Seikei Zusetsu – 成形圖說
Présentation illustrée
de la culture de plantes utiles
Encyclopédie élaborée de 1793 à 1804
I – Contexte et objet de l’encyclopédie
(volumes 1 à 17)
Couverture du 1er volume
du Seikei Zusetsu
Présentation et mise en perspective
Seikei Zusetsu est une encyclopédie agricole qui a été commandée par Shimazu Shigehide (1745-1833), Daimyo de Satsuma, une province de l’extrême sud du Japon, sur l’île de Kyushu.
Cette province, dirigée par le puissant clan Shimazu pendant la période de 1601 à 1871, était alors la deuxième plus riche du Japon.
Pour la préparation de cette encyclopédie, Shimazu a recruté le médecin et botaniste Senshun So (1758-1834), l’érudit Kunihashira Shirao (1762-1821), le savant confucéen Tomoaki Mukai et le savant Rangaku (spécialiste d’études néerlandaises, c’est-à-dire, européeenes) Monjuro Hori. Les blocs d’illustration ont été sculptés par Doryu Yoshikiyo Taniyama.
Sa compilation a duré de 1793 à 1804. Des 100 volumes qui la constituaient à l’origine, sous forme de blocs d’impression en bois, 70 furent détruits par deux incendies avant même leur impression.
Les splendides illustrations gravées sur bois montrent un grand nombre de variétés de cultures, de méthodes de plantation et de récolte, de techniques d’irrigation, de lutte contre les inondations, d’outils agricoles, de lutte antiparasitaire, de cérémonies agricoles et de festivals.
Trois états différents ont été publiés. Le premier est une impression simple en noir et blanc. Cet état ordinaire est celui de l’exemplaire possédé par l’université américaine du Michigan. Le second état présentait une impression en couleurs des planches illustrées. C’est l’édition possédée par la bibliothèque du Parlement japonais (National Diet Library). Le troisième état, le plus prestigieux, avait l’ensemble de ses illustrations peintes à la main. Il était destiné à des personnalités de haut rang.
L’Université de Leiden possède un exemplaire de l’édition de prestige de l’encyclopédie Seikei Zusetsu, provenant des collections de Siebold.
Participant au printemps 1826 à l’ambassade hollandaise d’hommage annuelle au shogun, Siebold séjourna 27 jours à Edo, où il reçut de très nombreuses visites d’érudits versés dans les études hollandaises, les rangakusha 蘭学者, avides de converser avec lui et d’échanger livres et spéciments de plantes.
C’est au cours de ce séjour à Edo que Siebold reçut ce présent de Katsuragawa Hoken (1797-1844), un éminent érudit en sciences occidentales, médecin du shogun (ayant appris la chirurgie auprès du médecin botaniste Carl Peter Thunberg) et traducteur de hollandais.
La dédicace de Katsuragawa Hoken à Siebold, représentée ci-contre et rédigée en hollandais, est pleine d’humour : « Aan de Heer Siebold geschenk van zijn vriend Kaneel Rivier Junior W. Botanicus Den 5 Siguats 9 Jaar Bunzij« , ce qui signifie : « A Monsieur Siebold, un cadeau de son ami Cinnamon River Junior. W. Botaniste, le 5ème jour du 4ème mois de la 9ème année de l’ère Bunsei« .
Katsuragawa Hoken ne signe pas avec son nom en japonais mais avec le sens de son nom de famille (« rivière de cannelle »), suivi du surnom latin (« Wilhelmus Botanicus ») que les hollandais lui avaient attribué pour plaisanter, en référence à son intérêt pour les plantes.
Quant à la date de cette dédicace, du calendrier impérial ancien de type luno-solaire, elle correspond en réalité au 11 mai 1826.
Le calendrier japonais
A l’origine, le Japon se contentait d’un calendrier naturel, on pourrait dire écologique… le déroulement du temps était rythmé par un calendrier naturel dont les subdivisions étaient fondées sur les périodes de travaux agraires. L’épanouissement de la fleur de kobushi (magnolia kobus) indiquait l’époque du labour de la rizière. Le début de la fonte des neiges sur une montagne donnée signalait le début du printemps.
Le calendrier impérial japonais démarre en l’an -660 av.J.-C., date à laquelle le légendaire empereur Jimmu fonda le Japon. Les ères sont de durée variable et marquent des événements importants, comme la montée sur le trône d’un nouvel empereur. L’ère Bunsei, en l’occurence, dura d’avril 1818 à décembre 1830.
