La botanique était encore aux XVIIe et XVIIIe siècles une affaire de médecins. Ce sont ainsi deux médecin-botanistes allemands, Andreas Clayer (1634-1698) et Engelbert Kaempfer (1651–1716) qui ont commencé à explorer la flore japonaise et à la faire connaître en Europe à la fin du XVIIe siècle. Ils seront suivis à nouveau par deux médecins naturalistes et botanistes, le suédois Carl Peter Thunberg (1743-1828) à la fin du XVIIIe siècle, et le bavarois Philipp Franz von Siebold (1796-1866) dans la première moitié du XIXe siècle.
Aucun de ces hommes n’était néerlandais. Ils ont dû dès lors apprendre cette langue et se faire passer pour hollandais afin de pouvoir être admis au Japon.
Mis à part Franz Siebold, ils y séjournèrent pour des durées assez brèves :
Andreas Clayer
2 ans, de 1682 à 1683
et de 1685 à 1686
Engelbert Kaempfer
2 ans, de 1690 à 1692
Carl Peter Thunberg
1 an, de 1775 à 1776
Phipp Franz von Siebold
6 ans, de 1823 à 1829
et à plusieurs reprises après 1859
En plus d’être médecins et botanistes, ces quatre hommes étaient aussi d’audacieux explorateurs, qui durent ruser pour contourner l’obstacle de l’isolationnisme japonais. Leurs parcours et leurs aventures pour parvenir à leurs fins sont dignes d’un film hollywoodien.
Mais avant qu’ils puissent aller botaniser au Japon, d’autres hommes intrépides allaient préalablement devoir braver tous les dangers afin de leur en ouvrir l’accès. Aussi, avant d’évoquer la flore japonaise, un long détour est nécessaire pour suivre l’histoire mouvementée de la rencontre entre les européens et les japonais à partir de la fin du XVIème siècle…
Durant la majeure partie de l’époque d’Edo (1603 à 1868), l’archipel nippon était totalement fermé aux étrangers. À la suite des portugais, seuls les Hollandais (オランダ : oranda) étaient autorisés à résider dans leur comptoir commercial de l’île artificielle de Dejima près de Nagasaki, concédée à la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales.
Créée en 1602 et connue sous le sigle de VOC (Vereenigde Oostindische Compagnie) , cette compagnie devient une des plus puissantes sociétés capitalistes ayant jamais été créée.
Durant la majeure partie de l’époque d’Edo (1603 à 1868), l’archipel nippon était totalement fermé aux étrangers. À la suite des portugais, seuls les Hollandais étaient autorisés à résider dans leur comptoir commercial de l’île artificielle de Dejima près de Nagasaki, concédée à la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales.
La VOC va profiter du déclin portugais pour lui ravir le contrôle des mers indonésiennes, établir un monopole du commerce des épices et devenir l’unique partenaire commercial accepté par le Japon.
Le formidable succès de la VOC au Japon va coïncider avec l’unification du Japon et le début du règne d’une dynastie shogunale, la famille Tokugawa, qui dirigea le Japon de 1603 à 1867, sous l’époque d’Edo ou période Tokugawa.
Subdivision traditionnelle de l’histoire du Japon, l’époque Edo commence vers 1600, avec la prise de pouvoir de Tokugawa Ieyasu lors de la bataille de Sekigahara, et se termine vers 1868 avec la Restauration de la loi impériale et le début de l’ère Meiji qui signifie « gouvernement éclairé » (composé de lumière/clarté » (明, mei) et « gouvernement » (治, ji)).
Edo est un petit village dont le fondateur de la dynasyie choisit de faire sa capitale afin de s’éloigner de Kyoto, la capitale impériale. Elle prendra le nom de Tokyo (« capitale de l’Est ») au début de l’ère Meiji.
Shogun, du japonais shōgun (将軍), signifie « général » ; c’est l’abréviation de seiitaishōgun (征夷大将軍), que l’on peut traduire par « grand général pacificateur des barbares ». Ce terme remonte à l’époque Heian (794-1185), lorsque ce titre était donné aux commandants militaires de l’armée impériale pendant la guerre contre les Emishi, peuple indigène du nord-est du Japon, qui refusait de se soumettre.
Le terme prit un nouveau sens en 1185 lorsque le seigneur Minamoto no Yoritomo prit le pouvoir à l’empereur et devint le dictateur et dirigeant du Japon. Il établit un système de gouvernement féodal basé à Kamakura, village choisi comme nouvelle capitale du Japon, où les samouraïs prirent le pouvoir politique que détenaient alors l’empereur et la cour à Kyōto.
En 1192, Yoritomo reçut le titre de seii taishōgun de l’empereur, et le système politique qu’il développa par la succession des différents shoguns devint connu sous le nom de bakufu – signifiant « gouvernement sous la tente – ou shogunat.
Malgré l’établissement du shogunat, l’empereur à Kyoto était toujours le chef légitime du Japon. L’administration du Japon (taisei) était une tâche confiée à la famille Tokugawa par la cour impériale de Kyoto, puis rendue à la cour lors de la restauration de Meiji. Le shogunat nomma un agent de liaison, le Kyōto shoshidai, pour traiter avec l’empereur, la Cour et la noblesse.
Ce sont les portugais qui ont amorcé et pratiqué les échanges commerciaux avec le Japon jusqu’à leur expulsion et leur remplacement par les hollandais. Ils arrivèrent en 1543 en pleine période de luttes confuses entre seigneurs de guerre, apportant une cargaison de soie et de porcelaine chinoises que les japonais furent ravis d’acquérir alors que la Chine voisine était elle-même refermée.
Les portugais jouèrent de cet intérêt commercial pour, en contrepartie du privilège de pouvoir traiter avec eux, se faire accorder par les daimyos de la région de Nagasaki, où ils avaient accosté, le droit d’évangéliser les autochtones, avec l’aide des moines jésuites, qui installèrent les premiers monastères et convertirent plusieurs seigneurs. Les japonais appréciaient la venue de ce qu’ils appelaient bâteaux nanban (« barbares du sud »). Pendant la durée du commerce Nanban plus de 100 000 Japonais furent convertis.
En plus des produits chinois, les Portugais ont fait découvrir de très nombreuses marchandises fabriquées en Europe. Parmi ces produits : le pain, la tempura (plat japonais fait à base de beignets) et les armes à feu. Utilisés à la célèbre bataille de Nagashimo (thème du film Kagemusha d’Akira Kurosawa en 1980), les mousquets ont été produits en masse par les japonais dans la période d’Édo. Tout le monde pouvant les utiliser sans formation préalable, ces armes à feux ont finalement conduit à détruire l’autorité des samouraïs.
A la fin du XVIe siècle, des espions hollandais avaient embarqué sur les navires portugais. Les Pays-Bas envoient ensuite des flottes de dizaines de vaisseaux et en 1600 abordent les cotes du Japon, à un moment clé où a déjà commencé le rejet l’entreprise portugaise de christianisation. Les vingt-six Martyrs de Nagasaki viennent en effet d’être crucifiés en 1597, dix ans après l’interdiction du prosélytisme chrétien en 1587 et l’expulsion des missionnaires jésuites.
Des relations commerciales formelles sont établies en 1609 par le Japon avec les Néerlandais, à qui ils permettent l’installation d’un comptoir de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales à Hirado, ville située sur une île reliée à celle de Kyûshu.
Ce succès est l’aboutissement d’un événement anecdotique mais historiquement déterminant : l’échouage le 19 avril avril 1600 du navire hollandais De Liefde (L’amour) à Usuki, sur les côtes japonaises de Kyuschû. Le vaisseau hollandais faisait partie d’une flotte embarquant 494 hommes sur cinq navires armés par des marchands privés hollandais en 1598, quatre ans avant la création de la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales.
L’ordre de mission des 494 hommes consistait à aller vendre sur la côte ouest de l’Amérique du Sud la marchandise embarquée contre de l’argent et de n’aller vers le Japon qu’en cas d’échec, afin d’y obtenir l’argent espéré et l’utiliser pour l’objectif final : acheter des épices aux Moluques.
L’anglais William Adams (1564-1620) fut engagé comme chef pilote (il est connu au Japon comme Miura Anjin (« le pilote du Miura ») sur le Hoop puis passa en cours de routesur le De Liefde, après un voyage très difficile par le Détroit de Magellan, marqué par la mort du capitaine Jacques Mahu et de nombreux hommes d’équipage, tués par les populations hostiles des côtes chiliennes et par les conditions hivernales extrêmes.
