Des Merveilles aux Lumières
Reconstitution et visite virtuelle en 3D du cabinet de Joseph Bonnier de La Mosson


Le cabinet de curiosités de Joseph Bonnier de La Mosson a marqué l’histoire du genre. A la charnière entre les Cabinets des Merveilles (Mirabilia) ou Wundernkammern de la Renaissance et les cabinets naturalistes à visée scientifique, conçus à partir du siècle des Lumières, il revêt une importance inversement proportionnelle à la durée de son existence. Il incarne en effet idéalement cette métamorphose à la fois conceptuelle et esthétique, au XVIIIème siècle, de la curiosité savante des Merveilles aux Lumières.
Reflétant la personnalité de son créateur et son immense fortune, il a prit la forme, très innovante à son époque, d’un proto-musée public, ouvert aux visiteurs de toute condition.
Organisé comme un musée en une succession de salles dédiées à un thème, il présentait des pièces, souvent rares alors, mais dont la réunion et l’ordonnancement nouveau faisaient surtout l’intérêt.
Leur dispersion et la destruction de l’Hôtel particulier qui l’abritait empêchent d’en apprécier aujourd’hui l’ampleur et l’importance. Cependant, le croisement de quatre documents qui nous sont parvenus peut nous permettre, grâce à un rendu inédit en trois dimensions, de mieux apprécier et nous représenter ce qu’a été ce fameux cabinet.
Il s’agit :
- de la description qu’en a faite un visiteur, le naturaliste Antoine Joseph Dezallier d’Argenville, lui aussi collectionneur et créateur d’un cabinet de curiosités ;
- du plan de l’Hôtel particulier du Lude, au premier étage duquel était installé le cabinet, dressé par l’architecte et théoricien Jacques-François Blondel dans son ouvrage sur l’architecture française ;
- des relevés du cabinet lui-même, réalisés à la demande de Joseph Bonnier de La Mosson par Jean Courtonne, entrepreneur et architecte, dont l’œuvre principale est l’Hôtel Matignon (il serait aussi possible que ces dessins soient en réalité l’oeuvre du fils de Jean Courtonne, prénommé Jean-Baptiste) ;
- du catalogue détaillé de la vente du cabinet par le marchand Edme-François Gersaint.
Après avoir évoqué la vie passionnée de Joseph Bonnier de La Mosson, et le contexte scientifique et artistique effervescent dans lequel s’est constitué son Cabinet, nous pourrons en faire la visite telle qu’il l’organisa et qu’il est possible aujourd’hui de la reconstituer virtuellement.
Le Cabinet Bonnier de La Mosson, témoin de l’histoire des progrès scientifiques
Depuis la Renaissance, l’homme veut se situer dans l’univers et explorer les moindres recoins de la planète. Avant 1750, et avant la quête de la précision toujours plus grande qui suivra, l’homme prend les dimensions de la Terre avec les grandes découvertes qui repoussent les limites du monde connu toujours plus loin. Celles-ci ont été permises par les progrès de la navigation et des instruments qui la rende possible au « long-cours », terme apparu au XVIIème siècle.
Le terme de « long cours » est apparu en 1681, dans une Grande ordonnance de la marine de Colbert qui le définit comme «Les voyages de France en Moscovie, Groenland, Canada, aux bancs et îles de Terre Neuve et autres côtes et îles d’Amérique, au Cap-Vert, côte de Guinée et tous autres qui seront au-delà du tropique». L’usage distinguait le « Petit long cours » pour les voyages aux Antilles et vers le continent américain, qui n’impliquent pas de sortir de l’Océan Atlantique, par opposition au « Grand long Cours » , ou Long Cours « au-delà des trois grands caps ». Un brevet de « Capitaine au long cours » sera délivré jusqu’en 1967…
Pour naviguer comme pour observer ce monde, les savants conçoivent des astrolabes, des horloges, des appareils de mesure ou des machines de calcul. Ce sont les maîtres horlogers ou les orfèvres qui fabriquent la majorité de ces instruments, qui allient savoir-faire et innovation technique à d’indiscutables qualités esthétiques.
Le contenu du Cabinet de Joseph Bonnier de La Mosson est ainsi précisément le produit des voyages exploratoires des XVIème et XVIIème siècles. Les premiers voyages véritablement scientifiques commenceront dans la 2ème partie du XVIIIème siècle, 20 ans après la mort de Bonnier de La Mosson.
Les objets qu’il présente sont le reflet des missions de découverte du monde. Ce sont les tous premiers spécimens ramenés par ces missions qui font connaître en Europe une richesse et une diversité de la nature jusque-là insoupçonnée ou inaccessible.
Les instruments scientifiques présentés sont quant à eux les témoins d’une phase de progrès considérables accomplis depuis le XVIIème siècle, notamment en Hollande et en Angleterre et sans cesse poursuivis.
Bien que n’étant pas savant lui-même, Joseph Bonnier de La Mosson y contribue concrètement en faisant travailler à son service pendant 10 ans un artisan, Alexis Magny (1712-1807), lunetier-fabricant d’instruments d’optique et de physique, qui crée lui-même de nouveaux instruments scientifiques innovants.
Le Cabinet de Bonnier de La Mosson contient plusieurs laboratoires qui ne devaient pas être seulement des reconstitutions superficielles et « à la mode » mais ont pu aussi très certainement avoir été utilisés par Magny et peut-être par son gendre et véritable savant, le duc de Chaulnes. Son Cabinet de Physique et des Machines, notamment, qui contient de très nombreux instruments, s’inscrit dans le mouvement initié par l’Abbé Nollet qui établit la physique expérimentale en France, et lance la mode des cabinets de physique, qu’il fournit « clés en mains » à plusieurs Académies savantes de province.
Joseph Bonnier de La Mosson, un représentant emblématique du siècle des Lumières
Un honnête homme privilégié
La Cabinet de Joseph Bonnier de la Mosson tient une place incontournable dans l’histoire de l’art et des idées, en dépit de la brièveté de son existence, d’à peine une dizaine d’années, à l’image de son créateur, mort à 42 ans.
Mais rien ne serait plus injuste et contraire à la vérité que de voir en la vie privilégiée et « l’œuvre » éphémères de Joseph Bonnier de La Mosson une vanité futile et inutile, terrassée par une justice divine ou sociale immanentes.
La fortune de Bonnier de La Mosson, générée par une charge d’ancien régime, déraisonnablement lucrative, de collecteur d’impôts, retourna finalement au bien public par la présentation ouverte à tous en son temps de son Cabinet, par les dons qu’il fit aux œuvres, et par les dépenses sans limites qu’il fit de son patrimoine, faisant travailler de multiples artisans et fournisseurs.
Joseph Bonnier de La Mosson était bien un « honnête homme » de son siècle, jouisseur, insoumis et libre, en avance même sur son époque pourtant révolutionnaire.

Joseph Bonnier de La Mosson a hérité de son père, dont le portrait ci-contre a été peint l’année de sa naissance en 1702, une fortune colossale en même temps que la charge de Trésorier Général des Etats du Languedoc, lui assurant de considérables revenus.
L’héritage reçu par Joseph Bonnier de La Mosson s’élevait à près de 2 milliards d’euros, faisant de lui la septième fortune du royaume.
Alors que son père avait su adroitement s’enrichir, son fils va faire peuve d’un aussi grand talent dans la dépense.
Mais comme l’a écrit Grasset-Morel, « Bonnier ne se bornait pas à amasser des richesses ; il savait en faire un noble usage. Protecteur des artistes, il se montrait secourable aux malheureux ».