Jusqu’à la révolution Meiji, le Japon a eu un calendrier luno-solaire, inspiré de celui de la Chine et le système de l’ ère commune occidentale ( Anno Domini ) est progressivement devenu d’usage courant depuis la période Meiji.
Le calendrier japonais ancien étant lunaire, l’année commençait entre 3 et 7 semaines plus tard que l’année du calendrier Grégorien. Dans le récit de son voyage au Japon, Thunberg explique ainsi que cela obligeait les Hollandais de Dejima à dresser tous les ans un « almanach japonico-hollandois« .
C’est pourquoi la date de la dédicace à Siebold par Katsuragawa Hoken du 5 avril (Siguats signifiant Shi-gatsu, avril), dans le calendrier japonais, correspondait, compte tenu d’un décalage de 5 semaines et 1 jour cette année-là, à l’année 1826 (obtenue en retranchant 1 de la date de début de l’ère et en lui ajoutant le nombre d’année écoulée de cette ère – soit 1818-1+9), non pas à avril mais à mai, précisément au 11 mai 1826 …
La peinture ci-dessous de Kawahara Keiga représente la procession, en 1826, de l’ambassade hollandaise d’hommage au shogun à Edo, dont faisait partie Siebold. Le voyage de Dejima à Edo, à pieds et en bâteau, durait alors près de 2 mois. Ceux qui pouvaient se l’offrir étaient transportés en norimono, palanquins japonais.
La vue du Mont Fuji marquait l’arrivée du cortège de l’ambassade à proximité de Edo, illustrée ci-après par Kawahara Keiga en 1826.
C’est durant cette ambassade à Edo que Siebold a, d’une part, reçu en présent l’encyclopédie Seikei Zusetsu, et, d’autre part, pu rencontrer Shimazu Shigeide, son commanditaire.
Très âgé, Shimazu Shigehide parla à Siebold de son amour pour l’étude de l’histoire naturelle. Siebold écrira : « On m’a dit que shigehide avait 80 ans mais je ne peux lui en donner que 60. C’est un seigneur sage et éclairé« .
Dans une période pourtant marquée par une fermeture aux puissances étrangères, son encyclopédie témoigne de son ouverture d’esprit au «savoir extérieur». Shimazu Shigeide est représentatif de l’engouement d’une génération d’érudits japonais pour les rangaku ou « études hollandaises », par extension « études occidentales ».
Daimyo de Satsuma, Shimazu Shigeide a étudié le néerlandais, l’astronomie, l’artillerie, la médecine et la cartographie avec des experts occidentaux et a écrit un journal de ses activités en japonais romanisé (pour qu’il reste secret). Il a construit un observatoire astronomique à Kagoshima, a aidé à la vaccination de la population à Satsuma et a compilé le premier dictionnaire japonais-néerlandais.
Comme tant d’hommes de savoir de son époque, Shimazu Shigeide est profondément influencé par les connaissances, en médecine comme en études d’histoire naturelle, apportées et diffusées au Japon, entre 1690 et 1829, par les médecins botanistes envoyés par la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales et présents à Dejima : Engelbert Kaempfer, de 1690 à 1692, Carl Peter Thunberg, de 1775 à 1776, et Philipp Franz von Siebold, de 1823 à 1829.
Le clan Shimazu
Installée dans la province de Satsuma, à l’extrême sud du Japon sue l’île de Kyushu, le clan Shimazu est l’une des rares familles à avoir conservé et exploité son fief depuis le XIIème siècle jusqu’à la restauration Meiji.
A la fin du XVIIIème siècle, Shimazu Shigehide en est le damyo éclairé, ouvert aux idées et influences occidentales, dont il veut faire bénéficier sa province. L’encyclopédie Seikei Zusetsu en est l’expression en matière agricole.
L’orientation libérale et progressiste du clan Shimazu lui fait soutenir la restauration des pouvoirs de l’empereur contre le shogunat, ainsi que la politique d’ouverture croissante à l’occident.
Ōkubo Toshimichi (大久保 利通, Ōkubo Toshimichi (1830-1878), homme d’État japonais et samouraï de Satsuma, est l’un des héros de la révolution de 1868 contre le shogunat. Considéré comme l’un des principaux fondateurs du Japon moderne, il fait partie des trois grandes figures de la restauration Meiji.