Deux des cinq navires ne purent franchirent le déroit. L’équipage du Blijde Boodschap (Bonne nouvelle) fut capturé par les Espagnols et à peine 36 hommes du Geloof (Croyance), parvinrent à rentrer en Hollande.
Tandis que le Hoop (Espoir), sombra avec son équipage en chemin vers le Japon, les hommes du Trouwe (Foi) furent tués par les Portugais à leur arrivée en Indonésie.
Seul le De Liefde put parvenir au Japon, après que leur navire, pris dans une terrible tempête, se soit échoué sur la côte. Sur les 100 hommes d’équipage, seuls 23 ont accosté mourants, dont 6 seulement capables de marcher. Ils seront finalement seulement 9 à avoir survécu.
La cargaison du navire comprenait onze coffres contenant du tissu de laine, des perles de verre, des miroirs et des lunettes ; des outils et armes en métal : clous, fer, marteaux, dix-neuf canons en bronze ; 5 000 boulets de canon ; 500 mousquets, 300 projectiles de tir à la chaîne et trois coffres remplis de cottes de mailles.
Mais, les missionnaires jésuites portugais comprirent le danger que représentaient pour leurs intérêts ces hommes dont les pays étaient en guerre contre l’Espagne et le Portugal. Ils les accusèrent donc d’être des pirates et conseillèrent à Ieyasu Tokugawa de les tuer. Ce dernier n’en fit rien, intéressé de questionner William Adams sur ses connaissances en construction navale et ses notions de mathématiques nautiques.
William Adams a rapporté dans une lettre à sa femme la teneur de ses échanges avec Ieyasu Tokugawa qui, devenu hostile à l’entreprise de christianisation des missionnaires portugais et espagnols, et allant bientôt devenir le shogun d’un Japon unifié, imaginait le profit qu’il allait pouvoir tirer de ces étrangers :
« Me présentant devant le roi, il m’a bien regardé, et m’a semblé être merveilleusement favorable. Il m’a fait de nombreux signes, dont certains que j’ai compris, et d’autres non. À la fin, quelqu’un arrivait qui parlait le portugais. Par son intermédiaire, le roi m’a demandé de quel pays je venais, et ce qui nous avait motivé à venir dans ce pays si lointain. Je lui ai fait connaître le nom de notre pays, et que notre pays avait longtemps cherché les Indes orientales, et désiré l’amitié avec tous les rois et potentats dans le but de faire du commerce, ayant dans notre pays diverses commodités que ces pays n’ont pas… Il me demande alors si notre pays est en guerre. Je lui réponds oui, contre le Portugal et l’Espagne, mais étant en paix avec toutes les autres nations. Plus tard, il m’a demandé en quoi je croyais. Je lui ai répondu en Dieu, qui a fait le ciel et la terre. Il m’a posé diverses questions ayant trait à la religion, et à beaucoup d’autres choses, comme quel chemin nous avions pris pour venir dans ce pays. Ayant une carte du monde, je lui ai montré, au travers du détroit de Magellan. À ce moment il s’est posé des questions et pensait que je mentais. Ainsi, d’une chose à l’autre, je suis resté avec lui jusqu’à minuit. »
L’échange entre Ieyasu Tokugawa et William Adams en 1600,
représenté sur une carte du Japon de 1707
Adams a aussi rapporté à sa femme pourquoi Ieyasu Tokugawa avait rejeté la demande d’exécution des jésuites portugais :
« Nous n’avons encore fait ni tort ni dommage, ni à lui ni à quiconque sur son sol ; donc nous mettre à mort aurait été contre la Raison ou la Justice. Si notre pays était en guerre avec une pays ou un autre, ce n’était pas une raison pour qu’il nous mette à mort ; que ceux qui avait cette cruelle prétention étaient sans cœur et qu’elle avait échoué. Pour cela, que Dieu soit loué pour toujours. »
Devenu shogun en 1603, Ieyasu Tokugawa a ordonné à l’équipage d’emmener son navire jusqu’à Edo, où il finit par couler, pourri et irréparable.
Ayant demandé en 1604 à Adams et ses compagnons du De Liefde, de superviser la construction de deux bâteaux selon les techniques de construction européennes, Ieyasu fut enchanté du résultat et décida en conséquence de les en récompenser en leur octroyant des licences leur permettant de pratiquer le négoce dans le sud-est asiatique.
Tokugawa avait institué en effet un système de licences commerciales portant un seau vermillon (shuin), qui lui permettait de contrôler l’activité des marchands et garantissait la protection des navires marchands porteurs de ce sceau, appelés de ce fait Shuinsen (朱印船) , s’étant engagé à poursuivre tout pirate ou nation qui le violerait.
Ayant gagné la confiance absolue de Ieyasu Tokugawa qui lui interdit en conséquence de quitter le Japon, William Adams devint son conseiller et traducteur personnel officiel.
Ieyasu prit un décret en 1604 selon lequel le pilote William Adams était mort et que le samuraï Miura Anjin (三浦按針), était né. Il lui offrit en outre des terres et une pension.
Il fit de même avec un autre survivant du De Liefde, le hollandais Jan Joosten van Lodensteijn (1556-1623), connu au Japon sous le nom de Yayōsu (耶楊子).
Ils sont les deux seuls occidentaux à être jamais devenus samouraï.
En 1605, Adams obtint du shogun Ieyasu Tokugawa une lettre invitant formellement les hollandais à commercer avec le Japon qui se concrétisa en 1609 par leur installation sur l’île de Hirado.
En 1613, il permit également l’installation à Hiredo de ses compatriotes britanniques de la East India Company. Mais leur entreprise n’eut pas le même succès que la VOC.
La brève période d’ouverture du Japon au tournant des XVIe et XVIIe siècle, inaugurée par les portugais, supplantés par les hollandais, s’est même concrétisée, à l’occasion de l’échouage fortuit d’un navire espagnol, par l’envoi d’une ambassade japonaise vers le Europe, qui n’aura finalement aucune suite du fait de la politique de fermeture du Japon opérée entre-temps.
Les Espagnols désiraient répandre la foi chrétienne au Japon, mais leurs efforts dans ce sens rencontraient une forte résistance de la part des jésuites, qui ont commencé l’évangélisation du pays en 1549, mais aussi de celle des Portugais et des Néerlandais qui ne veulent pas voir l’Espagne participer au commerce avec le Japon. Or, l’année même où s’installent les hollandais sur l’île de Hirado, un navire espagnol, le San Francisco, en route de Manille vers Acapulco, s’échoue accidentellement sur les côtes japonaises, à Chiba, non loin d’Edo.
Le capitaine du navire, Rodrigo de Vivero, rencontre le shogun à la retraite Tokugawa Ieyasu. Ils signent un traité le 29 novembre 1609, par lequel les Espagnols gagnent eux aussi le droit d’établir un comptoir dans l’est du Japon. Les navires espagnols sont par autorisés à faire étape au Japon en cas de nécessité et il est décidé qu’une ambassade japonaise doit être envoyée à la cour d’Espagne.
Pour retourner vers la Nouvelle-Espagne, les marins espagnols du San Francisco vont embarquer en 1610 à bord du San Buena Ventura, navire construit quelques années auparavant par William Adams.
Un moine franciscain espagnol du nom de Luis Sotelo, qui fait du prosélytisme dans la région d’Edo, parvient à convaincre le shogun Tokugawa Ieyasu et son fils Hidetada de l’envoyer comme ambassadeur en Nouvelle-Espagne.
Le vice-roi de Nouvelle-Espagne, envoie en retour un ambassadeur au Japon en la personne du fameux explorateur Sebastián Vizcaíno, avec en plus la mission d’explorer « les Îles d’or et d’argent » qu’on suppose alors exister à l’est des îles japonaises.
Vizcaíno arrive au Japon en 1611 et rencontre à de nombreuses reprises le shogun ainsi que des seigneurs féodaux. Il part rechercher en vain les Îles d’argent et retourne au Japon avec des dégâts importants.
Ieyatsu Tokugawa charge alors Date Musamune, puissant daimyō de Sendai depuis 1601, d’organiser une ambassade vers la Nouvelle Espagne, puis vers l’Europe.
En dépit de l’interdiction du prosélytisme chrétien par le shogunat depuis la fin du XVIe siècle, et sous l’impulsion de Date Musamune, qui le permet au contraire sur son territoire, la mission a un double objectif : signer un accord commercial avec le Roi d’Espagne à Madrid et rencontrer le Pape à Rome.
Date Musamune obtient la libération de l’espagnol Luis Sotelo, prisonnier de Ieyasu Tokugawa qui l’a condamné à mort, et charge le moine de porter au Päpe Paul V une lettre de déclaration de foi et d’invitation à évangéliser le Japon à partir de son fief.