Il a toujours fait preuve d’une générosité dans les oeuvres charitables qu’il n’a jamais cessé de soutenir :
« Prodigue, Bonnier se montra généreux et charitable à proportion. C’est lui-même qui nous le dit, non pas pour vanter sa conduite, mais pour se défendre contre son évêque. Pendant que nous le voyons au château de la Mosson plongé dans ces fêtes qui paraissent scandaleuses, aux yeux de la morale et de la religion, il n’oublie pas les pauvres, qu’il secourt assidûment, ni les églises , ni les hôpitaux, qu’il aide de ses dons. » (Grasset-Morel, Les Bonnier ou une famille de financiers du XVIIIème siècle, 1886, p.121)
En témoigne ce qu’écrivit la communauté du couvent des Récolets à Montpellier : « M. Bonnier de la Mosson, qui a hérité de feu son illustre père de richesses immenses, a hérité aussi de son cœur libéral » (Grasset-Morel, Les Bonnier ou une famille de financiers du XVIIIème siècle, 1886, p.122).
Une vie libre incarnant le style rococo
« Ce Bonnier avait tous les gouts de sa fortune ; il avait même toutes les curiosités d’un homme de gout. Tout ce qui réjouit la vue et la caresse, toutes les fêtes délicates que la matière précieusement travaillée donne aux yeux, il les recherchait et les avait réunies autour de lui. Sa royale existence se jouait au milieu des élégantes choses.«
E. et J. de Goncourt, Portraits intimes du XVIIIème siècle – Etudes nouvelles, 1857, pp.102-104
On a défini le rococo comme « un style de vie, fondé sur le plaisir raffiné des sens (…), visant à faire de l’existence une continuelle satisfaction esthétique« .
Et il est frappant de constater à quel point la vie de Joseph Bonnier de La Mosson semble incarner ce style Rococo. Sa vie, d’abord fut brève et correspond très exactement aux années où le Rococo se répand à partir de 1730 de manière foudroyante avant de commencer à décliner au lendemain de la disparition de Bonnier en 1744.
La vie de Bonnier pourrait être qualifiée elle-même de rococo. Il mena en effet une existence totalement libérée de la morale et des conventions, en dépit de sa position sociale de Trésorier général. A l’image du style rococo, qui traduisait l’aspiration à une vie plus légère, à s’évader de la vie pesante de la cour de Louis XIV à Versailles.
Comme Bonnier, qui ne souhaite pas se marier pour jouir sans aucune contrainte d’une vie insouciante et effrenée de plaisirs, le style rococo, en parfaite adéquation avec cette frivolité, se libère de la contraignante symétrie classique pour s’épanouir dans les volutes sans fin.
Comme dans une toile de fêtes galantes de Watteau, on ressent aussi cette urgence de vivre devant la fuite du temps qui doit marquer l’existence de Bonnier et le rendre mélancolique comme il le fut après le décès à 30 ans de sa maîtresse, la Petitpas. On semble mourrir souvent jeune dans le monde éphémère des fêtes galantes de Watteau, lui-même décédé prématurément à l’âge de 37 ans.
Bonnier incarne enfin le destin funeste du rococo lié à sa nature : un style réservé à une élite fortunée et privilégiée, vivant dans un monde léger et artificiel de fêtes et de décors somptueux, totalement déconnecté du reste de la société. Comme Bonnier, qui meurt à 42 ans à peine dans la maison de plaisir qu’il avait dans le quartier des Porcherons, le style rococo se perd dans le luxe et les excès de sa richesse ornementale qui, malgré le retour à l’ordre du néo-clacissisme, seront comme sanctionnés à la fin du siècle par la Révolution française.
Une vie de fêtes galantes
Grand amateur d’Opéra, Joseph Bonnier de la Mosson a tout naturellement cédé au charme d’une artiste, surnommée la « Petitpas ».
Mademoiselle Petitpas, qui se produisit au Théâtre de la Foire et au Concert Spirituel de 1731 1734, joua divers petits rôles dans trois opéras de Jean-Philippe RAMEAU : Hippolyte et Aricie en 1733 (elle est tour à tour Prêtresse de Diane, Matelote, Chasseresse et Bergère), Les Indes galantes en 1735 (Amour, Fatime) et Castor et Pollux en 1737 (Plaisir céleste, Ombre heureuse, Planète). (Cf. Sylvie BOUISSOU et Denis HERLIN, Jean-Philippe Rameau. Catalogue thématique des autres musicales. Tome 2 : Livres, Paris, CNRS Editions, 2003)
Voltaire évoque la Petitpas dans sa correspondance à propos de l’Opéra de Rameau Hippolyte et d’Aricie : « On ne parle, écrit-il , que du rossignol que chante Mlle Petitpas… » .
L’entourage de Bonnier finit par s’alarmer de ses folies pour la Petitpas. La chanteuse de l’Opéra lui paraissait dangereuse.
Grasset-Morel nous rapporte dans son ouvrage consacré à la famille Bonnier que le président Antoine Bonnier d’Alco, son oncle, qui loge chez lui, avec ses cousins, « travaille à faire interdire son neveu ; celui-ci renvoie ses parents et menace de se marier avec la Petitpas ».
Joseph Bonnier continue à organiser pour elle des fêtes somptueuses dans son Hôtel du Lude et lui fait même édifier dans son jardin un somptueux pavillon, véritable « palais de fée », digne de Versailles.
Antoine Watteau, Les Plaisirs du bal, vers 1715-1717
L’été vient-il ? Bonnier se rappelle qu’il est marquis, marquis de la Mosson, marquis de la plus belle terre qui soit, et du coin de France où l’on s’amuse le plus cher et le plus haut. La Mosson ! une Cythere ! et plaisirs sur plaisirs :
« L’on n’y boit que dans un verre, Qui sert à l’Amour de carquois ! »
(E. de Goncourt, Portraits intimes du XVIIIème siècle – Etudes nouvelles, 1857, pp.101-102)

La Camargo dansant, Nicolas Lancret, vers 1730
Pour la divertir, Bonnier emmène donc la Petitpas à Montpellier pour lui faire les honneurs du Château de la Mosson et y organiser pour elle mille fêtes galantes.
Mais, comme l’écrit Grasset-Morel, « la province se montrait moins facile que la Capitale sur le chapitre des mœurs ; à Paris ce qui passait pour simple légèreté devenait un scandale dans une petite ville« .
Le 17 novembre 1735, le très sévère évêque de Montpellier, Joachim Colbert, se décide à prendre la plume et, s’adressant à M. de la Mosson, il lui écrit :
« Je ne puis, Monsieur, garder plus longtemps le silence sur un scandale qui demande de moy les remèdes les plus prompts et les plus efficaces. Le cri de la Mosson retentit de toutes parts. Personne n’ignore que vous avez amené de Paris une fille de l’Opéra, qui loge, qui mange, qui couche chez vous, et qui y reçoit toutes les distinctions que recevrait une épouse légitime : quand le vice se montre avec si peu de retenue, il n’est pas possible de ne le pas voir« . L’évèque invite Bonnier « à renvoyer la créature qui « cause le scandale et à apaiser Dieu que vous offensez si publiquement.«
La voulant pour lui seul, Bonnier ne veut plus qu’elle se produise sur scène. Mais l’oiseau ne put plus tenir dans sa cage et reconquit sa liberté. En décembre 1736, Petitpas remonta sur le théâtre dans le rôle d’Europe Galante.
Le 24 octobre 1739, le Paris du théâtre, le Paris du plaisir, apprend la fin prématurée de la célèbre cantatrice, morte à 33 ans.
Un « curieux » du XVIIIème siècle, amateur passionné et éclairé des sciences
Joseph Bonnier de La Mosson avait eu la chance de recevoir l’éducation humaniste d’un précepteur. Cet enseignement l’a prédisposé à demeurer toute sa vie passionné d’apprendre, curieux de découvrir toutes les richesses du monde que les grandes découvertes du siècle passé dévoilaient.
Il était l’archétype du « curieux », ce mot apparu au XVIIème siècle pour désigner l’« amateur d’objets rares ou précieux » qui les recherche et les rassemble en collections. Il est celui qui est émerveillé et passionné par la nature dont les sciences nouvelles permettent d’enrichir la connaissance et d’organiser la classification des espèces. Il ne faut donc pas négliger cette double facette du Cabinet de Bonnier : celle d’un collectionneur éclairé et rafiné, et celle, que l’on peut considérer comme dominante – et qui est évidente dans son Cabinet de Physique – d’un passionné de sciences et de ses applications pratiques.
A l’exception de la France centralisatrice, où c’est le pouvoir royal qui en est à l’origine, les premières Académies savantes qui se créent en Italie, en Allemagne et en Angleterre, le sont à l’initiative de cercles d’amateurs et de savants « curieux » de partager cette curiosité commune pour le bien commun.
L’Italie est le siège historique de la création, en 1603, de la plus ancienne académie scientifique d’Europe (qui disparut en 1630 pour renaitre en 1745), l’Académie des Lyncéens (ou des Lyncées, ou des Lynx), fondée par le prince Cesi.
Elle tire son nom de la vue perçante du lynx, qui symbolise à la fois la puissance de vue de la science et la découverte de l’extraordinaire pouvoir de résolution du microscope – ce nouvel outil qui permet la vision de l’infiniment petit et ouvre la voie à des découvertes fondamentales sur la nature de l’homme.
Galilée y adhère en 1611 et, à partir de cette date, le lynx blanc de l’académie ornera le frontispice de tous ses ouvrages.
Le XVIIème siècle avait vu en 1652 la création par quatre médecins en Allemagne de l’Académie des Curieux de la Nature (Academia Naturae Curiosorum) regroupant des savants désireux de partager leurs connaissances et leurs passions pour la science et la nature. Connue sous le nom de Leopoldina, elle est la plus ancienne académie scientifique et médicale européenne encore en activité. Elle édite depuis 1670 une revue scientifique consacrée à la médecine et aux sciences naturelles, et compte parmi ses membres de très nombreux prix Nobel.
Sa devise est Nunquam Otiosus …
Mais c’est dans toute l’Europe qu’éclot alors en même temps ce printemps miraculeux de la pensée. En 1660, huit ans à peine après la création de la Leopoldina, le cercle britannique des « investigateurs scientifiques » de « the Invisible College” devient «The Royal Society of London for Improving Natural Knowledge».
La France suit le mouvement avec la création en 1666 de l’Académie Royale des Sciences par Colbert, qui désigne le génie néerlandais Christian Huygens comme directeur scientifique.
Elle tient ses premières séances dans la Bibliothèque du Roi de la rue Vivienne.
Dans ses catalogues, le marchand et théoricien d’art Edme-François Gersaint définit en ces termes ce qui caractérise l’authentique curieux, destiné à s’épanouir en connaisseur :
« Un curieux, nous dit-il, a souvent l’avantage et le mérite de n’être point livré à ces passions fortes et si familières à la nature humaine. L’objet de sa curiosité remplit les vides de son loisir ; amusé par ce qu’il possède, ou occupé par les recherches de ce qu’il désire posséder, il ne lui reste que les moments suffisants pour travailler au progrès de sa curiosité, et son cabinet devient le centre de tous ses plaisirs et le siège de toutes ses passions…. Il ne connaît pas ce que c’est que l’ennui. S’il se lasse d’être chez lui, son titre de curieux lui donne entrée dans les cabinets les plus fameux et il peut aller s’y récréer. En qualité de curieux, il devient l’égal de ceux mêmes qui, livrés à cette noble passion, se trouvent au-dessus de son état par leur rang et leur condition. L’amour de la curiosité suppose toujours dans un curieux du goût et du sentiment. Cet amour perce ordinairement dès la plus tendre jeunesse. On commence assez souvent par la possession de quelques bagatelles, dans lesquelles, faute d’expérience, on trouve des beautés qui s’évanouissent bientôt par la comparaison qu’on est plus en état de faire dans la suite. Les yeux s’ouvrent enfin, le bon goût se forme…. Par gradation on acquiert la qualité de connaisseur. »
En introduction du catalogue raisonné de la vente du Cabinet Bonnier de La Mosson, Edmé-François Gersaint a fait de son créateur le portrait d’un amateur éclairé, d’un véritable « connaisseur ». « Il voulait connaître tout ce qu’il achetait » et « il refusait souvent d’acquérir des suites toutes formées« . Il préférait la démarche méritante d’apprendre progressivement de ses acquisitions pour en « connaitre leur nature, leurs différences, leurs espèces, leurs propriétés et leurs usages« .