Cependant, beaucoup de membres de l’ancienne classe samouraï étaient contrariés par la direction que la nation avait prise. L’abolition de leur ancien statut social privilégié sous l’ordre féodal avait également éliminé leur revenu, et l’établissement de la conscription militaire universelle avait éliminé beaucoup de leurs raisons d’être.
La modernisation très rapide (occidentalisation) du pays a eu pour résultat des changements massifs dans la culture, les tenues vestimentaires et la société japonaise, et semblait à beaucoup de samouraïs être une trahison du slogan Sonnō jōi (« révérez l’empereur, expulsez les barbares ») employé pour appeler à renverser l’ancien shogunat Tokugawa.
Dès lors, plusieurs révoltes de samouraIs vont se produire contre ces changements qui menacent leur statut et leur raison d’être.
La plus célèbre, et la dernière, est la rébellion de Satsuma menée par le samouraï Saigō Takamori et qui conduit à son suicide par seppuku en 1877, après une tentative de sessesion réprimée par les troupes de l’empereur.
Devenu un héros tragique par sa mort héroïque, figure emblématique du « dernier samouraï », Saigô Takamori a été réhabilité 10 ans plus tard par le gouvernement japonais qui lui pardonna et lui rendit les plus grands honneurs à titre posthume.
Une encyclopédie au croisement de trois cultures
La conception de l’encyclopédie Seikei Zusetsu s’inscrit dans le contexte historique, depuis la fin du 17ème siècle, de la rencontre entre la société japonaise, imprégnée de culture chinoise, et le monde européen.
Après des siècles d’une influence fondatrice du continent chinois, la politique d’isolement du Japon, menée de 1650 à 1842, s’est accompagnée d’une curiosité et d’un grand intérêt pour les connaissances étrangères européennes, qui connaissaient elles-mêmes alors de grands progrès.
Dans le domaine de l’histoire naturelle (nommée à l’époque honzōgaku), et spécifiquement de la médecine, et de la botanique qui lui est intrinsèquement liée, le Japon vivait avant l’arrivée des européens avec un corpus de connaissances livresques chinoises.
L’ouvrage canonique des naturalistes japonais était le Bencao gangmu (Honzō kōmoku dans son édition japonaise), un recueil de médecine traditionnelle chinoise rédigé par Li Shizhen durant la dynastie Ming. Il contenait une liste de plantes, d’animaux, de minéraux et d’autres objets réputés pour leurs propriétés médicinales.
Sur le modèle du Bencao gangmu chinois, le philosophe botaniste Kaibara Ekken (1630-1714), samouraï savant connu au Japon sous le nom d’Atsunobu (篤信), avait publié en 1709 le Yamato honzô (« Herbes médicinales du Japon »), une étude pionnière des plantes japonaises. Le japonologue allemand Philipp Franz von Siebold le surnomme l’«Aristote du Japon».
L’histoire naturelle pratiquée au Japon était alors encore confinée et limitée à l’identification, au nommage et au dessin des plantes, sous le nom de honzôgaku (本草学, « étude des herbes »).
Mais Tokugawa Yoshimune, le huitième shôgun de 1716 à 1745, qui s’intéressait étroitement aux connaissances occidentales, joua un rôle moteur en libéralisant l’introduction de livres occidentaux ainsi qu’en encourageant et en finançant des recherches en sciences naturelles.
Il assigna des savants à une enquête sur les « choses étrangères » à partir des livres apportés par les hollandais et d’interrogatoires de leurs hommes de science présents à Déjima.
Tokugawa Yoshimune ordonna par ailleurs en 1736 un recensement massif de tous les minéraux, plantes et animaux du Japon à travers une série de questionnaires distribués à tous les villages pour être remplis et illustrés.
Comme l’ont montré les travaux de l’historien Fédérico Macron dans son ouvrage paru en 2015 The Knowledge of Nature and the Nature of Knowledge in Eraly Moderne Japan, l’implication de l’Etat central dans les études de sciences naturelles va donner à cette discipline un aspect utilitaire qui ne se développera pleinement qu’un siècle plus tard.