Il choisit un de ses vassaux, Hasekura Tsunenaga, pour diriger la mission.
Un bâteau est construit et l’expédition s’élance en 1613 sur l’océan Pacifique. Soixante-trois japonais membres d’équipage sont baptisés à leu arrivée à Mexico.
La délégation repart ensuite sur un bâteau espagnol pour traverser l’Atlantique.
Hasekura Tsunegawa est baptisé à Madrid et reçoit le nom de « Felipe Francisco Hasekura ».
Au moins cinq ou six membres de l’expédition sont restés vivre en Espagne à Coria pour éviter les persécutions contre les chrétiens au Japon. On compte maintenant 600 de leurs descendants nommés « Japón » vivant actuellement en Espagne.
En chemin vers l’Italie, la flotte est contrainte de trouver refuge à Saint-Tropez à cause du mauvais temps. Un récit de notables locaux témoigne de ce passage accidentel de l’ambassade japonaise en France :
Il y a huit jours qu’il passa a St Troppez un grand seigneur Indien, nomme Don Felipe Fransceco Faxicura, Ambassadeur vers le Pape, de la part de Idate Massamuni Roy de Woxu au Jappon, feudataire du grand Roy du Japon et de Meaco. Il avoit plus de trente personnes a sa suite, et entre autres, sept autres pages tous fort bien vetus et tous camuz, en sorte qu’ilz sembloyent presque tous freres. Ils avaient trois fregates fort lestes, lesuqelles portoient tout son attirail. Ils ont la teste rase, execpte une petite bordure sur le derrier faisant une flotte de cheveux sur la cime de la teste retroussee, et nouee a la Chinoise […].
[…] Ilz se mouchent dans des mouchoirs de papier de soye de Chine, de la grandeur de la main a peu prez, et ne se servent jamais deux fois d’un mouchoir, de sorte que toutes les fois qu’ilz ne mouchoyent, ils jestoyent leurs papiers par terre, et avoyent le plaisir de les voir ramasser a ceux de deca qui les alloyent voir, ou il y avoit grande presse du peuple qui s’entre batoit pour un ramasser principallement de ceux de l’Ambassadeur qui estoyent hystoriez par les bordz, comme les plus riches poulletz des dames de la Cour. Ils en portient quantite dans leur seign, et ils ont apporte provision suffisante pour ce long voyage, qu’ilz sont venus faire du deca […].
[…] Le ses epees et dagues sont faictes en fasson de simmetterre tres peu courbe, et de moyenne longueur et sont sy fort tranchantz que y mettant un feuillet de papier et soufflant ilz couppent le papier, et encore de leur papier quy est beaucoup plus deslie que le nôtre et est faict de soye sur lesquels ils escrivent avec un pinceau. […] Quand ilz mangeoient ils ne touchent jamais leur chair sinon avec deux petits batons qu’ils tiennent avec trois doigts.
Relations de Mme de St Troppez, octobre 1615, bibliothèque Inguimbertine, Carpentras
S’il n’existe aucune illustration d’époque de ce passage de l’ambassade japonaise à Saint-Tropez, cet événement a marqué les esprits et le peintre Dany Lartigue, fils du photographe Jacques Henri Lartigue, en a laissé une description très colorée.
Hasekura arriva à Rome en novembre 1615. Il remit deux lettres dorées à l’or fin au pape Paul V, l’une en latin et l’autre en Japonais. Ces lettres d’amitié contenaient aussi une demande de relation commerciale entre le Japon et le Mexique, et l’envoi de missionnaires chrétiens au Japon.
Lettre en japonais, dorée à l’or fin, de Date Masamune au Pape Paul V
(Bibliothèque du Vatican)
L’arrivée de l’ambassade japonaise à Rome a été consignée et fait l’obet d’un récit circonstancié :
[ils] sont petits de corps, ils ont les jambes fort courtes, et sont de couleur qui tire sur le noir, et sont maigres au visage. (…) [ils] portent les cheveux fort longs, desquels ils en font un gros noeud. (…)
Ils tiennent en mangeant deux petits batons à la main avec lesquels prennent leurs viandes, s’en servant fort habilement.
[…] étant au reste gens fort affables et qui ont de l’esprit.
Hasekura Tsunegawa ne rentrera qu’en 1620 pour rendre compte de sa mission à son maître Date Masumune, sept ans après son départ. Il lui rapporte en cadeau un portrait du Pape Paul V.
Mais point d’accord commercial. Le Roi d’Espagne s’y refuse car il considère que cette ambassade n’est pas officielle, puisqu’elle n’est pas celle de Tokugawa mais de l’un de ses vassaux.
Et le contexte au Japon n’est plus le même pour les chrétiens. L’esprit de conciliation dont avait fait preuve Tokugawa Ieyasu en acceptant cette mission est révolu.
Tenté de maintenir des échanges commerciaux lucratifs avec l’Espagne et le Portugal, Tokugawa Ieyasu a une attitude relativement tolérante dans les années 1600 à 1610. Mais, alors qu’il est sous la pression de critiques de la part de la veuve de Toyotomi Hideyoshi, dont le puissant mari, Toyotomi Hideyoshi, avait interdit le christianisme en 1587 et expulsé les missionnaires jésuites. Elle l’accuse de mettre en danger le Japon en remettant en cause la politique anti-chrétienne de son mari.
Dans ces conditions, l’ambassade japonaise était mort-née, alors que se déroulent dans deux espace-temps parallèles des événements contradictoires. Au moment où Hasekura Tsunegawa remet au Pape à la fin de l’année 1615 l’invitation à venir sans crainte évangéliser le Japon, cela fait un an que le shogun Iemistu Tokugawa a prononcé, en 1614, l’interdiction de la religion chrétienne.
Tous les japonais doivent s’enregistrer dans les temples bouddhistes et les chrétiens pratiquent désormais leur culte en secret. C’en est cette fois bel et bien fini des espoirs des marchands portugais et espagnols de parvenir à maintenir ou développer leurs activités au Japon.
D’autres motifs ont amené Tokugawa Ieyasu à changer d’attitude. Il craint le développement d’une religion dont les adeptes ont une loyauté envers leur Eglise plutôt qu’envers lui-même, le shogun. William Adams et les hollandais le sensibilisent aux ambitions territoriales dangereuses des puissances catholiques, quand les puissances protestantes s’engagent à se limiter strictement à des activités commerciales. et une affaire d’intrigues et de corruption, renforça encore son ressentiment envers cette religion, impliquant des japonais chrétiens ayant eu un comportement à la fois peu conforme à leur foi proclamée et irrespectueux envers le shogun lui même.
Préparant sa succession, Ieyasu Tokugawa avait transmis dès 1605 le titre officiel de seii taishōgun à son fils Hidetada, conservant en réalité le pouvoir sous le titre d’ogosho (ou « shogun cloîtré ») jusqu’à sa mort en 1616. Hidetada fit de même avec son propre fils Iemitsu en lui transmettant le titre de seii taishōgun en 1623 et demeurant ogosho jusqu’à son décès en 1635.
Les hollandais vont s’assurer définitivement du monopole de leur présence au Japon à l’occasion de la révolte de japonais chrétiens en 1637-1638 (rébellion de Shimabara), en aidant à la réprimer, à la demande du shogun Tokugawa.
Un adolescent de 17 ans, Amakusa Shirô, à la tête de 37000 rebelles retranchés dans le château de Hara, résista jusqu’au bout. L’assaut final fut donné le 12 avril 1638. Il dura 3 jours et tous les insurgés furent massacrés, y compris femmes et enfants.
L’aide hollandaise, accordée selon son chef avec réticence consista à tirer sans efficacité des boulets de canon sur les murailles du château à prendre. Mais cette aide fut appréciée du shogun et contribua à restaurer sa confiance envers les hollandais, qui venait d’être mise à mal par « l’incident Nuyts ».
Le hollandais Pieter Nuyts avait été nommé en 1627 ambassadeur de la Compagnie hollandaise auprès du Japon et Gouverneur de Formose. Il avait acquis une certaine notoriété pour avoir emmené des femmes autochtones dans son lit avec un traducteur caché sous le lit… Mais c’est son comportement maladroit et hautain dans ses tentatives de mainmise commerciale de la VOC sur Formose, interférant avec des intérêts commerciaux japonais, qui fut à l’origine d’une crise aiguë entre le shogun ieyasu Tokugawa et la VOC.
Décrit dans les livres d’histoire comme « l’intimidateur occidental arrogant typique qui a porté atteinte aux droits commerciaux japonais et a foulé aux pieds les droits des habitants indigènes », Pieter Nuyts faillit faire perdre à la VOC la confiance du shogun. Aussi, afin d’apaiser sa colère, la VOC prit la décision exceptionnelle de l’extrader vers le Japon afin de le livrer au shogun qui le retint prisonnier de 1632 à 1636.