Ainsi, Joseph Bonnier de La Mosson ne cédait-il pas à la facilité que lui procurait sa fortune d’accumuler des objets sans limite mais entendait s’instruire avant tout de ce qu’il possédait. Gersaint l’a par ailleurs décrit comme « plus physicien que curieux« .
Bonnier avait un amour très sincère de la science et de la nature, suivant en cela la mode de l’époque. Mais il se distinguait d’autres amateurs par les efforts particuliers qu’il fournissait pour approfondir ses connaissances et acquérir des pièces véritablement choisies en amateur éclairé. Il fit ainsi, nous apprend encore Gersaint, deux voyages en Hollande pour y chercher des pièces de choix.
Le médecin anatomiste et savant montpelliérien Henri Haguenot lui proposa de le faire recevoir membre de la Société royale des Sciences de Montpellier, dont il était le doyen. Cette démarche n’était pas destinée à faire passer Bonnier de La Mosson pour un véritable savant, qu’il n’était pas, mais pour un ami et protecteur des sciences. Les Académies de Sciences avaient en effet coutume de recevoir en leur sein des personnages marquants, protecteurs éclairés des sciences et qui recevaient le titre de membres protecteurs.
Joseph Bonnier de La Mosson refusa cet honneur en démontrant une modestie et une humilité non feintes, ne s’estimant pas à la hauteur des membres savants de l’Académie.
Si Bonnier a certes eu une vie libertine remarquée et bien remplie, il serait erroné de considérer que cette facette du personnage discrédite ou décrédibilise son engagement pour les sciences. Si le XVIIIème siècle est celui des fêtes galantes, il est aussi en même temps celui qui cultive l’esprit et l’intelligence, à travers la multiplication des Cabinets naturalistes, des salons littéraires ou musicaux et des cercles savants. Et Bonnier s’est engagé avec la même intensité dans cette vie culturelle qu’il le faisait concomitament dans sa vie de plaisir.
Bonnier était excellent musicien et mélomane. Son imposante bibliothèque musicale comporte près de 250 partitions. Bonnier s’y montre aussi fervent amateur d’opéra qu’instrumentiste chevronné.

Il possédait deux orgues de salon à douze et six jeux, deux clavecins de Jean-Claude Goujon, marqués Hans Ruckers, somptueusement décorés, et deux précieux violons, l’un des frères Amati, daté de 1628, et l’autre de Joseph Guarnerius, daté de 1711. Gersaint le dit « regardé par les connaisseurs comme un morceau unique & d’un prix inestimable ». Ils atteignirent ensemble le prix de 941 Livres, soit plus de 14.000 euros.

Si les XVIIe et XVIIIe siècles furent marqués par l’importance de la facture de clavecin flamande, notamment avec Hans Ruckers, le Siècle des lumières fut aussi celui de l’apogée du clavecin français, avec Jean-Claude Gougeon, dont Bonnier possédait deux exemplaires, qui devaient être tout à fait similaires à celui que possède le Musée de la Philarmonie de Paris présenté ci-dessous.
Bonnier logea à l’Hôtel du Lude et fut mécène, comme l’avait été son père, du violoniste et compositeur Jean-Marie Leclair (1697-1764), qui lui a dédié plusieurs oeuvres.
Leclair entame une carrière de concertiste et se produisant régulièrement à partir de 1728 au Concert spirituel. Il est admis en 1733 dans la Musique du roi, et devient en 1734 musicien de la chapelle royale.

Rondeau de La Folette, extrait des Pièces de clavecin de Jean-Philippe Rameau (1683-1764) publié en 1724, joué par Kenneth Gilbert sur le clavecin Goujon
Pièces de Clavecin (1724) – Jean-Philippe Rameau
Jean-Marie Leclair (1697-1764), Chaconne (extrait de la 2e récréation en musique en sol mineur, opus 8), pour 2 violons et basse continue, par l’ensemble Les nièces de Rameau.
Jean-Marie Leclair (1697-1764), Ouverture en la majeur, opus 13. no 3, pour deux violons et basse continue. Orchestre des folies francoises, Patrick Cohen-Akenine (violon et direction), Léonor de Recondo (violon), François Poly (violoncelle), Béatrice Martin (clavecin).
Bonnier aimait peindre aussi. Il patronna le peintre Lajoue, qui décora son Hôtel particulier du Lude.
S’il ne pouvait évidemment pas prétendre intégrer l’Académie Royale des Sciences, Bonnier a fréquenté de nombreux savants, dont l’Abbé Nollet, le Père Sébastien, et en inspirant l’orientation scientifique du duc de Chaulnes, son jeune beau-frère de 12 ans son cadet, qu’avait épousé en 1734 sa soeur.
Parallèlement à une brillante carrière militaire qui le fit Lieutenant Général des Armées, le duc de Chaulnes, s’inspira en effet du Cabinet de Bonnier pour constituer le sien et mena des recherches scientifiques en confiant au protégé de son beau-frère, Alexis Magny, la fabrication de microscopes inovants.
Si elle tient à sa position de riche mécène et d’homme influent, membre de la franc-maçonnerie, et le fut en qualité officielle d' »amateur », l’appartenance de Bonnier à la Société des Arts atteste de son rôle actif et central dans la promotion des sciences et des arts.
La Société des Arts
Ce cercle, qui devait à l’origine se nommer « Société Académique des Beaux-Arts », avait pour programme de regrouper des artistes et des scientifiques dans une organisation académique commune, un rôle que ne pouvaient pas jouer les Académies Royales éclatées en disciplines distinctes.
Elle était aussi conçue de fait comme une société d’entraide franc-maçonne.
L’abbé Jean-Paul Bignon, Directeur de la Bibliothèque Royale, en était le protecteur et accueillit les premières réunions au Palais du Louvre entre 1721 et 1723.
Mises en sommeil à la mort du Régent en 1723, les activités de ce cercle, sous le nom de Société des Arts, reprirent en 1726-1729.
La nouvelle Société des Arts allait désormais tenir ses réunions sous le patronnage de Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont (1709-1771), qui mit à sa disposition à la fin de 1728 son Hôtel du Petit Luxembourg. Le comte de Clermont deviendra grand-maître de la première Grande Loge de France de 1743 à sa mort en 1771.
La Société des arts tenait depuis 1726 des réunions consacrées aux arts, à la mécanique, à la maçonnerie, et où un certain nombre d’observations scientifiques et de mémoires originaux étaient rapportés.
Membres de la Société des Arts
Prévue au départ pour inclure une centaine de membres, la Société des Arts en dénombra bien davantage au cours de son existence. Parmi ses membres, peuvent être mentionnés :
- au titre de protecteurs : Languet de Gergy (curé de l’eglise Saint-Sulpice), puis le comte de Clermont ;
- en qualité d’amateurs : Bonnier de La Mosson, Puisieux, Renard du Tasta ;
Les artistes et savants suivants en ont fait partie :
- architectes : Boffrand, Chevotet, Aubert, Vigny ;
- astronomes : Grandjean de Fouchy,
- mathematiciens : Clairault pére, Clairault fils, La Condamine, l’abbé de Gua ;
- sculpteurs: Vassé, Lemoyne ;
- peintres : Lajoue ;
- horlogers : Pierre Gaudron, Julien Le Roy, Pierre Le Roy, Gourdin, Gallonde, Henri Sully ;
- mécaniciens : Magny ;
- graveurs : Jean-Michel Papillon ;
- ingénieurs : Pierre Le Maire, Jacques Le Maire;
- musiciens : Jean-Philippe Rameau ;
- doreurs : Thomas Germain ;
- chirurgiens : Faget, Duplessis ;
- écrivain : Fontenelle ;
- physicien : l’abbé Nollet.
Le protecteur de la Société des Arts, le comte de Clermont, homme cultivé, cumule plusieurs facettes a priori incompatibles : militaire, franc-maçon, abbé et libertin, ayant comme maîtresse, à l’instar de Bonnier, une actrice d’opéra.
Sainte-Beuve a écrit de lui :
« Le personnage est curieux à connaître : prince du sang, abbé, militaire, libertin, amateur de lettres ou du moins académicien, de l’opposition au Parlement, dévot dans ses dernières années, il est un des spécimens les plus frappants, les plus amusants à certains jours, les plus choquants aussi (bien que sans rien d’odieux) des abus et des disparates poussés au scandale sous le régime de bon plaisir et de privilège. »
Louis de Bourbon-Condé (1709-1771),
comte de Clermont et abbé de Saint-Germain-des-Prés (1737)