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L’encyclopédie Seikei Zesetsu est conçue au sortir d’une période de terribles famines, connues sous le nom de « Grande famine Tenmei », de 1782 à 1788, qui, conjuguées à des cataclysmes et des épidémies, ont provoqué près de 920.000 décès.
L’époque est donc à la recherche de solutions préventives aux épidémies, notamment par la sélection d’espèces résistantes aux maladies, aux parasites ou aux sécheresses, et par l’amélioration des techniques d’irrigation et de lutte contre les inondations, comme s’y consacre Seikei Zusetsu, dans une orientation plus utilitariste de la botanique.
Mais certains érudits se méfient malgré tout de l’utilitarisme, de la recherche de productivité, de la spéculation et de l’enrichissement, contraires aux enseignements confucéens. Et en matière de modèles d’inspiration et d’enseignement, ils continuent à préférer s’en tenir à la tradition conservatrice des sources chinoises.
Cette attitude, en matière de sources de connaissance mais aussi de style artistique, s’accompagne d’une hostilité envers toute évolution de la politique de fermeture (sakoku) du Japon vis-à-vis de l’étranger, esquissée à la fin du XVIIème siècle. Ainsi, le conseiller du shogun Matsudaira Sadanobu prend en 1787 le contrepied de la politique de son prédescesseur progressiste Tanuma Okitsugu en soulignant le risque que le Japon devienne une « autre Hollande« .
Pour illustrer esthétiquement ce moment de tension politique, économique et culturel, et la réticence de beaucoup de lettrés japonais à une « occidentalisation » jugée néfaste du Japon, il n’est meilleure oeuvre que l’emiki (rouleau peint) commandité par Matsudaira Sadanobu au peintre Tani Bunshô en 1822, pour présenter sa collection de cerisiers.
サクラ 『[浴恩春秋両園]桜花譜』松平定信編・谷文晁原画 文政5 (1822)
Sakura «[Yuon Haruaki Ryoen] Sakurakafu» Sadanobu Matsudaira, Tani Bunshô Bunsei 5 (1822)
Source : Bibliothèque de la Diète japonaise
Le choix du sujet est déjà éloquent. Alors que Shimazu Shigehide commande en 1793 une encyclopédie illustrée destinée à améliorer la productivité agricole, quelques années après une période de graves famines, Matsudaira Sadanobu commande, en esthète, une illustration de sa collection de cerisiers.
Le choix du support est également révélateur. Au lieu d’un ouvrage pratique, paginé avec une illustration en regard d’un texte explicatif, les 124 variétés de cerisiers sont présentés en continu sur un rouleau peint (emaki), d’une longueur de près de 10 mètres. Le terme emakimono ou e-makimono, souvent abrégé en emaki, est composé des kanjis 絵 (e, «peinture »), 巻 (maki, «rouleau», «livre») et 物 (mono, «chose») désigne mouvement artistique dominant au Japon entre le XIIe et le XIVe siècle, dont l’origine est chinoise.
Il y a donc dans l’emploi d’un emaki la volonté de s’inscrire dans une tradition esthétique ancienne, adoptée et développée par le Japon, mais d’inspiration chinoise.
Le choix de l’artiste choisi par Matsudaira Sadanobu est lui aussi significatif. Tani Bunshô est en effet un des représentants de l’école bunjin-ga (文人画, «peinture de lettrés») ou nan-ga (南画, «peinture du Sud»), un genre de peinture qui s’est développé au Japon à partir du XVIIIe siècle, inspiré par la peinture de lettrés chinoise.
Certains lettrés, quand bien même fervents Rengaku, comme Katsuragawa Hoken, qui a offert l’encyclopédie Seikei Zusetsu à Siebold, conservent une âme orientale et tentent graphiquement une synthèse des traditions chinoises et des influences européennes.
Le savant allemand l’a sollicité pour son besoin d’illustrations de la flore japonaise. Katsuragawa Hoken lui a ainsi fourni une présentation de plantes peintes en continu sur un emaki, à la manière chinoise, exprimant l’optique orientale d’unité de la nature.
Mais cette belle expression esthétique contrecarrait l’objectif des botanistes de soustraire des espèces individuelles de leur habitat. Siebold, et plus tard Maximowicz, lorsqu’il acquit les illustrations japonaises des archives de Siebold, ont simplement coupé le rouleau et réorganisé la présentation de chaque espèce dans l’ordre taxonomique.