C’est ici qu’entre en scène un français (le premier à avoir visité le Japon)… Francois Caron (1600-1673), aventurier hugenot, s’était engagé dans la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales, et était arrivé à l' »usine » de Hirado en 1619. Après avoir épousé une japonaise et avoir parfaitement assimilé le japonais, il devint l’interprète attitré de la VOC.
Diplomate, il il sut gérer la crise aiguë générée en 1627 entre la VOC et le shogun ieyasu Tokugawa, et parvint à obtenir de ce dernier la libération de Pieter Nuyts.
Pour ce faire, il offrit en 1636 au shogun une énorme lanterne en bronze. Cette lanterne est aujourd’hui encore visible dans l’enceinte du sanctuaire shinto Tôshô-gu édifié en 1617 à Nikkô et qui abrite le mausolée du fondateur de la dynastie, Ieyasu Tokugawa.
Francois Caron prit la tête de l' »usine » de Hirado en 1639 à un moment clé. En effet, le shogun Iemistu Tokugawa a ordonné la fermeture et la destruction de l’établissement hollandais de Hirado et décide d’instaurer un isolement renforcé et strict du Japon, appelé sakoku (politique de la « porte fermée »), les Néerlandais sont désormais seuls autorisés comme associés commerciaux occidentaux.
François Caron est l’auteur d’un ouvrage sur le Japon et le Siam publié en 1648 en néerlandais et en 1671 en anglais, sous le titre A true description of the mighty kingdoms of Japan and Siam. Il s’agit d’un document administratif rédigé dans une perspective commerciale mais qui donne des indications sur la nature autoritaire du régime politique, la condition féminine ou le culte de l’honneur.
La carte du Japon qu’il contient est encore très grossière et montre un isthme rattachant l’île au continent chinois. Les japonais eux-mêmes ont en effet ignoré tardivement si leur pays était ou non une île.
Après avoir été Gouverneur de Formose et Directeur général de la VOC à Batavia, il s’en retira et reçut en 1664 une offre de Colbert pour devenir le directeur général de la Compagnie française des Indes orientales qu’il accepta. Il meurt malheureusement le 5 avril 1673, dans le naufrage de son navire dans la bouche du Tage alors qu’il revient en Europe, réduisant à néant le projet de Colbert de concurrencer la VOC en Asie.
La politique japonaise d’isolement, comportant interdiction d’entrer ou sortir du territoire pour tout Japonais sous peine de mort, l’expulsion de tous les étrangers et la destruction des navires capables de naviguer en haute mer, durera deux siècles, jusqu’à l’intervention américaine du Commodore Perry en 1853.
La dernière tentative portugaise de contact, presque 100 ans après l’arrivée de ses missionnaires, se termina tragiquement. Le 3 août 1640, un navire portugais se présenta en rade de Nagasaki avec à son bord 57 envoyés d’une ambassade souhaitant négocier. Leur navire fut incendié et ils furent tous exécutés, à l’exception de l’équipage, renvoyé afin de pouvoir en rendre compte.
La petite île artificielle de Dejima, proche de Nagasaki, avait été construite pour permettre aux Portugais d’y accoster pour décharger leurs navires.
C’est désormais la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales qui va dès 1641 en disposer seule, pour organiser son commerce, après y avoir transféré son siège de Hirado.
Dejima, qui signifie en japonais « île extérieure », avait une forme d’éventail et mesurait seulement 120 mètres sur 75. La présence hollandaise était étroitement surveillée, contrôlée et codifiée par les japonais. En principe, les habitants, qui n’ont jamais dépassé 20 en nombre, n’étaient pas autorisés à sortir, et les Japonais locaux, à l’exception de ceux qui fournissent des services tels que la cuisine, l’interprétation et la prostitution, n’avaient pas le droit d’entrer dans l’enceinte.
Confinés la plupart du temps sur l’île de Dejima, les hollandais organisaient des repas et des réceptions au cours desquelles étaient conviés quelques japonais.
Dîner à Dejima
Réception donnée par le chef hollandais de Dejima
Nous devons au peintre Kawahara Keiga un grand nombre d’illustrations de Dejima. Il a en effet travaillé comme peintre à l’usine hollandaise de Dejima de 1811 à 1842, avec l’autorisation spéciale du gouvernement japonais. À la demande de directeurs successifs à Dejima, Kawahara a documenté de nombreux aspects de la vie du Japon en général et à Dejima en particulier.
La baie de Nagazaki où figure au milieu à gauche l’île de Dejima
Aucune femme étrangère n’était admise à Dejima. Le directeur hollandais qui prit ses fonctions en 1817, Jan Cock Blomhoff, fut le premier à tenter d’emmener sa femme, accompagnée de son jeune fils, et d’une nourrice.
Elles ne furent pas autorisées à demeurer au Japon, et durent repartir, mais suscitèrent une grande curiosité puisque c’étaient les premières femmes européennes que voyaient les japonais et des peintres s’empressèrent d’en conserver la trace.
A la vérité, il y avait déjà eu un précédent. En effet, le français François Caron avait obtenu l’autorisation de demeurer à Dejima avec sa famille.
Dejima était directement placée sous la supervision d’un préfet (Nagasaki bugyô), représentant du pouvoir central d’Edo, qui était responsable de tous les contacts de japonais avec les étrangers de la VOC. Il inspectait tout navire néerlandais qui arrivait à Dejima, et saisissait ses voiles jusqu’au départ du bâtiment.
Dans le climat de rejet du christianisme qui règne alors, les négociants de la VOC ont interdiction d’importer quoi que ce soit de religieux. A leur arrivée, les Bibles et les armes sont confisqués et mis sous scellés. De plus, aucun service religieux n’était toléré à Dejima. Les résidents ne peuvent enterrer leurs morts à terre. Ils ont par ailleurs l’ordre express de travailler le dimanche.
Des mesures anti-chrétiennes ont perduré très longtemps après l’interdiction de la religion chrétienne en 1614, comme l’a rapporté Carl Thunberg qui en a été le témoin en 1776 à Nagazaki :
Le 22 février et jours suivans on fit à Nagasaki et dans les environs, cette fameuse cérémonie, si affligeante pour les bonnes ames chrétiennes. Les Japonois foulèrent aux pieds la croix et les images de Jésus et Marie. Malgré le desir que j’avois de connoître les circonstances de cette étrange cérémonie, je ne pus trouver qu’un officier hollandois qui ait eu occasion d’en être témoin , comme il se rendit auprès du gouverneur de la ville pour conférer avec lui sur les préparatifs de notre voyage à la cour d’Iédo ; ce qui dément formellement l’assertion aussi fausse que ridicule de quel ques écrivains qui prétendent que les Hollandois ne sont admis au Japon qu’après avoir foulé aux pieds les images les plus révérées parmi les chrétiens. J’ajouterai qu’on n’exige même d’eux aucune forma lité capable d’effaroucher la conscience la plus timorée : or, celle dont je parle n’est imposée qu’aux naturels de tous les endroits où le christianisme avoit jetté antrefois quelques racines. Le Gouvernement emploie ce moyen pour s’assurer de la complète extirpation de cette religion, et éterniser la haine pour les Portugais qui l’ont introduite. Tous les habitans, excepté le gouverneur et ses gens, sont obligés de marcher sur les figures dont je viens de parler. On soutient les petits enfans sous les bras, de manière que leurs pieds puissent au moins y toucher. Des inspecteurs assemblent les domiciliés de chaque quartier , les appellent par leur nom, et veillent à ce que tout se passe avec ordre et décence. Cette cérémonie dure quatre jours à Nagasaki.
Tel un vassal, une fois par an, le chef de la VOC, l’opperhoofd ou kapitan, dont le mandat était limité à un an devait se rendre à la capitale Edo en ambassade pour rendre hommage au shogun, lui apportant de nombreux présents « exotiques ».
Ceux-ci peuvent être des instruments (horloges, télescopes), des médicaments, des éléments d’artillerie ou des animaux inconnus au Japon.
Ainsi, Willem Verstegen, Kapitan de la VOC en 1646-1647, apporta au shogun deux chameaux, une civette, un casoar, deux cacatoès, des médicaments et un un diorama miniature.
Dans un tel contexte, la découverte de la flore japonaise va s’avérer délicate et demander, à ceux qui veulent s’y aventurer, à la fois de l’obstination et une préparation digne d’une mission d’espionnage commençant par l’apprentissage du hollandais afin de se faire passer pour un compatriote des marchands hollandais, seuls étrangers admis à Déjima.