L’Hôtel du Lude, écrin du Cabinet
L’Hôtel du Lude a été construit en 1710 par Robert de Cotte, premier Architecte du Roi, au 58 rue Saint-Dominique, pour Mr. Duret, Président à la Chambre des Comptes & Secretaire du Cabinet du Roi.
Ce dernier le vendit à vie à Marguerite-Louise de Béthune, Duchesse Douairiere du Ludes.
Après la mort de cette Dame il revint au Président Duret, qui l’a vendu à Mr. Bonnier de la Mosson en 1726, quelques mois avant son décès cette même année.
Après en avoir hérité, Joseph Bonnier de La Mosson embellit encore l’Hôtel du Lude, d’après les conseils du grand architecte du temps, Le Roux.
Robert de Cotte (1656-1735)
Architecture françoise, ou Recueil des plans, élévations, coupes et profils des églises, maisons royales, palais, hôtels & édifices les plus considérables de Paris. T.1,
par Jacques-François Blondel, 1752-1756
La façade côté jardin faisait 29 toises, soit 56,50 mètres. Ses jardins étaient parmi les plus étendus des hôtels de Paris.
Un document d’époque exceptionnel permet de visualiser très précisément le jardin de l’Hôtel du Lude et son environnement immédiat. Il s’agit du plan de Paris réalisé à la demande du prévôt des marchands, Michel-Étienne Turgot, entre 1734 et 1739, c’est-à-dire très précisément au moment où Joseph Bonnier de La Mosson constituait son Cabinet. L’auteur du plan reçut un mandat de visite l’autorisant à entrer dans les hôtels, les maisons et les jardins, garantissant ainsi son exactitude. Ses dimensions gigantesques, 2,49 m sur 3,18 m, autorisaient les plus petits détails.
On peut y voir le dessin précis des jardins à la française de l’Hôtel, ainsi qu’un détail étonnant mais parfaitement exact : de très hauts treillages installés par Bonnier de La Mosson en 1728 sur le côté droit du jardin, destinés à cacher la vue des Hôtels voisins. Ce procédé étant tout à fait contraire aux usages, ses voisins, dont la vue était de ce fait bouchée, lui firent un procès.
L’Hôtel du Lude est mitoyen de l’Hôtel de Roquelaure, qui le précède.
Reconstitution en 3D de l’Hôtel du Lude et de son jardin
Le mobilier de l’Hôtel du Lude, reflet du raffinement du début du XVIIIème siècle
Les tapisseries de Beauvais
Une tenture de six tapisseries en laine et soie sur le thème de la comédie italienne, a été commandée par Joseph Bonnier père à la Manufacture royale de Beauvais, vers 1723-1726.
D’après des compositions de Bérain, les cartons en ont été réalisés à partir de dessins de Claude Gillot, maître et ami d’Antoine Watteau (1684-1721), célèbre pour ses scènes tirées de la comédie italienne, et Vigoureux Duplessis, peintre et dessinateur de la Manufacture de Beauvais, sous la direction des Filleul.
Sur les six tapisseries, quatre sont actuellement répertoriées. Elles portent au sommet les armoiries du commanditaire et de son épouse.

La diseuse de bonne aventure
(musée départemental de Beauvais)

Scapin et les baigneuses
(collection privée)

Colombine et le docteur
(musée départemental de Beauvais ?)

Le concert champêtre
(musée départemental de Beauvais)
Cette scène du Concert champêtre est typique du goût de la haute société du XVIIème siècle pour les représentations de musique et de théâtre dans la nature. Colombine et Arlequin sont au centre d’un riche cadre ornemental de guirlandes de fleurs, de grotesques, de rubans, de cartouches en camaïeu. Le goût de l’exotisme se marque également par la présence de masques d’orientaux, de perroquets ou encore d’un singe.
Un objet de curiosité en dehors du Cabinet : l’Opéra mécanique
L' »Opéra mécanique », qui est longuement décrit dans le catalogue de vente de Gersaint, est une pièce exceptionnelle à plus d’un titre.
C’est un des quelques objets d’exception qui subsistent encore aujourd’hui de la vente des biens de Bonnier. Cet objet n’était pas installé dans le Cabinet mais au rez-de-chaussée dans les salles d’apparat. On sait qu’il fut acheté par Fredrik Scheffer pour Carl Gustaf Tessin lors de la vente publique. Ce dernier l’offrit ensuite au roi de Suède Adolphe Frédéric et on atteste sa présence au théâtre de Drottningholm jusqu’en 1766. Cette maquette avec machinerie est conservée depuis 1899 par l’Académie royale des Beaux-Arts de Stockholm et figure aujourd’hui en dépôt au musée du Théâtre de Drottningholm. Elle aurait servit de modèle pour la construction des théâtres de Drottningholm et d’Ulriksdal.
C’est par ailleurs un objet que Bonnier fut le seul à posséder avec le roi Louis XIV, pour lequel le Père Sébastien Truchet l’avait ingénieusement construit. C’est en 1709 que le roi, qui voyait très fréquemment le Père Sébastien concernant ses travaux liés aux bassins de Versailles, lui exprima le souhait qu’il lui fit des tableaux mouvants, qui étaient alors à la mode.
Parmi les trois tableaux mécaniques que fabriqua le Père Sébastien pour le roi, l’un était un Opéra mécanique dont la description est très similaire à celui de Bonnier. Gersaint écrit ainsi que « Ce Théâtre ou Salle des Machines est fait sur le modèle de celui qui existe au Palais des Thuilleries« . Celui de Bonnier est cependant décrit comme étant d’une hauteur de 6 pieds, soit 1,83 m, contre 1,14 m pour celui du roi. Il pesait près de 800 kg mais pouvait être facilement déplacé grâce aux roulettes dont l’avait pourvu Magny.

