel quotidien, théâtre de précipitation et de fébrilité, parfois d’angoisse, en révisant une leçon jusqu’au dernier moment.
Jalonnée d’une sélection de photos de classe allant du début du XXème siècle aux années 60, je convie tous ceux qui ont comme moi la nostalgie des bancs d’école à une promenade amoureuse aux odeurs d’encre violette, parmi quelques reliques de ce monde hélas disparu et des extraits savoureux de cahiers d’écoliers.
Tout commence par la rentrée des classes, avec la découverte fébrile des nouveaux visages. Les affinités se reconnaissent et s’assemblent. Le nouveau maître se dévoile. Si l’on est chanceux, on tombe sur un homme juste et bon, pétri d’humanisme comme ce maître accueillant ses élèves comme ses propres enfants au sein de la famille commune de l’école.
Le maître distribue les livres de l’année que les élèves s’efforcent avec peine de faire tous rentrer dans leurs cartables.
Dans les cartables, un livre particulier se distingue : le livre de morale qui a depuis disparu. L’école dispense alors un enseignement moral dont un des axes essentiels est la valeur du travail, accompli avec la volonté de s’instruire. La paresse est fustigée.
Inculquer aux enfants le désir d’apprendre était l’enseignement moral premier et cardinal, conditionnant la réussite des études et l’accomplissement d’un avenir heureux.
Une pédagogie rigoureuse et exigeante est dispensée pour cela, reposant sur une forte stimulation de la volonté d’apprendre, récompensant l’effort individuel et punissant la paresse. Cette puissante incitation de chacun au travail et à l’effort, diffusée au sein de l’école républicaine, était la base nécessaire d’une véritable égalité des chances, paliant si nécessaire une éventuelle carence familiale et mettant chacun en situation de choisir son destin.
« Le suffrage universel exigeait l’instruction universelle ; mais celle-ci n’est rien si l’éducation morale et civique ne vient la féconder. »
A côte des livres de lectures édifiantes, des modèles de phrases à recopier sont accrochées aux murs dans le même but. Elles servent de support aux leçons d’écriture.
L’écolier a des devoirs, au premier rang desquels savoir se rendre digne des efforts que le maître va déployer pour l’aider à s’instruire. Pour cela, il doit mériter sa confiance, être un bon écolier qui travaille pour devenir « bon ouvrier, bon citoyen« … D’aucun crieront à l’aliénation là où se manifeste un système structuré d’organisation sociale aussi juste et harmonieux que possible, qui fait aujourd’hui cruellement défaut dans nos sociétés modernes ayant perdu le sens des valeurs, où l’on dénonce une atteinte aux droits dès que l’on parle de devoirs, où tout doit être dû à tous, sans efforts.
Transmettre l’amour du travail est la tâche fondamentale du maître.
J’ai longtemps inscrit cette phrase sur les tableaux d’école que je vendais dans ma brocante. Elle résume parfaitement combien l’instruction est aussi source de joie, malgré les efforts qu’elle exige.
Chaque élève apportait une buche afin de participer au chauffage de la classe.
La condition sociale des enfants se dévoile dans les photos de classe.
Beaucoup d’enfants des campagnes vont à l’école en sabots jusque dans les années 50. Ils sont garnis de paille, l’hiver, pour garder ses pieds au chaud.
Le sarrau, la blouse ou l’uniforme, ont l’utilité pratique de protéger ses vêtements mais sont aussi là pour gommer les différences de conditions et afficher l’égalité de traitement et d’éducation que garantit l’école universelle.
« C’est vrai que ce n’était point pour nous des instituteurs ou à peine. Non, non, c’était des maîtres d’école et nos maîtres d’école étaient l’essence de notre société. Ils faisaient le plus beau métier du monde ! Ils transmettaient Hugo, Corneille, Racine, La Fontaine. Ils étaient habillés en costume noir avec un liseré violet, nos maîtres d’école. »
En ville, les tenues des écoliers suivent la mode des knickers.
Au début du XXème siècle, le costume marin est à la mode parmi les enfants.
Auguste Truphème, A l’école, 1892
A la campagne, les classes sont souvent mixtes, mais pas à la ville. Sur cette photo du tout début des années 20, les filles sont regroupées à gauche, avec leur maîtresse, tandis que les garçons sont à droite, autour de leur maître. Ce n’est que dans les années 60 que les classes seront partout mixtes.
La discipline est stricte. L’ordre règne. On ne sourit pas beaucoup sur les photos de classe du début du XXème siècle…
Sur le mode militaire, l’école encourage l’effort en récompensant les meilleurs élèves par des médailles frappées de la mention « Au mérite« .
Cette pratique a subsisté jusqu’au début des années 50. La médaille était une récompense temporaire qui était régulièrement remise en jeu. Elle récompensait non seulement de bons résultats dans une matière, ou en général, mais distinguait aussi des élèves pour leurs qualités de camaraderie ou pour leur respect de la discipline.
Aussi fièrement décorés que des petits soldats, les élèves n’ont pour toutes armes que la mine d’ardoise et le porte-plume.
Ils n’ont d’ennemis que leurs propres faiblesses, au premier rang desquelles la paresse.
Jusqu’à la fin des années 60, Tableau d’Honneur, Billets de satisfaction ou Billets d’Honneur, médailles « Au Mérite » et distributions annuelles de prix, se conjuguaient avec les bons points pour stimuler et récompenser le travail des élèves.
A l’inverse, les mauvaises conduites sont sévèrement punies et leurs auteurs mis à l’index.
Les leçons de morale trouvent parfois à s’illustrer de cas pratiques, qui envoient les coupables au piquet et nourrissent les cahiers de lignes d’écriture à recopier cent fois.
La paresse et l’oubli de faire ses devoirs engendrent d’inévitables punitions mais il faut toute l’audace de Raylambert pour imaginer toute une école en bonnets d’âne.
Les cols claudine et les noeuds soulignent la coquêterie des élèves.
Photo de classe de 1926
Après la 2ème guerre mondiale, les tenues des écoliers se font moins fantaisistes que dans l’entre-deux guerres.
Photo de classe des années 1950
La blouse, qui était auparavant plutôt l’apanage des écoliers ruraux, se répand dans les années 50. elle est grise pour les garçons et plus colorée pour les filles.
A l’image de l’élégance de la mode des annes 50, les robes portées par les écolières après-guerre se distinguent par le charme de leurs coupes et de leurs tissus.
Les grandes vacances sont-elles toujours bienvenues ? Pas pour tous, en tout cas…
Avril 1968… Des parents soutiennent la punition de leur enfant pour un retard de 5 minutes : « C’est très mal. Collez-là !«
Mais le mouvement de Mai 68 va bientôt bouleverser l’institution scolaire, mettant à mal l’autorité des maîtres. Les droits des élèves et leur bien-être vont désormais supplanter leurs devoirs et bannir les punitions.
La blouse disparait. L’école est finie !