Le pionnier de cette aventure est un médecin botaniste allemand, Andreas Clayer (1634-1698). Embarqué en 1661 comme simple soldat sur un navire de la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales, il est d’abord resté durant 20 ans à Batavia, capitale de la VOC en Insulinde. Là, en tant que technicien de laboratoire s’occupant de la fourniture et de la fabrication de médicaments, il plante son propre jardin d’herbes aromatiques médicinales et gère la pharmacie de l’hôpital militaire de la capitale.
Puis, Andreas Clayer prend la fonction d’opperhoofd de la VOC à Dejima du 20 octobre 1682 au 8 novembre 1683. Ses compétences médicales et botaniques intéressent les japonais. Aussi, par exception à l’interdiction de sortir de l’île de Dejima, et dans le but de profiter de ses éventuelles découvertes de plantes locales utiles, les japonais l’autorisent à botaniser sur le territoire japonais, assisté de son jardinier George Meister. Il profitera aussi de l’ambassade obligée à Edo de tous les kapitan de la VOC pour herboriser en chemin.
Andreas Cleyer redeviendra opperhoofd de la VOC du 17 octobre 1685 au 5 novembre 1686. Mais cette fois, les autorités japonaises lui interdisent toute activité car ils lui reprochent d’avoir manqué à son devoir de contrôle de la contrebande. Il retourne alors au siège de la VOC à Batavia, où il meurt en 1687.
Premier européen à avoir étudié la flore japonaise, Andreas Cleyer a pu transmettre le fruit de ses recherches sur les plantes japonaises, par le biais de la Leopoldina, plus ancienne académie scientifique et médicale européenne encore en activité, créée en 1652, où Il avait été admis en 1678.
La Leopoldina fut créée en 1652 par quatre médecins allemands, sous le nom d’Academia Naturae Curiosorum (Académie des Curieux de la Nature). Elle a édité une revue scientifique à partir de 1670, consacrée à la médecine et aux sciences naturelles, et a longtemps fonctionné seulement par correspondance.
Le siège de la Leopoldina ne date donc que du début du XXème siècle. Elle compte parmi ses membres de très nombreux prix Nobel.
Sa devise est Nunquam Otiosus …
Ses observations vont ainsi être envoyées l’académie par des lettres adressées au docteur Christian Mentzel, également membre de la Leopoldina, et publiées à partir de 1683 dans le journal Miscellanea curiosa medico-physica Academiae Naturae Curiosorum sive Ephemeridum medico-physicarum Germanicarum curiosarum.
Envoyées du Japon par bâteaux, les contributions d’Andreas Clayer à la revue Ephemeridum de la l’Académie des curieux de la Nature vont paraître dans 13 numéros, entre 1683 et 1700.
Andreas Cleyer a notamment décrit :
- le camphrier (kusu no ki) et l’appareil à le distiller utilisé par les japonais ;
- deux plantes aquatiques, le koebe et le fasnofana (semblables au nymphéa) ;
- deux arbres, le caschy que les Japonais utilisaient pour faire du papier et le fiewa ;
- le camellia (tsubaki), qu’il est le premier européen à décrire.
En dehors de la botanique, Cleyer a également édité deux ouvrages de médecine chinoise écrits par le moine polonais Michal Boym :
- Specimen medicinae Sinicae (« Plantes médicinales chinoises ») en 1682 ;
- Clavis medica ad Chinarum doctrinam de pulsibus (« Fondements de la doctrine médicale chinoise sur le pouls ») en 1686.
La découverte du Camellia par les européens
C’est AndreasClayer qui fait découvrir le Camellia à l’Europe en le décrivant pour la première fois. Appelé Tsubaki (椿) au Japon, le Camellia fait partie de la famille des théiers. Ce dernier est nommé Camellia sinensis. Les feuilles de thé s’échangeant alors une fortune, lorsque les hollandais chercheront à acquérir des graines ou des plants de théiers auprès de chinois, ces derniers leur livreront intentionnellement des Camellia d’ornement de type Camellia japonica. La supercherie aura néanmoins le mérite d’avoir été l’occasion de l’importation en Europe de cette plante.
Le Camellia sera cultivé d’abord en Angleterre au milieu du XVIIIe siècle, puis en France au début du XIXe, notamment au jardin de Joséphine de Bauharnais à la Petite Malmaison, qui en lance la mode. L’Abbé Berlèze, qui cultiva près de 300 espèces, en publia une monographie au milieu du XIXe siècle (Cf article sur ce site).
La culture du Camellia s’est répandue depuis le début du XVIIe siècle au Japon, suscité par l’intérêt passionné que lui portait Hidetada Tokugawa, 2ème shogun de la dynastie, qui régna de 1605 à 1623. Le jardinage devient populaire pendant la période Edo. Dans la première moitié du 17e siècle, il y avait plus de 100 variétés de Camellia cultivées, et un certain nombre d’oeuvres représentant le camellia sont apparues.
Parmi elles, l’extraordinaire rouleau peint (emaki 絵巻, littéralement «rouleau peint»), dans la 2ème moitié du XVIIe siècle, peu de temps avant l’arrivée de Clayer au Japon. Conservé à la Bibliothèque de la diète japonaise et représenté ci-dessous, il a une longueur exceptionnelle de 13,5 mètres, présentant 48 espèces de Camellia.
Resté à Batavia, Cleyer a passé le flambeau des investigations de la flore japonaise à son compatriote
Kaempfer était un aventurier. Il écrira dans la préface de son HIstoire du Japon : « J‘aimois mieux mener une vie errante & inquiete, que d’aller m’exposer chez moi à cette foule de Calamitez dans les quelles ma Patrie étoit enveloppée. »
Avant d’arriver au Japon, il avait voyagé durant 10 ans par la Russie, la Perse, l’Inde, Java et le Siam. Il recueillit quantité d’informations précieuses en étant souvent le premier européen à se rendre dans les lieux qu’il visita. Parti au sein d’une légation suédoise chargée de visiter les cours de Russie et de Perse, il pris sa liberté en chemin et, après son séjour en Iran, décida de rejoindre la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales à Bandar Abbas où il resta 3 ans. Puis il embarqua pour Batavia, en passant par Oman et le Siam. Il arriva à Dejima en 1690.
Il dut lui aussi, se faire passer pour hollandais en parlant leur langue.
En tant que médecin, il participa deux fois à l’ambassade annuelle d’hommage se rendant tous les ans à Edo.
Il y rencontra le shogun Tokugawa Tsunayoshi (1646-1709), 5ème shogun de la dynastie Tokugawa depuis Ieyasu.
Connu sous le nom de « shogun chien », il avait une telle passion pour animaux, et spécialement les chiens, qu’il prit un décret interdisant d’abattre des animaux, nomma un responsable chargé de la protection animale, et fit installer des mangeoires pour plus de 100 000 chiens.
Kaempfer profita de sa participation à deux ambassades pour botaniser en chemin mais aussi pour réaliser des cartes des routes empruntées. Sur l’illustration ci-contre, Kaempfer s’est représenté parmi l’ambassade hollandaise.
Kaempfer a eu accès à l’intégralité des rapports internes de la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales. Complétés par ses propres observations, ils vont lui permettre de recueillir une somme considérable et inégalée de renseignements sur le Japon, dans le but d’en publier un compte-rendu qui répondait à une demande pressante en Europe.
Après deux années passées à Dejima, et vingt-sept ans depuis son départ d’Allemagne, Kaempfer revint à Amsterdam en 1693. Il publia en 1712 Amoenitates Exoticae, un ouvrage de 900 pages en latin relatant son séjour en Perse et comportant un chapitre sur la flore du Japon.
Amoenitatum Exoticarum est un ouvrage singulier, par son titre, qui signifie « Les attraits de l’exotisme »… , et par son contenu. Kaempfer y décrit des lieux qu’il est le premier européen à avoir jamais visité, comme les champs de pétrole en feu de Bakou.
Il décrit aussi à Malabar à une scène de fête en l’honneur du dieu Vischnou, où s’exécutent des danses extatiques sous l’effet du cannabis :
« A Malabar, au moment des sacrifices en l’honneur de Vishnu, les brahmanes font venir dans le temple des jeunes filles agréables à voir et richement décorées qui sont amenées pour apaiser le dieu qui règne sur l’abondance et le beau temps. On leur fait prendre une potion à base de chanvre et de datura, et quand les effets de la drogue ont commencé, le prêtre commence ses invocations au dieu. Les possédées commencent à danser, sauter, se tordant les bras en criant. Ouvrant de yeux extatiques, elles commettent toutes sortes d’excentricités. Quand elles sont à bout de forces, on leur donne une potion pour détruire l’effet de la précédente, et on les montre à nouveau à la foule des fidèles pour qu »ils puissent constater que les démons se sont enfuis et que l’idole est enfin apaisée »
L’Amoenitates Exoticae de Kaempfer
constitue la première publication scientifique
sur la flore du Japon.