Evocation de l’opéra mécanique de Bonnier
En complément de cette maquette animée d’opéra, Bonnier avait fait construire par Magny un orgue à six jeux, muni de roues pour pouvoir le rapprocher de l’opéra mécanique afin d’accompagner sa misse en jeu. L’orgue, décrit sous le n°601 du catalogue, avait un clavier « servant à jouer dessus les pièces que l’on désire jouer soi-même ; l’autre en acier destiné pour les pieces du Cylindre. En effet, la particularité de cette pièce est d’avoir la faculté de jouer seule un Opéra entier, ou sa valeur, par le moyen d’un Cylindre dont un seul tour peut recevoir une piece de soixante & douze mesures à trois temps, avec toutes ses parties ; ce Cylindre peut avoir douze changements differents, c’est-à-dire douze pièces, dont il y en a déjà deux de notées, qui sont l’ouverture de l’Opéra de Monsieur de Mondonville avec sa Fugue« .
Bonnier « avait un Opéra chez lui, le plus riche et le mieux machiné. Un petit jouet et un miracle , cette scène de 18 pouces de large sur 15 de haut, pesant 1500 livres, que d’une seule main il peut amener à la Petitpas sur des roulettes« .
Le père Sébastien Truchet a eu le goût des sciences en se formant dans le fameux cabinet de Nicolas Grollier de Servière à Lyon.
Doué en mathématiques et en hydrologie, il est admis à l’Académie des Sciences en 1699. Il se fait une spécialité de la conception des canaux et joue un grand rôle aux jardins de Versailles.
Expert en mécanique de précision, il se fait remarquer du roi en réparant deux de ses montres que son propre horloger avait échoué à réparer.
Le Père Sébastien invente aussi un canon et le diable… une machine à transplanter les arbres, très utilisée à Versailles et dont Bonnier avait une maquette dans son Cabinet de physique.
Il publie en 1722 une « Méthode pour faire une infinité de desseins différens, avec des carreaux mi-partis de deux couleurs par une ligne diagonale« . Sa renommée est telle que lorsque Pierre le Grand vient en France en 1717, il veut voir le Père Sébastien, visite durant 3 heures son atelier de machines et tient à partager le même verre que lui.
L’Opéra mécanique était à l’époque de Louis XIV à Marly. Fontenelle, dans son éloge funèbre prononcé devant l’Académie des Sciences, a décrit ainsi ce « petit Opéra », comme l’appelait le roi :
Le premier, que le Roi appella son petit Opera, changeait cinq fois de décoration à un coup de sifflet, car ces Tableaux avaient aussi la propriété d’être résonnants ou sonores. Une petite boule, qui était au bas de la bordure, & que l’on tirait un peu, donnait le coup de sifflet, & mettait tout en mouvement, parce que tout était réduit à un seul principe. Les cinq Actes du petit Opera étaient représentés par des figures, qu’on pouvoit regarder comme les vrais Pantomimes des Anciens, elles ne jouaient que par leurs mouvements, ou leurs gestes, qui exprimaient les sujets dont il s’agissait. Cet Opera recommençait quatre fois de suite sans qu’il fût besoin de remonter les ressorts, & si on voulait arrêter le cours d’une représentation à quelque instant que ce fût, on le pouvait par le moyen d’une petite détente cachée dans la bordure, on avait aussitôt un Tableau ordinaire & fixe, & si on retouchait la petite boule, tout reprenait où il avait fini. Ce Tableau long de 16 pouces 6 lignes sans la bordure, & haut de 13 pouces 4 lignes, n’avoit que 1 pouce 3 lignes d’épaisseur pour renfermer toutes les Machines. Quand on les voyait désassemblées, on était effrayé de leur nombre prodigieux , & de leur extrême délicatesse. Quelle avoit dû être la difficulté de les travailler toutes dans la précision nécessaire, & de lier ensemble une longue suite de mouvements, tous dépendants d’instruments si minces & si fragiles ! N’était-ce pas imiter d’assez près le Méchanisme de la Nature dans les Animaux, dont une des plus surprenantes merveilles est le peu d’espace qu’occupent un grand nombre de Machines ou d’Organes, qui produisent de grands effets ?
Dans la Revue de l’histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, datée de 1929, Edmond Léry rapporte ses recherches relatives aux tableaux mécaniques réalisés par le Père Sébastien pour le roi :
La description de Fontenelle n’indique pas les décors du premier tableau, et tout ce qu’il dit ne concorde pas très bien avec les notes du P. Sébastien. Il est probable qu’il y a eu à Marly trois tableaux mécaniques, puisqu’on trouve, en 1710, le paiement de 56 livres
Les notes du P. Sébastien sur ses tableaux sont assez informes. Le Père parle d’un tableau ayant sans le cadre 2 pieds 1 pouce de longueur sur 18 pouces de haut, ce qui ne correspond pas aux dimensions données par Fontenelle pour le premier tableau. D’après les notes, il s’agissait bien d’un petit opéra changeant cing fois sans compter le lever du rideau. Les figures passaient entre deux glaces ; elles étaient éclairées par en haut, afin qu’il n’y ait pas d’ombres visibles. Deux mouvements d’horlogerie faisaient marcher le tout, l’un pour les figures passantes et l’autre pour les changements de décoration.
Puis, les notes donnent sur la machine que le P. Sébastien appelle le tableau du roi ou l’opéra des renseignements beaucoup plus complets. Toutes les dimensions de ce tableau sont indiquées ; il avait, sans la bordure, 4 pieds 8 poucs de longueur sur 3 pieds 9 pouces de hauteur. C’était donc un grand tableau de 1 m. 50 sur 1 m. 20. Nous avons la liste des neuf décorations : une chambre, une forêt, une grotte avec cascade, un berceau, un bois, le palais du soleil, le ciel avec des divinités, les Champs-Elysées, l’Enfer et ses supplices. Ces décorations avaient dû être faites par des artistes. On voit, en effet, dans les comptes des bâtiments une somme de 400 livres payée en 1709 à Desportes pour « un tableau représentant un fonds de paysage, des chasses et des bestes fauves qu’il a posé à Marly sur une machine du Pere Sébastien. »
L’opéra comportait un nombre considérable de personnages. Avant le lever du rideau, on voyait autour de la scène des loges à droite et à gauche, en bas un orchestre et un parterre, avec 334 spectateurs. Les notes donnent tableau par tableau le nombre des figurants, dont le total est de 831. Nous n’avons malheureusement pas de détails sur les divers actes de la pièce, sauf cependant pour la chasse du roi. Le Père écrit : « On pourrait mettre dans le petit chemin qui descend du bois, le Roy dans sa calèche découverte courant le cerf. Il faut d’abord le cerf, un chien près, ensuite deux ou trois chiens groupés, puis un piqueur, la calèche du roi, deux groupes de cavaliers, une calèche avec deux dames, des piqueurs et des chiens pour remplir la longueur de dix-huit pouces. » Il s’agit là sans doute de la chasse peinte par Desportes.
Ces tableaux, construits par le P. Sébastien sous les yeux du roi ont émerveillé les contemporains, et on a dit qu’ils faisaient l’onement de Marly. Louis XV en a vu au moins un. Dans une lettre du 17 août 1726, le Père rapporte qu’il a expliqué au Roy, à Versailles, le petit tableau qu’il avait eu l’honneur de faire pour Louis XIV. (Le P. Sébastien Truchet, Membre honoraire de l’Académie des Sciences (1657-1799). Ses travaux à Versailles et à Marly, Revue de l’histoire de Versailles ete de Seine-et-Oise, 1929, Edmond Léry).
L’Opéra mécanique possédé par Bonnier est longuement décrit par Gersaint sous le numéro 609 de son catalogue :
Une Machine des plus intéressantes de ce Cabinet ; c’est le Modèle d’un Opera garni de toutes les Machines & Décorations convenables pour les changements, & dont les opérations se font avec la même aisance que dans un grand Opera.
Ce morceau est d’une assez grande conséquence, (puisqu’il y a tout lieu de le croire unique dans son genre) pour mériter une description exacte, tant de la construction que de ses effets.
Ce Théâtre ou Salle des Machines est fait sur le modèle de celui qui existe au Palais des Thuilleries ; on a rassemblé dans cette Machine, autant qu’on l’a pu, les divers mouvements qui servent à changer les Décorations & les differentes Scènes d’un Opera ; il a été assez difficile, dans un si petit espace de placer un aussi grand nombre de mouvements & de leur conserver autant de liberté qu’ils en auraient dans un lieu vaste, sans se nuire les uns & les autres. Comme on a eu intention (pour ainsi dire ) de construire un modèle qui pût être exécuté en grand, on a employé les mêmes principes & le même mécanisme qui se pratiquent dans tous les Théâtres, dont le premier est l’effort des hommes aidés par les contre-poids treuils, retraites, &c. ayant évité avec soin tout ce qui tient des Machines vraiment artificielles, comme ressorts pignons, roues & engrenages.
L’extérieur de cette Machine qui se présente d’abord aux yeux, est un Bâti de Menuiserie , formant une espece de pavillon carré, dont la face a trois pieds de large, & quatre pieds de profondeur, sur six pieds de hauteur. Au haut de ce pavillon, règne autour une petite balustrade, du milieu de laquelle s’éleve un comble, en maniere de dôme, qui couronne cet Edifice. Ce Bâti est peint & décoré dans ses quatre faces de grands pilastres cannelés, avec leurs pieds-d’estaux & leurs chapiteaux, & dans le milieu, d’une grande niche dans laquelle est placée une figure en pied. Dans la face du devant on a représenté Apollon comme le Dieu qui préside à la Musique; & dans les trois autres faces, sont les trois Muses qui président aussi à ce genre de spectacle; sçavoir, Melpomene, Thalie & Terplichore: le tout est peint en grisaille, & ce Bâti est posé sur quatre roulettes de cuivre, placées & disposées de façon qu’on peut facilement, avec une seule main, conduire ou l’on veut le total de l’Edifice sans aucun effort, quoique pesant plus de quinze cens livres. Ces roulettes sont de l’invention du sieur Magny. Quand on veut faire jouer cet Opera les quatre côtés de ce pavillon s’ouvrent en manière de portes, celles des deux flancs étant étendues, forment à droite & à gauche deux espèces de murailles qui cachent ceux qui manœuvrent, & le côté du devant ne s’ouvre qu’a moitié de la hauteur, en le rabattant sur l’autre moitié qui est fixe ; ce qui donne alors à ce pavillon une ouverture d’environ deux pieds & demi en quarré.
