L’instrument scientifique tient une place de choix dans un cabinet d’amateur. Il n’est plus fonctionnel et, s’inscrivant dans l’Histoire des sciences, il demeure à jamais objet d’édification et d’émerveillement, illustrant la découverte progressive par l’Homme des lois fondamentales de l’Univers.
Ceux que je présente ici possèdent leur histoire propre. Ils illustrent chacun une étape dans la progression des connaissances humaines dans un domaine particulier.
Trouvée au marché aux puces de la Porte de Vanves dans un triste état, une machine de Ramsden est mon bien le plus précieux. Après l’avoir entièrement restaurée, et fait briller ses éléments en laiton, j’eu la joie de faire à nouveau tourner son disque de verre. Et ce fut avec une certaine frayeur, qu’au contact de mes doigts avec le laiton, je reçus la décharge électrique générée.
Jesse Ramsden, un opticien britannique, créateurs de nombreux instruments de précision, met au point cette machine en 1768. Un disque en verre est mis en rotation et, en frottant des coussins de cuirs, génère une charge électrique de quelques watts qui est recueillie par des peignes en métal sur des tubes en laiton isolés par des pieds en verre.
Éphémère et fugitive, l’électricité générée par la machine de Ramsden pouvait cependant être stockée depuis l’invention en 1745 du premier condensateur, la bouteille de Leyde. Plusieurs bouteilles pouvaient être reliées en batterie électrique.
Son inventeur, le pasteur et physicien prussien Ewald von Kleist, reçut une puissante décharge lors de sa découverte.
La machine de Ramsden, associée aux bouteilles de Leyde, a une grande vogue dans les salons de la noblesse où l’on se livrait à des expériences dues à la curiosité : des galants et galantes « électrisants » montés sur des tabourets isolants échangeaient des « baisers électriques » ! L’Abbé Nollet en était l’animateur.
Jean-Antoine Nollet (19 novembre 1700 – 25 avril 1770) était un ecclésiastique et physicien français. Il était principalement intéressé par la nouvelle science de l’électricité. Il rejoint la Royal Society de Londres en 1734 et devient plus tard le premier professeur de physique expérimentale à l’Université de Paris, où il donne un cours public de physique expérimentale devant 600 personnes.
En 1744, Nollet est appelé à Versailles pour donner au fils de Louis XV des leçons de physique expérimentale. Il sera nommé en 1759 Maître de physique et d’histoire naturelle des Enfants de France. À cette occasion, le roi le charge d’installer un cabinet de mécanique et de physique à l’hôtel des Menus-Plaisirs, localisé à Versailles.
L’Abbé Nollet ne put résister à la tentation de revivre l’expérience initiale de l’inventeur de la bouteille de Leyde. « Je ressentis, dit-il, jusque dans la poitrine et les entrailles une commotion qui me fit involontairement plier le corps et ouvrir la bouche… » . Mais il a l’intuition qu’en partageant à plusieurs la décharge, elle pourrait être moins intense. L’expérience est un succès et les Parisiens font la queue pour recevoir ce que l’on nomme alors une « sensation scientifique » .
Des démonstrations publiques de production d’électricité statiques se firent partout en Europe. En 1746, c’est à la cour de Versailles que l’abbé Nollet démontre la transférabilité d’un courant électrique avec l’aide d’une compagnie de 180 Gardes françaises se tenant la main et sursautant de concert.
Il renouvelle l’expérience en faisant former dans la galerie des Glaces une chaîne humaine de 140 marquises, comtes ou duchesses, qui sentirent le délicieux frisson du courant électrique les traverser.
Quelques jours plus tard, une nouvelle expérience est organisée au couvent des Chartreux, qui était bâti à l’emplacement du jardin du Luxembourg et fut fermé en 1790 puis démoli à la fin du XVIIIème siècle.
L’Abbé Nollet rassemble environ deux cents moines en un cercle d’environ 1600 mètres de circonférence, avec des morceaux de fil de fer les reliant. Il décharge ensuite une batterie de bouteilles de Leyde à travers la chaîne humaine et observe que chaque homme réagit sensiblement en même temps au choc électrique, montrant que la vitesse de propagation de l’électricité est très élevée.
Instrument expérimental, la machine de Ramsden fut utilisée pour des démonstrations du phénomène électrostatique dans les cabinets de physique des établissements scolaires, depuis le début du XIXème siècle jusqu’en 1905.
L’introduction de machines à générer de l’électricité statique au Japon fut très précoce. Les marchands hollandais de la Compagnie des Indes Orientales, qui avaient l’exclusivité des contacts avec ce pays depuis la fin du XVIIème siècle, offrirent en effet au shogun en 1751, peu de temps après son invention, une machine à produire de l’électricité statique, pré-existante à celle de Ramsden, inventée ultérieurement.
Le mot « électricité » (エレキテル , abrégé en エレキ) ainsi qu’une illustration de machine générant de l’électricité statique figurent dans le livre おらんだばなし de Mitsuo Goto en1765.
Et en peu de temps, des générateurs d’électricité statique étaient déjà reproduits et vendus au Japon en 1770 ! La mondialisation, déjà…
L’illustration ci-contre montre une Boutique de curiosités assurant la démonstration et la vente d’un Elekiter. La pancarte à l’entrée dit : « Dernières curiosités des pays étrangers ».
Avides de découvrir les inventions européennes, les japonais furent particulièrement fascinés par celle-ci. Un samouraï de rang inférieur, Hiraga Gennai, pharmacologue et amateur de Rengaku (sciences occidentales), acquit ainsi à Nagasaki en 1770 une Elekiter (エレキテル, Erekiteru), nom japonais d’un type de générateur d’électricité statique utilisé pour des expériences électriques au 18e siècle.
Connu au Japon pour les expériences de génération d’électricité statique qu’il réalisa, Hiraga Gennai fabriqua lui-même une machine et fit avec celle-ci des démonstrations en 1776, dont des livres montrent les expériences de chaines humaines qu’il réalisa.
Sur le livre japonais ci-dessous de 1811 traitant de l’électricité, une illustration montre une chaine humaine effectuant à son tour l’expérience de transmission d’électricité statique.