C’est dans l’Amoenitates Exoticae que Kaempfer décrit pour la première fois le Ginkgo biloba en 1712.
Le Ginkgo
Kaempfer a été le premier occidental à décrire le Ginkgo et à envoyer des spécimen et des graines en Europe. C’est la plus ancienne famille d’arbres connue, puisqu’elle serait apparue il y a plus de 270 millions d’années. Elle existait déjà une quarantaine de millions d’années avant l’apparition des dinosaures. Sa durée de vie est très importante, celui du jardin botanique de l’Université du Tōhoku est âgé de 1 250 ans. Le ginkgo serait un être vivant potentiellement immortel. Un exemple extrême de sa résistance est le fait qu’il fut la première espèce d’arbre à repousser après l’explosion de la bombe atomique le 6 août 1945 à Hiroshima. Un Ginkgo biloba situé à moins d’un kilomètre de l’hypocentre a même survécu. Introduit au Japon il y a environ 1200 ans, cet arbre avait été longtemps considéré comme éteint. On le rencontre dans les enceintes des temples et des sanctuaires. Il est utilisé dans les campagne pour marquer les limites de la propriété en raison de sa croissance droite et mince. Le premier pied de Ginkgo biloba en France a été planté en 1778 au jardin des plantes de Montpellier. En 1795, une bouture prise sur ce ginkgo de Montpellier a été plantée au jardin des plantes de Paris. Ces deux arbres sont toujours vivants à ce jour. Le surnom d’« arbre aux quarante écus » du Ginkgo vient du fait que le botaniste français M. de Pétigny a acheté, en 1788, 5 plants de ginkgo à un botaniste anglais pour la somme considérable de 25 guinées, soit 40 écus chaque pied.
Kaempfer n’eut pas le temps d’achever avant de mourir son grand livre sur le Japon. C’est l’anglais Sir Hans Sloane (1660-1754), l’un des plus grands collectionneurs de son temps, médecin de la cour et secrétaire de la Royal Society, qui entreprit de faire traduire en anglais le manuscrit de Kaempfer et de le publier.
Sir Hans Sloane (1727-1741) est un médecin, naturaliste et collectionneur irlandais d’origine écossaise.
Le don des ses immenses collections à la nation, à sa mort en 1741, est à l’origine de la création du British Museum.
On a donné son nom, et même son prénom à plusieurs lieux des quartiers londonien de Kensington et Chelsea : Sloane Square, Sloane Street et Sloane Gardens, Hans Street, Hans Crescent, Hans Place et Hans Road.
Outre le manuscrit de L’Histoire du Japon de Kaempfer, qu’il fera traduire et publier, il a acquis entre autres son herbier ainsi que de nombreux livres et objets ramenés par Kaempfer du Japon et qui forment la base de la collection japonaise de la British Library.
« Il semble que la Nature ait voulu que ces Isles formassent une espéce de petit Monde séparé & independant de tout le reste, en les rendant d’un accès si difficile, & les fournissant abondamment de tout ce qui est necessaire pour faire vivre les habitans d’une maniere agreable & delicieuse, & sans avoir besoin du commerce des Nations étrangeres. »
En appendice de son ouvrage, la réflexion de Kaempfer sur le bienfondé de l’isolement du Japon mérite d’être relue aujourd’hui car elle est toujours actuelle.
- En premier lieu, si l’isolement du Japon n’est plus comparable à celui autrefois volontaire de la politique de sakoku, il demeure cependant un trait distinctif caractéristique de cette nation si singulière.
- La réflexion de Kaempfer est d’autre part d’un grande actualité et modernité, à l’heure dun rejet croissant des excès de la mondialisation et de l’arasement des cultures.
Kaempfer pose la question du bienfondé de l’isolement japonais par rapport à l’évidence des « lois de la nature » qu’il transgresserait par son attitude :
La necessité où les hommes se trouvent du secours les uns des autres, devroit être le noeud le plus fort de leur amitié, & de leur commerce mutuel. Les Japonnois par cette raison ne meritent-ils pas d’être accusez d’avoir fait une breche infigne aux loix de la nature, & de n’avoir aucun égard à la volonté supreme du sage createur ; n’ont-ils pas contrevenu volontairement aux loys de la societé que Dieu vouloit qui durât toujours parmi les hommes? Fermer l’Empire, comme ils font, refuser tout accez, & tout commerce aux étrangers ; repousser de vive force ceux qui veulent y entrer ; tenir les naturels du pays dans les confins du pays comme s’ils y étoient prisonniers ; condamner à une prison perpetuelle, comme fugitifs, ceux mêmes que les tempétes ou le mauvais temps ont forcé d’aborder leurs cótes ; condamner à la croix ceux d’entre eux qui quittent le pays par leur propre choix, soit par mecontentement, soit dans le dessein de voir les autres pays du monde. Qu’est ce autre chose, si ce n’est transgresser les loix de la nature & violer l’ordre infiniment sage que l’Etre supreme a établi dans le monde ?
Mais le Japon que Kaempfer a observé est un peuple industrieux qui a su tirer bénéfice de son environnement : « Une nation nombreuse comme celle des Japonnois, si fort ennemie de l’oisiveté, confinée avec cela dans les limites étroites de son propre pays, a du apprendre à se servir de plusieurs productions de la nature, que la terre ou la mer fournissent, non seulement pour le soutien de la vie , mais encore pour la rendre douce & agreable. (…) la nature n’a pas donné pour rien à cette nation un corps vigoureux pour le travail & un esprit capable des inventions les plus ingenieuses ».
Pour expliquer le comportement du Japon, Kaempfer fait le constat que les japonais, « renfermez dans les limites de leur Empire, jouissent du bonheur de la paix, & du contentement, sans se soucier d’avoir aucun commerce ou communication avec les nations étrangeres ; à cause que tel est le bonheur de leur pays qu’ils peuvent s’en passer.«
Selon Kaempfer, les japonnais trouvent « dans les confins de leur propre patrie de quoi vivre heureux & contents: depuis surtout que l’Empire à été fermé, la nature, cette bonne maitresse , leur a enseigné, comme ils le reconnoissent eux mêmes sans peine, qu’ils peuvent subsister de ce que leur pays produit lui même, sans avoir besoin que les étrangers leur fournissent les besoins de la vie. Quiconque voudra prendre la peine de considerer l’état présent du pays, si heureux, & si tranquille, trouvera que ce que je dis est veritable. »
Dès lors, Kaempfer conclut « Que leur pays ne fut jamais dans une situation plus heureuse qu’à present, qu’il est gouverné par un monarque despotique , & arbitraire ; fermé, & gardé de tout commerce & de tonte communication avec les nations étrangeres ».
Kaempfer explique ce paradoxe par le fait que le régime dirigiste du Japon l’a pacifié intérieurement et lui a permis d’exploiter ses atouts naturels, grâce à la nature énergique et inventive de sa population, à l’abri des convoitises ou des influences intéressées de l’étranger.
Les qualités propres du peuple japonais, que Kaempfer souligne abondamment, sont certainement en vérité la raison ultime de la réussite de son modèle isolationniste, de sa viabilité, mais aussi de son caractère unique…
Ainsi, Kaempfer réfute l’idée que le peuple japonais puisse être une colonie chinoise : « Je suis fort éloigné de croire que les Japonnois descendent des Chinois ce peuple si effeminé ; (…) Les Japonnois ont plûtôt quelque chose du genie, & des inclinations des Tartares, temperez par beaucoup de politesse & de civilité : on remarque dans leur complexion un mélange de la vivacité brusque des Tartares, & de la gravité & de l’humeur calme des Chinois. »
Kaempfer reconnaît en fin aux japonais des qualités morales exceptionnelles :
« On ne peut pas dire avec cela des Japonnois qu’ils sont athées, ni pour la croyance, ni pour les moeurs. (…) J’ose assurer d’ailleurs, que pour la pratique de la vertu, la pureté de meurs, & l’exterieur de la devotion, ils surpassent beaucoup les Chrétiens: soigneux du salut de leurs ames, scrupuleux jusqu’à l’excez pour l’expiation de leurs crimes, & passionnez pour le bonheur de la vie à venir ».