Par cette ouverture on aperçoit la décoration extérieure de la face du théâtre. L’endroit où est placée la toile ou rideau, a dix-huit pouces de large sur quinze de hauteur. Cette façade est décorée dans le goût le plus riche, dans le bas on voit un Orchestre garni de Musiciens, & formé en-devant par un lambris bombé. Aux deux bouts sont deux pieds d’estaux, sur chacun desquels s’élève un pilastre terminé par deux petites consoles qui supportent un grand fronton qui embrasse toute cette façade. Entre ces deux pilastres & le quarté qui ferme la toile, est une portion de cercle décorée de trois loges, les unes sur les autres, richement ornées. Les deux côtés de ces deux portions de cercle font joints immédiatement au- dessous du fronton par un plat-fonds sculpté en Mosaïque ; les corniches, les moulures, l’entablement, le fronton, les consoles & balcons, font aussi dorés, & tous les fonds sont peints en différents marbres.
Quant au détail des diverses machines qui composent le tout, il n’est pas possible de l’expliquer, ni de les décrire. La vue seule peut en donner une idée, & il suffit de dire ici que toutes les opérations qui se font sur un grand Théâtre, s’exécutent pareillement sur celui-ci, on se contentera donc simplement de rapporter les divers mouvements & changements qui se passent sur les scènes dans la représentation de ce petit Opéra, suivant l’ordre qu’on y a établi. On a divisé en un Prologue & cinq Actes cette représentation, à l’imitation de ce qui se pratique dans les Opéra réels.
Prologue.
La rampe se lève, & le devant du Théâtre parait éclairé. La toile ou le rideau se lève ensuite.
Alors le théâtre représente le chaos. Les quatre éléments y paraissent confondus ; peu après ils commencent à se mettre en mouvement ; ils se débrouillent enfin ; & par diverses routes contraires, ils prennent chacun le lieu qui leur est destiné. Les nuages & le feu s’élèvent dans l’air ; la terre, les rochers & l’eau descendent, & en prenant leurs places naturelles, ils forment une décoration qui représente l’état de la nature après le moment de la création.
Acte premier.
Le Théâtre change & représente une vaste forêt, au travers de laquelle on aperçoit une mer bordée de rochers. Cette mer s’agite, & la tempête s’élève : on voit alors Neptune sortir du fond des eaux dans son char attelé de quatre chevaux marins ; sa présence fait calmer les flots, la mer devient tranquille. Neptune rentre, le Théâtre se ferme, & n’est plus qu’une sombre forêt.
Acte II.
Le Théâtre fait voir alors le Palais du Soleil orné de colonnes de Lapis enrichies de guirlandes dorées. Les douze heures du jour paraissent dans l’air sur des nuages dispersés autour de ce Palais. Dans le fond on voit le Soleil sur son trône, ayant à la droite & à sa gauche les quatre saisons de l’année. Plusieurs rayons de lumière sortent de ce trône brillant & se perdent dans les côtés & dans les voutes du Palais.
Acte III.
Une Grotte affreuse succède à ce Palais brillant. Medée y parait dans son char traîné par des dragons : elle traverse jusqu’à la moitié du Théâtre, où elle évoque les enfers.
Six Démons & trois Furies sortent du fond du Théâtre ; Medée de concert avec eux fait une conjuration : elle achève ensuite de traverser le Théâtre, & se perd enfin dans les nues, tandis que les Démons rentrent dans les enfers.
Acte IV.
On voit dans celui-ci une campagne agréable. Le Soleil descend du Ciel dans un nuage, qui s’ouvrant peu à peu, devient éclairé & tout brillant de lumière. Le Soleil ordonne que l’on célèbre son culte, le nuage de referme ; ce Dieu remonte au Ciel, & dans l’instant il s’élève de terre, en son honneur, un Temple isolé & magnifique.
Acte V.
Le sujet de ce dernier Acte est formé par un Jardin délicieux orné de tous les côtés, de Statues, de Cabinets & de Portiques de verdure. Dans le milieu sort une fontaine jaillissante, & l’on découvre dans l’éloignement une superbe Colonnade terminée par la vue d’un riche Palais.
Apollon descend dans son char attelé des chevaux du Soleil, & s’envole peu de temps après sur le cintre.
L’Amour paraît ensuite dans ce Jardin fur un char orné de fleurs & couvert d’un pavillon, d’où sortent quatre guirlandes qui font supportées par quatre petits Amours. Il ordonne une magnifique fête ; le Théâtre change, & représente une place décorée de tout ce qui peut embellir cette fête ; on voit s’élever entre des rangs de colonnes plusieurs palmiers chargés de Trophées. L’Amour invite les Dieux de l’Olimpe à venir embellir ce lieu par leur présence, & rendre ce Spectacle plus brillant : il s’envole ensuite doucement sur le cintre.
La ferme du fond s’ouvre ; on voit alors descendre du Ciel plusieurs nuages qui s’ouvrent en se croisant les uns sur les autres & qui se dissipant peu à peu, laissent voir Venus ayant à l’un de ses côtés l’Amour de l’autre l’Hymenée. Cette Déesse est accompagnée des trois Grâces, & de plusieurs petits Amours qui voltigent agréablement autour d’elle. Venus descend dans le Palais de l’Olimpe; & après avoir terminé cette fête, elle remonte doucement au Ciel avec sa suite. La toile tombe, & finit ainsi ce Spectacle.
J’ai crû cette description nécessaire pour donner l’idée d’un morceau aussi amusant & aussi vaste, quoique réduit dans un si petit volume, & qui n’a pû parvenir à cette précision qu’après un long travail & une grande dépense.
Au numéro 606 du catalogue Gersaint est décrit comme « machine d’optique » un autre petit théâtre construit cette fois par Magny.
Il représentait, expose Gersaint, « les divers changemens qui arrivent dans un Opera ; ces changemens s’y opérent au moyen d’un bouton que l’on tire à soi.
A l’ouverture de cette Machine on apperçoit une Forêt, au travers de la quelle paroît une Campagne avec des Chasseurs, des Chevaux & autres Animaux.
Le premier changement donne la vue d’une Grote remplie de plusieurs Ouvriers qui y manoeuvrent.
Au second changement on apperçoit une riante Campagne, ornée d’un Bois dans lequel Orphée attire les Animaux par le son de sa Lire ; les Baccantes qui viennent pour l’assommer, paroissent dans le lointain.
Le troisiéme changement représente un Palais des plus riches, où paroissent differens Perſonnages. On voit dans le quatrième changement un beau Parterre garni d’Orangers & de Fontaines, ayant dans le fond un grand Jardin formé par des Portiques de verdures, le long desquels plusieurs personnes se promènent.
Enfin le cinquiéme changement qui forme la sixiéme & derniere Piece, représente une Colonade de l’Ordre Ionique, qui a été exécutée à Rome dans une Fête Publique, dans le fond de cette décoration sont trois Portiques, au travers desquels on voit un Parterre terminé par un fond de Paysage.
Il y a aux deux côtés de cette Machine des bras de cuivre pour recevoir des lumieres, afin d’en pouvoir faire les expériences la nuit, ce qui ne produit qu’un plus bel effet.
Cette Piece est d’autant plus agréable que la manoeuvre en est très-facile. Il ne s’agit, comme on a déja dit, que de tirer un bouton à soi quand on veut faire un changement, & de le repousser à sa premiere place, pour être en état de le retirer à un autre change ment ; il y a aussi un autre bouton à côté de ce premier qui sert à faire baisser une toile pour en cacher la maneuvre ; la construction de son intérieur satisfait infiniment dans l’examen de la simplicité & de l’aisance des Pieces ; son extérieur représente un très-beau pied octogone fait en bois de Hollande verni, & porte deux pieds de diametre, sur environ quatre pieds de haut. Le tout a été imaginé & fait par le sieur Magny ».
Dans Bonnier possédait également une lanterne magique qui permettait de projeter des décors d’opéras mais aussi, dans son château du Languedoc, une troisième machine.
« Dans la salle appelée […] la salle de L’Opera » figurait en effet à son décès « U n petit theatre d’opera avec differentes decorations, machines, et cordages dont la description de la maniere de faire jouër les machines est detaillée dans un caier trouvé
sur le dit theatre »
Cf Florence Gétreau. Quelques cabinets d’instruments de musique au temps des rois Bourbons. Musique, images, instruments, Paris: Ed. Klincksieck; Paris: Laboratoire d’organologie et d’iconographie musicale CNRS, 2006, 8, pp.25-44. halshs-00009448
Le cabinet de Joseph Bonnier de La Mosson
Inspiré par d’illustres exemples, un cabinet conçu d’emblée comme un musée
Le XVIIème siècle a été l’âge d’or des Cabinets de curiosités, alors très à la mode, tandis que ceux du XVIIIème siècle, comme celui de Bonnier, ont commencé à prendre un tour plus scientifique et didactique, ayant l’ambition d’accompagner, et le cas échéant de servir, les progrès de la connaissance de la Nature et du Monde.
Le Cabinet de Bonnier est conçu dans l’esprit d’être dédié au progrès et au bien commun, et par conséquence logique, d’être ouvert à tous, comme un musée public, même s’il l’est à son propre domicile. Bonnier ne fut pas en cela un précurseur mais il le fit animé de l’esprit nouveau qui sera celui des Lumières.
Il suivit en cela l’exemple de l’ouverture au grand public de plusieurs cabinets, dès le milieu du XVIIème siècle. Ce fut le cas, en premier lieu, de la collection publique d’antiquités et de curiosités, rassemblée au Collège romain par le jésuite allemand Athanase Kircher à partir de 1651, et considérée historiquement comme le premier véritable musée moderne au monde.
Les collections du Musée Kircher seront dispersées en 1783. Dans l’un des chapitres de son roman « Si par une nuit d’hiver un voyageur », Italo Calvino, met en scène dans l’un de ses chapitres un millionnaire dont le rêve est de reconstituer le musée romain d’Athanase Kircher. Ce millionnaire aurait pu être Bonnier, qui s’inspira très vraisemblablement de l’exemple de Kircher pour constituer son cabinet, à ceci près qu’il vécut alors que le Musée Kircher n’avait pas encore été dispersé.
D’autres Cabinet s’étaient ouvert au public à la fin du XVIIème siècle : le Cabinet d’Amerbach à Bâle en 1671, suivi par le musée ashmoléen d’Oxford en 1683.
Bonnier a pu aussi suivre l’exemple du prince électeur de Saxe, Frédéric Auguste I, qui transforma en 1723 les salles du Trésor de la Grünes Gewölbe (« la Voûte verte ») en musée public, en décidant du sens de visite des 8 salles, comme le fit Bonnier.