Si nombre de lettrés continuent à préférer s’en tenir à la tradition conservatrice des sources chinoises, d’autres s’ouvrent pleinement aux idées européennes, qu’ils introduisent par des livres les présentant.
C’est notamment le cas de Udagawa Yōan (1798-1846). En 1840, il fait paraître ses Premiers principes de chimie (舎密開宗, Seimikaisō), dans lequel il rapporte pour la première fois en détail les découvertes et les théories de Lavoisier au Japon.
Il crée de nouveaux termes scientifiques, qui sont encore utilisés actuellement dans le japonais scientifique moderne: par exemple, «oxygène» (酸 素, sanso), «hydrogène» (水 素, suiso), «azote» (窒 素, chisso), «carbone» (炭素, tanso), «oxydation» (酸化, sanka), «réduction» (還 元, kangen), «saturation» (飽和, hōwa), «dissolution» (溶解, yōkai) et «élément ”(元素, genso).
Avant cela, Udagawa rédigea en 1822 les Sutra de Botanique (Botanikakyō, 菩多尼訶経), le premier ouvrage d’introduction à la botanique occidentale, puis en 1833, les Principes de botanique (Sokugakukeigen, 植学啓原), inspiré de la méthode du naturaliste suédois C. von Linné (1707-78).
A mi-chemin, un samouraï savant au service du shogunat Tokugawa, botaniste, zoologue et entomologiste, Iwasaki Tsunemasa (1786-1842), aussi connu sous le nom Kan-en (岩崎 常正 ou 灌園), publia à partir de 1828 une somme en 93 volumes sur les plantes du Japon, intitulée Honzō zufu (Iconographia Plantarum ou « Diagrammes et chroniques de botanique »).
Les spécimens sont encore classées et organisées sur le modèle de l’ouvrage du XVIe siècle Honzō kōmoku (Bencao gangmu en chinois) mais Iwasaki Tsunemasa innove en attribuant une place prépondérante aux illustrations, censées fidèles à la réalité.
L’ampleur de l’ouvrage, qui recense plus de 1900 variétés de plantes, ne compense cependant pas le style trop simple des illustrations, qui manque de la rigueur, du souci d’exactitude, et de la richesse du détail, des illustrations savantes européennes.
En amont de la rédaction à la fin du XVIIème siècle de l’encyclopédie Seikei Zusestu, les enquêtes naturalistes ordonnées par le shogun Tokugawa Yoshimune avaient orienté les connaissances vers un utilitarisme européen dans lequel s’inscrit le classement encyclopédique des plantes du domaine de Satsuma sur deux aspects :
- ses illustrations, d’une grande beauté naturelle, commencent à s’émanciper du modèle chinois pour suivre les prescriptions et modes de classements de la botanique européenne. De nombreux résumés et noms de plantes ont été traduits en néerlandais à l’aide de katakana. Les travaux de Engelbert Kaempfer ont été consultés par les rédacteurs de l’encyclopédie. Les illustrations sont « fidèles à la nature » car elles ont pour fonction de transmettre des informations cognitives véridiques, de révéler des caractéristiques spécifiques aux espèces présentées ;
- son but est clairement de mettre les connaissances de la nature au service du progrès économique par l’amélioration des techniques agricoles.
Comme l’a montré Federico Marcon, Satō Nobuhiro (), scientifique japonais partisan précoce de l’occidentalisation du Japon, a d’abord conceptualisé et mis en pratique au domaine de Satsuma, où est rédigée l’encyclopédie Seikei Zasetsu, l’idée que la connaissance de la nature devrait être poursuivie pour le bien du progrès économique et étroitement contrôlé par les appareils d’État. Cette attitude utilitariste se poursuivra pendant la période Meiji en tant que caractéristique déterminante de la science japonaise moderne.
L’encyclopédie Seikei Zusetsu, dont le titre signifie littéralement « Présentation illustrée de la culture de plantes utiles« , revêt clairement cet aspect utilitariste. Le but de ce travail monumental était de fournir une source complète d’informations pour améliorer la production agricole dans la région en utilisant des méthodes agricoles améliorées.
Les connaissances des botanistes sont ici mises au service de l’agriculture pour la faire progresser. De très longs développements sont en effet consacrés aux méthodes de plantation, au choix des espèces, aux méthodes de récolte, de battage et de dépiquage, ainsi qu’aux techniques d’irrigation et aux moyens de lutter contre les inondations.