Le traité en latin de Kaempfer est traduit en hollandais en 1733, et arrive au Japon dans les années 1770, où Shizuki Tadao, un « spécialiste des études hollandaises » (rangakusha), traduit le chapitre sur la politique de fermeture du Japon. C’est à l’occasion de cette traduction que Shizuki crée le terme sakoku (« pays verrouillé »), terme dont la création même réfute ce qu’il désigne.
Six études qui ont fait la renommée du livre de Kaempfer figurent en appendice de l’Histoire du Japon. Elles sont consultables ci-dessous.
I. Histoire Naturelle du Thé du Japon, avec une exacte Description de cette Plante, de sa Culture, de son Accroissement, de sa Préparation, & de ses Usages.
II. Des Manufactures de Papier du Japon
III. De la cure de la Colique par la Piqure d’une Eguille, telle qu’elle est en usage parmi les Japonnois.
IV. Relation du Moxa, excellent Caustique des Chinois & des Japonnois, avec une Représentation pour montrer quelles sont les Parties du Corps Humain où l’on doit appliquer le Feu avec cette Plante en divers genres de Malaies.
V. Observations sur l’Ambre-gris
VI. Reflexions sur la Question s’il est avantageux pour le bien de l’Empire du Japon d’être fermé comme il est, aux Etrangers, & à ses Habitans, à qui l’on ne permet point d’avoir aucun commerce ni dedans ni dehors l’Empire, avec les Nations Etrangeres.
C’est un autre illustre britannique, Joseph Banks, qui va publier en 1791 une sélection de dessins botaniques réalisés par Kaempfer au Japon sous le titre Icones selectae plantarum quas in Japonia collegit et delineavit Engelbertus Kaempfer.
Sir Joseph Banks (1743-1820) est un naturaliste botaniste issu de l’aristocratie anglaise qui, à peine âgé de 25 ans, a participé en tant que naturaliste au premier tour du monde de James Cook (1768-1771) en ramenant d’innombrables spécimens de plantes et d’animaux.
Nous lui devons l’introduction en Europe de l’eucalyptus et du mimosa. Il fut le en outre premier à ramener des spécimens de kangourous.
Dans la deuxième partie de sa vie, il a succédé à Isaac Newton à la tête de la Royal Society, dont il est demeuré le Président durant 41 ans.
La richesse de la collection de plantes rapportées par Joseph Banks de Madère, du Brésil, de la Terre de Feu, des îles de la Société, de Nouvelle-Zélande, d’Australie et de Java, demeura longtemps inexploitée.
Les dessins rapportés du voyage furent rapidement utilisés pour créer 743 aquarelles qui devaient ensuite servir de modèles pour des gravures devant paraître sous le nom de Florilège de Banks.
Mais ce n’est qu’à la fin du XXème siècle, de 1980 à 1990, que parut la première édition complète en couleurs du Florilège.
On doit à Joseph Banks l’introduction en Europe de l’Eucalyptus et du mimosa.
A cet ouvrage fondamental pour former le regard porté par le monde occidental sur le Japon va faire écho un traité sur le monde occidental publié quelques années plus tôt, en 1715, le Seiyō Kibun (西洋紀聞), fruit des conversations entre Arai Hakuseki, un érudit japonais conseiller du shogun, et un jésuite italien, Giovanni Battista Sidotti, entré clandestinement au Japon, déguisé en samouraï, et rapidement emprisonné.
C’est un médecin botaniste suédois, Carl Thunberg, qui va suivre à la fin du 18e siècle les traces de Cleyer et Kaempfer. Disciple de Linné, auquel il succèdera à son décès, il projette de partir récolter, pour les jardins botaniques hollandais, des spécimens de la flore des colonies néerlandaises et du Japon. Embarqué comme médecin sur un navire de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, il fait escale au Cap durant trois ans afin d’y apprendre le néerlandais pour pouvoir se faire passer pour un hollandais au Japon, condition sine qua non pour pouvoir y mettre pied. En 1775, il arrive sur l’île de Dejima où il restera plus d’un an comme chirurgien. A côté de spécimens de plantes négociés avec ses interprètes contre des connaissances médicales, Carl Thunberg se risque à quelques incursions à terre, pourtant interdites. L’occasion d’herboriser se présente à lui à la mi-1776 quand il a l’opportunité de faire partie de l’ambassade du directeur de la colonie hollandaise au shogun à Edo. Il en profite alors pour récolter de nombreux spécimens de végétaux.
En 1784 parait sont ouvrage Flora Japonica, fruit de ses recherches. Il donne, à de nombreuses espèces nouvelles, l’épithète de japonica mais la plupart provenaient en fait de Chine et avaient été importées au Japon pour orner les jardins du pays.
Thunberg est le premier botaniste à collecter et décrire des plantes au Japon en utilisant l’approche linnéenne. Son livre, Flora Japonica (1784), fut la première flore des plantes japonaises.
Une version modifiée et adaptée de Flora Japonica traduite en japonais, nommée Taisei Honzō Meiso, a été publiée par Itō Keisuke en 1829, l’année après le décès de Thunberg. Taisei Honzō Meiso a contribué à l’introduction du système de classification linnéen dans la biologie japonaise.
Illustrations de Icones plantarum japonicarum
Thunberg ramena des centaines de spécimens de plantes. Son herbier japonais est conservé au Musée de l’Evolution de l’Université d’Uppsala en Suède, où il enseigna jusqu’à la fin de sa vie.
Philipp Franz Balthasar von Siebold (1796-1866), médecin et naturaliste allemand, va lui aussi devoir se faire passer pour un hollandais, en apprenant la langue, afin de pouvoir herboriser au Japon. Pour cela, il entre à l’âge de 26 ans comme docteur à la Compagnie hollandaise des Indes Orientales et s’embarque vers le Japon où il arrive en 1823 et où il va rester six ans.
Auprès des interprètes japonais étonnés, il fait passer son fort accent bavarois pour un mystérieux dialecte hollandais.
Après avoir guéri un officier local influent, Siebold a obtenu la permission de s’aventurer hors de Dejima.
Profitant d’un assouplissement de la politique japonaise, et avec l’appui de scientifiques japonais qu’il avait convaincus et qui le recommandaient au shogun, Siebold parvint à s’installer sur la terre ferme et ouvrit une école d’enseignement de médecine et d’histoire naturelle.
Il y prodigua des cours à des élèves sélectionnés par le shogunat, venus de tout le Japon et avides de recevoir des cours d' »études hollandaises », c’est-à-dire occidentales, les rangaku (蘭学).
Siebold acquiert une renommée considérable au Japon. Il est invité à Edo.
Siebold poursuit l’œuvre des pionniers de la découverte de la flore du Japon. Il crée un jardin botanique sur l’île de Dejima où il érige un monument en 1826 pour saluer les réalisations de ses prédécesseurs au Japon, Engelbert Kaempfer et Carl Peter Thunberg.
Le monument est gravé en latin avec ce qui suit :
Kaempfer, Thunberg, regardez ! Vos plantes poussent bien vertes et fleurissent ici chaque année. Moi, le planteur, le Dr Von Siebold, je vous offre une couronne de fleurs d’amour.
Grâce à de multiples contributions autochtones, de ses élèves et collaborateurs, constitue la plus importante collection de plantes japonaises jamais réunie. En plus de la botanique, Siebold rassemble des spécimens sur la faune japonaise et profite en outre de ses élèves pour leur faire rédiger en néerlandais des mémoires relatifs à tous les aspects de la civilisation japonaise : linguistique, histoire et géographie… N’étant pas autorisé à se faire payer pour ses consultations, il obtient de ses patients d’innombrables objets et bibelots qui prirent ensuite une valeur historique, et constituèrent la base de sa grande collection ethnographique.
Kawahara Keiga, l’oeil de Siebold au Japon
Siebold emploie des illustrateurs japonais pour dessiner les plantes et les animaux, mais aussi plus largement des objets, des scènes de la vie sociale, des portraits et des paysages.
Les autorités japonaises avaient autorisé en 1811 un jeune peintre, Kawahara Keiga, à travailler pour les hollandais à Dejima. Siebold l’employa et l’emmènera avec lui lors de ses deux ambassades à Edo. Keiga était l’oeil de Siebold au Japon.
Il l’appréciait beaucoup puisqu’il a écrit à son propos : Les compétences remarquables du peintre japonais Toyosuke (Keiga) et sa peinture éclatante du Japon ne se faneraient pas dans la beauté de la nature et des objets réels.
Siebold tenant à ce que les illustrations botaniques qu’il commandait respectent les critères esthétiques et de précision européens, il obtint la venue en 1825 à Dejima de Carl Hubert de Villeneuve (1800–1874) pour enseigner à Kawahara les principes fondamentaux des techniques de peinture occidentales. En conséquence, Keiga a introduit ces techniques dans la peinture japonaise traditionnelle.