Le Musée Kircher
Bonnier possédait un catalogue de 1720 du Musée Kircher. La ressemblance est frappante entre l’illustration du Musée Kircher, en frontispice du guide de ce musée de 1659, et la peinture de Lajoue représentant le Cabinet de Physique de Bonnier.
La similitude des naissances de voutes, entourant des plafonds circulaires peints et prenant appui sur les meubles de présentation, signe un emprunt d’autant plus évident que le Cabinet de Bonnier était totalement dépourvu de voutes. Les colonnes, elles aussi présentes dans la gravure du Musée Kircher, sont en revanche agrandies par Lajoue. Celle de gauche, associée à l’horloge, fait écho aux obélisques égyptiennes du Musée Kircher.


Comme Kircher, Bonnier a enrichi son Cabinet de maquettes en bois et d’instruments de musique. Comme Kircher avait un savant industrieux auprès de lui, Gaspar Shott, Bonnier avait Alexis Magny. On retrouve dans le catalogue du Musée Kircher (ci-dessus) de multiples correxpondances avec les maquettes de machines construites pour Bonnier par Magny (ci-dessous).

Bonnier possédait dans sa bibliothèque les catalogues de plusieurs autres Cabinets de curiosités.
Parmi eux, celui du Musée Septalien de Milan, où Manfredo Settala (1600-1680), surnommé l’Archimède milanais, exact contemporain et ami de Kircher, présentait une collection de machines qu’il avait pour la plupart fabriquées lui-même, ainsi que des microscopes et des miroirs ardents.
Le Musée Septalien
Autre Cabinet de curiosités du XVIIème siècle, dont Bonnier possédait le catalogue, le Musée du médecin naturaliste danois Ole Worm (1588-1654). Tout comme le Musée Septalien, le Musée d’Ole Worm, se rattache aux Cabinets des Merveilles de la Renaissance, avec ses animaux accrochés aux murs et au plafond.
Le peintre Lajoue a peint pour le Cabinet des Animaux desséchés et pour la Bibliothèque de Bonnier quatre dessus de portes qui transposent ce Cabinet dans un décor imaginaire à l’architecture démesurée, dans l’esprit des Cabinets des Merveilles du siècle précédent.
Sur l’un d’eux, on peut y voir repésentés, comme dans les Musées d’Ole Worm et de Manfredo Settala, plusieurs animaux suspendus au plafond : un crocodile, un poisson lune, un marsupien. D’autres animaux menaçants entourent les visituers : un autre crocodile semble sortir d’une voute, tandis qu’une monstrueuse tête dépasse d’un balcon.
On y retrouve aussi, accrochées face à face au sommet de deux piliers latéraux, les deux cornes de licorne et de narval fixées à leurs têtes respectives en bois.
En réalité, le Cabinet de Bonnier apparait très éloigné visuellement de ceux du XVIIème siècle par l’ordre et le classement qui y règne et qui se dégage des dessins de Courtonne : pas un seul animal desséché en vue sur le sol.
Sans atteindre les fantaisies imaginées par Lajoue, la réalité était certainement sensiblement différente et plus nuancée.
Le Cabinet de l’alchimiste ou La pharmacie, Lajoue, 1734
Le catalogue de vente en 2006 de cette oeuvre de Lajoue – adjugée 560.000 euros – en fait cette description : « Le cabinet est composé de niches, où pullulent des pots d’apothicaire, et peuplé de bizarres animaux empaillés aux formes fantaisistes, voire inquiétantes. Privilégiant des effets lumineux insolites, Jacques de Lajoue, à la manière de Bosch, mêle ce bestiaire fantastique à des figures, placées au-devant de la scène. L’exubérant décor théâtral débouche sur l’infini d’un jardin imaginaire ».