Le savoir des experts en honôgaku (botanique) est utilisé pour choisir les plantes pouvant être utilisées comme plantes médicinales, comme fertilisants, ou sélectionnées pour leur résistance aux insectes.
Dans le Japon pourtant refermé du début du XIXème siècle, cet ouvrage innovant, sous-tendu par l’influence du savoir européen, amorce une modernisation agricole qui se traduira, à la fin du siècle, par des progrès majeurs : de 1880 à 1925, la productivité agricole va augmenter de 50% et la valeur de la production va plus que doubler.
L’importance culturelle des fêtes agricoles
Les fêtes (matsuri) ponctuent l’année en servant de références saisonnières. A l’origine ces manifestations dépendent étroitement du calendrier agraire, comme les rites occasionnés au printemps par la maturation du riz et à l’automne, par la récolte – fêtée le 23 novembre, fête du travail équivalente à notre 1er mai – , sans compter en été ceux liés à la protection contre les parasites qui peuvent mettre en péril les productions agricoles, ou contre les épidémies fréquentes en cette saison, et enfin en hiver ceux destinés à revigorer les forces vitales.
Jusqu’à la révolution Meiji, qui l’a remplacé par un calendrier de mois simplement numérotés de 1 à 12, les noms de plusieurs mois du calendrier japonais provenaient de la culture du riz :
- avril était le mois de la « plantation précoce du riz »
- mai était celui de la « germination du riz »
- juin était le mois de l’eau, c’est-à-dire de « l’irrigation » des rizières
Dans les fêtes agricoles étaient célébrées des divinités, les kami.
Les kami sont des divinités du shintoïsme, la croyance autochtone du Japon. Les kami n’ont pas de représentation figurée. Ils sont associés à des forces qui résident dans la nature. Les montagnes, les rochers, les arbres, le soleil, la lune, le tonnerre ou la pluie sont des objets de vénération.
La vénération du kami de la riziculture était organisée sous forme de rites avec des offrandes, de la musique et des divertissements pour solliciter de bonnes récoltes. Ainsi est né le dengaku, un rite théâtral présenté lors du repiquage des jeunes pousses de riz (taue) pour faire plaisir au kami des rizières (tanokami) et obtenir la protection des cultures jusqu’à la récolte.
La tradition du théâtre sacré dédié au kami est encore vivante dans les villages parmi de nombreux rites annuels. En effet, l’ensemble de la vie en société au Japon reste marqué par des événements qui suivent le rythme des rites traditionnels liés à la riziculture. Ainsi la plus grande fête reste celle du commencement de l’année, le jour de l’An (shôgatsu), à l’occasion duquel toutes les familles font un repas de fête de même type, qu’elles partagent avec le kami à la maison et qui est préparé avec des produits agricoles locaux.
Seikei Zusetsu est enfin un trésor interculturel, produit métissé d’une fécondation croisée des connaissances et de l’esthétique européennes et japonaises.
Les 68 illustrations des volumes 1 à 17 consacrées à l’organisation de la production agricole du domaine de Satsuma, sont présentées ci-après, dans l’ordre de leur apparition dans l’encyclopédie, et sont accessibles directement par thèmes.
Les 130 illustrations botaniques des volumes 15 à 30 sont quant à elles présentées sur une page spécifique.
~ Outils et méthodes ~
~ Fêtes et cérémonies agricoles ~
volume 1 p.27 |
volume 1 p.28 |
volume 4 p.40 | |
volume 1 p.46 |
volume 15 p.27 |
volume 16 p.19 |
La fête du travail au Japon, le 23 novembre, était à l’origine, depuis le VIème siècle une fête des récoltes, d’où la date placée en automne. Elle était appelée Niiname-sai, 新嘗祭, littéralement le « festival des céréales et des récoltes »
Le rituel tire ses origines de la période d’Asuka (VIe-VIIe siècles). Depuis le règne de l’impératrice Kôgyoku, le peuple, alors essentiellement agricole, remerciait les kami (divinités du Shintoïsme) de l’abondance du riz et autres produits des champs. Une abondance qui alimentait la population pendant toute une année.