Kawahara avait appris les méthodes traditionnelles japonaises de son père, également peintre. Bien qu’il ait été influencé par la peinture occidentale et les consignes de Siebold, Keiga a forgé un style unique qui allait bien au-delà de la simple imitation. Ses œuvres ont une qualité magique propre à cette intégration des cultures à l’œuvre sur Dejima.
Le style de Kawahara Keiga, tout en respectant les conventions occidentales qui lui étaient prescrites, par l’abondance des détails, rappelant les livres d’histoire naturelle européens, conserve un style distinctement japonais : sa sobriété et sa concision suffisent à fournir les informations exigées tout en ne noyant pas son sujet dans des détails inutiles.
Kawahara présentait souvent une seule branche d’une plante, en fleurs, au centre d’un plan vierge. Les éléments de la fleur, et les étapes de sa croissance, étaient représentés en bas ou sur le côté.
Parfois sont représentés les racines, les graines et les fruits de la plante – montrés sur la branche, séparés et en coupe.
Dans la plupart des cas, les spécimens étaient étiquetés en caractères katakana en haut à gauche de la feuille, en caractères kanji en haut à droite et signés avec deux timbres vermillon en bas à gauche.
En combinant ces techniques avec les méthodes traditionnelles japonaises qu’il avait apprises de son père, également peintre, Kawahara a forgé un style qui rappelle les livres d’histoire naturelle européens de l’époque tout en restant distinctement japonais.
Ses illustrations remarquablement observées et extrêmement détaillées se présentent comme des rendus précis de ses sujets, mais aussi comme des œuvres d’art étonnantes.
Le talent particulier de Keiga est manifeste dans ses aquarelles de plantes réalisées pour Siebold. Le Japon n’en possède qu’une cinquantaine. La plupart des quelques 1000 oeuvres de l’artiste sont conservées à Leiden, aux Pays-Bas, et à la Bibliothèque de l’Académie russe des sciences de Saint-Pétersbourg, à la suite de leur acquisition par le botaniste russe Carl Ivanovich Maximowicz (1827-91).
La Siebold collection
d’illustrations botaniques de Kawahara Keiga
au Naturalist Biodiversty Center de Leiden
Les planches conservées à Leiden forment un ensemble charmant où plantes, fruits ou légumes sont présentés par groupes de six.
La simplicité répétitive de chaque composition ne l’empêche pas de remplir sa fonction informative sur tous les détails botaniques nécessaires tout en les présentant avec la délicate sobriété de l’esthétique japonaise que Kawahara privilégie.
L’intégralité de la collection est à voir en cliquant sur le bouton ci-dessous :
La Siebold collection
d’illustrations botaniques de Kawahara Keiga
au Naturalist Biodiversty Center de Leiden
Les planches conservées à Leiden forment un ensemble charmant où plantes, fruits ou légumes sont présentés par groupes de six.
La simplicité répétitive de chaque composition ne l’empêche pas de remplir sa fonction informative sur tous les détails botaniques nécessaires tout en les présentant avec la délicate sobriété de l’esthétique japonaise que Kawahara privilégie.
L’intégralité de la collection est à voir en cliquant sur le bouton ci-dessous :
La collection d’illustrations botaniques de Kawahara Keiga
à la Bibliothèque botanique Komarov
de l’Académie russe des sciences de Saint-Pétersbourg
Commissionné par l’Académie impériale de Saint-Pétersbourg, le botaniste russe Carl Maximowicz a acquis auprès de la veuve de Philipp Franz von Siebold, la collection des huit volumes rassemblant les fameuses illustrations botaniques réalisées par des artistes japonais.
L’extraordinaire collection de la librairie Komarov de Saint-Pétersbourg n’a malheureusement pas été digitalisée.
Les quelques rares reproductions que l’on peut trouver en ligne montrent sur certaines planches une plus grande liberté graphique que les oeuvres conservées à Leiden.
Parfois, l’inspiration lui fait ajouter quelques détails simplement esquissés, qui font basculer son œuvre dans le registre artistique et le rattachent aux illustres artistes contemporains de l’estampe japonaise.
Sa représentation d’une gourde cireuse (Benincasa hispida) est à cet égard un parfait exemple qui montre classiquement la plante centrée au premier plan, avec deux fleurs flottant de part et d’autres.
Mais en arrière-plan, d’un simple trait d’encre au pinceau, Kawahara a dupliqué le contour de la gourde, en l’agrandissant de façon démesurée.
Cette énorme gourde sort des conventions de l’illustration botanique et fait passer l’œuvre au-delà de l’observation subjective vers l’innovation artistique.
Illustrations de Kawahara Keiga,
réalisées pour Siebold,
conservées à la Bibliothèque botanique Komarov
à Saint-Pétersbourg
Kawahara Keiga s’est fait une spécialité de peintures représentant des étrangers exotiques qu’on rencontre à Dejima et à Nagasaki, hollandais et chinois, et leurs coutumes, réalisées dans un style quelque peu occidental. Le marché visé était à la fois les visiteurs étrangers eux-mêmes et les Japonais curieux d’autres villes.
Siebold s’intègre finalement à ce point au Japon qu’une japonaise, Kusumoto Taki (楠本 滝,), appelée couramment Otaki, ose devenir officiellement sa concubine, le mariage avec un étranger lui étant interdit.
En son hommage, Siebold nommera un hortensia cultivé à Nagasaki Hydrangea macrophylla otaksa (contraction de otaki, prénom familier de son épouse, et de kusa, plante, herbe).
Otaki avait dû se prévaloir du statut de courtisane car lui seul pouvait lui donner le droit de se rendre dans l’enclave hollandaise de Dejima pour retrouver Siebold.
Il naît ainsi en 1827 à Dejima de cette fréquentation une fille, Kusumoto Ine, aussi connue sous le prénom familier Oine, qui deviendra la première femme médecin du Japon.
Ine a poursuivi la tradition familiale de deux manières : elle est devenue médecin spécialisée en obstétrique – comme ses parents allemands – et elle a cultivé l’orientation scientifique européenne en gynécologie que son père avait amenée au Japon. Pour cette raison, le terme «médecin allemand» (en japonais) est aujourd’hui utilisé dans le sens de gynécologue / obstétricien.
Ine Kusumoto a pratiqué avec succès à Nagasaki pendant de nombreuses années et a ensuite été nommé à la cour impériale japonaise en tant que médecin personnel de l’impératrice.
En raison de son mariage, Ine Kusumoto est également connue sous le nom d’Ine Nakamura. Elle mourut en 1903 à l’âge de 76 ans, laissant derrière elle des enfants dont les descendants vivent encore aujourd’hui au Japon comme «héritiers de la famille Siebold des savants de Würzburg».
Un incident va soudainement tout bouleverser. Siebold venait d’effectuer, en compagnie de l’illustrateur Kawahara Keiga, le traditionnel Edo sanpu, l’ambassade annuelle d’hommage des hollandais au shogun, lorsque le bateau sur lequel il allait rejoindre Java fut contrôlé par les japonais qui découvrirent parmi ses bagages deux cartes du Japon qui lui avaient été offertes.
Il fut alors accusé d’espionnage au profit de la Russie et assigné à résidence avant d’être expulsé du Japon en 1829 et condamné à ne plus jamais y revenir. Mis en cause, Kawahara Keiga fut emprisonné. Mais il fut finalement autorisé à revenir au Japon 30 ans plus tard, en 1859, y retrouvant sa femme, sa fille et faisant connaissance de sa petite-fille âgée de 7 ans. Il y retourna à plusieurs reprises jusqu’en 1863.
Durant son séjour de 6 ans au Japon, Siebold avait réuni, au delà des spécimens de flore et de faune, une immense collection de plus de 12.000 objets divers représentatifs du Japon. Celle-ci allait former le fond du futur Musée National d’Ethnologie de Leiden. A son retour en Hollande Siebold s’attela à l’écriture d’une somme sur le Japon (dont 5 tomes de textes et 6 d’atlas et gravures), sous tous ses aspects ethnographiques et géographiques, intitulée Nippon (1832).
Gravures illustrant Nippon de Franz Siebold
Armement
Instruments de musique
Personnages
Vases
Cultes
Divers
Vues
Usages
La publication de la Flora Japonica de Siebold, dont les illustrations sont présentées ici, débuta quant à elle en 1835 et se poursuivit jusqu’en 1842. Les illustrations d’artistes européens reproduisent et « occidentalisent » les modèles réalisés par Kawahara Keiga et d’autres artistes japonais.