Le souverain présidait la cérémonie. Il faisait une offrande du riz nouveau aux dieux avant de le goûter. Cette fête, appelée Niinamesai, a perduré jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les américains ont en effet mis fin au caractère shintoïste et impérial de cette fête, devenue une fête des travailleurs de tous les secteurs, et plus seulement de l’agriculture.
Le général Douglas MacArthur a aboli toutes les fêtes basées sur les mythes, les rituels et les cérémonies shinto traditionnels. Ainsi, une loi de 1948 a officiellement effacé le nom Niinamesai.
Néanmoins, dans la salle Shinkaden du palais impérial, l’empereur continue de diriger en privé les rituels Niinamesai.
A 18h00 le 23, les «rites du soir» des Niinamesai commencent. Vêtu de robes de cérémonie blanches en soie, l’Empereur passe du Ryōkiden Hall au Shinkaden, où se déroule le rituel. Ces robes – appelées gosaifuku – ne sont utilisées pour le Niinamesai que par l’empereur. En raison de leur poids, ils peuvent mettre plus d’une demi-heure à enfiler.
Pendant le rituel, l’Empereur offre du riz présenté de diverses parties du pays, du riz récolté au palais et du vin fabriqué à partir de riz et de mil fraîchement récolté aux ancêtres et aux spiritueux consacrés.
Ensuite, un texte appelé Otsugebumi est lu, priant pour une abondance fructueuse de céréales et pour le bonheur de la nation et de ses habitants. Une partie de l’offrande de vin et de nourriture est consommée dans un acte appelé Naorai . Enfin, le prince héritier part du Ryōkiden et rejoint son père en prière au Shinkaden, après quoi les deux quittent la salle ensemble.
Les «rites du soir» se terminent à 20h00. Suite aux procédures traditionnelles, de 23h00 ce soir-là à 01h00 le 24, les «rites de l’aube» sont organisés. Les cérémonies durent chacune deux heures – quatre heures au total.
La plupart des procédures sont menées avec l’empereur assis en seiza, portant des robes lourdes qui sont difficiles à porter. Pour cette raison, à l’approche du Niinamesai chaque année, l’empereur a coutume de s’asseoir en seiza pendant de longues périodes afin de s’entrainer à endurer cette position. Une autre raison pour laquelle ce rituel est «exténuant» est la température. Fin novembre, pendant la soirée où le rituel a lieu, les températures peuvent parfois descendre en dessous de 10 degrés et il n’y a pas de chauffage dans le Shinkaden.
~ Moisson, battage et dépiquage ~
Bâtiments et vues générales
~ Supervision et surveillance ~
~ Lutte contre les inondations ~
~ Techniques d'irrigation ~
volume 4 p.17 |
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volume 12 p.45 |
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volume 12 p.46 |
L’agriculture tire profit de l’apport d’inventions européennes, souvent adaptées localement. C’est le cas de mécanismes à air comprimé, devenus devenus populaires en Europe à partir de 1660, suivant les expériences de Robert Boyle.
Leur utilisation pour l’agriculture est née de l’imagination très fertile d’un homme exceptionnel, Kunitomo Ikkansai (1778- 1840).
Il était le forgeron particulièrement doué et créatif d’un petit village du centre du Japon, spécialisé dans les armes à feux au début du xixe siècle. Après avoir passé plusieurs mois à Edo où il a pu voir des objets hollandais importés, il ne s’est pas contenté de reproduire ces objets mais a conçu à partir d’eux plusieurs inventions.
A partir d’un pistolet jouet à air comprimé, il crée ainsi le premier pistolet à air comprimé du Japon pour le combat réel.
Il fabrique également en 1835 un télescope astronomique réflecteur, de bien meilleure qualité, d’un grossissement de 60 fois et d’un diamètre supérieur à tout ce qui se faisait à cette époque, avec lequel il a effectué une observation très détaillées des taches solaires et de la topographie lunaire. Il a laissé entre autres des croquis de la lune et de Saturne et de son satellite Titan. Il est considéré comme l’un des pionniers de l’astronomie au Japon. Quatre de ses télescopes nous sont parvenus.
Pour l’agriculture, qui nous intéresse ici, Kunimoto a également développé des applications agricoles des technologies européennes, telles qu’une grande pompe actionnée par un bœuf, destinée à l’irrigation.
Publicité de 1810 de la pompe à irrigation de Kunitomo
Vers la partie II
(illustrations botaniques)
Diaporama
d’illustrations choisies