Musée de Ole Worm

Cabinet des Animaux desséchés de Bonnier
Si l’on en croit la description du catalogue de Gersaint, de nombreux animaux peuplait le Cabinet de Bonnier, et pas seulement dans des flacons. Ainsi, le catalogue de Gersaint décrit « tant au haut du plancher, sur le Parquet, sur les Tables , sur le Corps d’Armoire avancée, que sur le haut des grandes Armoires, sur les Portes & sur la Boiserie de ce Cabinet » :
- Une coste de Baleine (réf.366) ;
- Deux monstreuses Têtes de Vaches Marines dissequées & garnies tant de toutes leurs dents machelieres , que de celles qui leur sont extérieures (réf.384) ;
- Un Serpent monstreux, empaillé, de près de quinze pieds de long [près de 4,60 mètres] (réf.391) ;
- Un autre Serpent empaillé, de six pieds. Un Crocodile d’environ cinq pieds. Deux Poissons appellés Porc-épics (réf.393) ;
- Un autre Crocodile d’environ six pieds [plus de 1,80 mètres]. Deux grosses Tortues. Un Poisson appellé l’Espadon, armé de sa scie, & portant environ cinq pieds depuis le bout de sa scie ou défense, jusques à l’extrémité de sa queue (réf.394) ;
- Un Poisson singulier d’environ six pieds de long, appellé le Marteau, à cause de la forme de sa tête qui ressemble parfaitement à cet Instrument. Un petit Faon de Baleine de même grandeur (réf.395).
Deux objets communs aux Cabinet de Bonnier et au Museum Wormianum retiennent l’attention.
La corne de licorne présentée dans le Musée d’Ole Worm apparait rattachée à un crane. En l’observant avec scepticisme, Ole détermina rationnellement que ce «crâne de licorne» était en réalité celui d’un narval. Ainsi prit fin en 1638 ce mythe.
Gersaint explique que « Il y a déjà du temps que l’on est désabusé de l’erreur dans laquelle on était, que cette corne était une défense posée sur la tête d’un animal appelé Licorne ».
Le Cabinet de Bonnier présente deux cornes de Narval fixées à des têtes en bois sculpté. L’une est attachée à une tête de Narval, « telle que l’on dépeint cet animal ». Malgré son avertissement liminaire sur l’inexistence des Licornes, Gersaint décrit avec une savante ambiguïté l’autre corne : « Une aussi belle Corne de Licorne ou de Narwal, que la précédente, attachée pareillement sur une tête très proprement sculptée, & telle que l’on dépeint celle d’une Licorne. Elle porte sept pieds dix pouces de haut ».
Les deux têtes de narval et de licorne peints par Lajoue sur l’un des deux dessus de porte du Cabinet des Animaux desséchés
Dans la collection de Bonnier (à gauche), deux cornes attachées au bout du mufle d’une tête en bois de Narval – à gauche – et de Licorne – à droite. Le squelette de tête de Narval possédé par ole Worm (à droite)
Deuxième objet commun aux Cabinet de Bonnier et au Musée d’Ole Worm, un mannequin censé représenter un habitant des peuples autochtones d’Amérique.
Celui d’Ole Worm était en bois, tenant une lance, habillé d’une simple tunique et coiffé d’un casque. Bonnier s’en est vraisemblablemeent inspiré pour celui qu’il présentait dans son Cabinet, coiffé d’un casque très similaire.
Levinus Vincent a formé l’un des plus fameux cabinets de curiosités dans la Hollande de la fin du XVIIème et du début du XVIIIème siècle. Il contenait des animaux, des coquillages, des coraux et des plantes marines, des minéraux, des insectes, des objets ethnographiques et une bibliothèque. Il s’agit là indéniablement de l’une des sources d’inspiration, et sans doute de la principale, de Bonnier dans la constitution de son propre Cabinet.
On sait en effet que Bonnier s’est rendu au moins à deux reprises en Hollande pour y acquérir des coquillages. Or, il ne peut manquer d’y avoir visité à cette occasion le Théâtre de la Nature de Vincent. On disait à l’époque que, « de la même manière que personne ne croirait que vous pourriez visiter Rome sans voir le pape, personne ne croirait que vous avez visité Amsterdam sans voir la collection de Vincent ».
Vincent a publié deux catalogues de ses collections – Wondertooneel der Nature (Le Théâtre de la Nature) – Tome 1 en 1706 et Tome 2 en 1715. Bonnier possédait ce catalogue dans sa bibliothèque dans une édition de 1719. Très organisé, comme ses collections, Vincent avait ouvert son Cabinet au grand public, faisant payer les entrées. Il avait des horaires fixes pour ses visiteurs. Son livre d’or (de 1705 à 1737) comprend au moins 3 500 entrées, dont Pierre le Grand.


Le Cabinet de Linius Vincent est parfaitement ordonnéet les collections sont soigneusement rangées dans une infinité de tiroirs étiquetées de hautes armoires qui ont certainement impressionné et inspiré Bonnier pour la mise en place des collections de son futur Cabinet. Vincent appelait son Cabinet le Théâtre des Merveilles de la Nature qu’il mettait méticuleusement en scène, comme le fera Bonnier. Ce dernier a alors sûrement perçu que l’attrait tout particulier du Théâtre de Vincent tenait non pas tant à ses collections qu’à la façon dont il les magnifiait.



Avec son bien-nommé Théâtre des Merveilles de la Nature, Vincent inaugure au début du XVIIème siècle un nouveau type de Cabinets d’amateur, qui privilégie non plus la réunion d’objets dans un même lieu, valorisant leur contraste et la richesse de leur accumulation, mais au contraire leur séparation méthodique. Accompagnant le besoin d’évolution des classements scientifiques, sous la pression de l’accroissement des espèces provenant des mondes nouvellement découverts, les Cabinets d’amateurs se soucient d’ordonner leurs collections. Alors que Bonnier aménage le sien en répartissant en trois salles distinctes ses collections d’histoire naturelle, Linné fait paraître son Systema Naturae en 1735.



Description du cabinet de Joseph Bonnier de La Mosson par Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville
Considérant son Cabinet achevé, Joseph Bonnier de La Mosson a demandé à l’architecte Jean-Baptiste Courtonne d’en faire le relevé exact. Réalisé en 1739-1740, ce relevé comprend l’ensemble des Cabinets, à l’exception de celui consacré à l’Anatomie.
Le complément de ces relevés, le recensement exhaustif et détaillé de chaque objet présenté, sera dressé quatre ans plus tard, après le décès de Bonnier de La Mosson, par le marchand d’art Edme-François Gersaint dans son catalogue de vente.
Le récit d’Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville servira de point de départ de notre découverte du Cabinet de Joseph Bonnier de La Mosson. Il nous le fera visiter tel le guide que Bonnier de La Mosson aimait être lui-même pour ses visiteurs.
« Voici un des plus beaux cabinets de Paris, tant par l’arrangement que par les belles choses qu’il possède ; il suffit de dire qu’il appartient à M. Bonnier de La Mosson. Sept pièces de plain-pied & d’enfilade forment un coup d’œil charmant. La première est un laboratoire doré & peint en Marbre, avec deux fontaines dans des niches, & plusieurs tablettes sur lesquelles sont arrangés les Alambics, les Récipients & les Matras en cristal d’Angleterre ; rien n’est plus propre que les fourneaux. L’Apothicairerie vient ensuite composée de plusieurs rangs de pots aux armes du Maître ; les armoires d’en bas font remplies d’Esprits, d’Elixirs, de Sels & autres productions de la Chimie. On trouve dans la troisième pièce le tour garni de tous les morceaux les plus curieux ; la quatrième pièce est destinée pour le Droguier, composé de Bocaux placés sur des tablettes, avec des portes vitrées, on trouve aussi dans des fioles quantité de Fœtus, de Serpents & autres Animaux rares, avec des tiroirs par bas où font les Minéraux, les Métaux, les Marcassites, les Marbres , les Agathes & autres différentes Pierres ; on a pratiqué derrière ces deux pièces, un petit corridor, où se conservent plusieurs Anatomies du corps humain, avec quelques parties injectées. La cinquième pièce qui suit , infiniment plus grande & plus élevée, est consacrée à l’Histoire Naturelle. Rien n’est rangé avec plus de goût & de magnificence : cinq grandes armoires de menuiserie vernie, séparées par des montants sculptés en serpentaux, forment des portes & des cadres garnis de glaces, pour exposer sur les tablettes les Oiseaux, les Reptiles , les insectes, surtout les Papillons collés sur des cartons blancs, cinq petites armoires pratiquées entre les grandes, offrent des Plantes marines, des Minéraux, des Métaux & des Coraux. Au-dessous sont cinq ouvertures garnies pareillement de glaces, où l’on découvre les plus belles congellations, pétrifications, quelques gros morceaux d’Agathe, de Calcédoine Orientale, une ramification d’Or, & une grosse mine d’Argent, il y a au-dessous plusieurs tiroirs remplis de Crustacés, d’Etoiles différentes, de Besoarts, de Crabes & autres curiosités. Toutes les armoires font surmontées de grandes Plantes marines, de Cornes d’Animaux & de Plumages, qui paraissent sortir des têtes sculptées dans le couronnement d’en haut. C’est à la mécanique qu’on a destiné la sixième chambre, de grands montants de menuiserie, sculptés en Palmier, soutiennent par leurs branches plusieurs tablettes , où sont rangés les machines & les modèles en bois & en carton, qui concernent l’Hydraulique, l’Artillerie, la Navigation & l’Architecture ; des instruments de Mathématique & toutes les figures d’Optique garnissent les armoires des encoignures ; on y voit aussi plusieurs figures Chinoises & des habillements étrangers, une belle Sphère céleste mouvante & toute dorée en remplit le milieu. Enfin l’on voit dans la dernière pièce une Bibliothèque contenue dans neuf grandes armoires remplies de Livres des plus curieux sur différentes matières ; l’Histoire Naturelle en fait le principal objet, la grande table, ou bureau qui est dans le milieu sert de parterre à de très belles Coquilles rangées en compartiments, & autant que l’on a pu par genres ; il y en a de très rares. Cette belle enfilade est terminée par un Appartement d’été avec un joli cabinet, boisé & orné de Tableaux, l’enfilade du rez-de-chaussée, se distingue par de très beaux Meubles, de belles Porcelaines, des Bronzes, un buffet d’Orgue, & une grande boîte qui expose la Mécanique de l’Opéra.«
L’histoire naturelle eclaircie dans deux de ses parties principales, la lithologie et la conchyliologie, dont l’une traite des pierres et l’autre des coquillages. Par Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville, 1742, pp.203-205
Introduction du catalogue de la vente par Edmé-François Gersaint du cabinet de Joseph Bonnier de La Mosson
Le marchand d’art Edme-François Gersaint avait sa boutique au n° 35 du pont Notre-Dame, d’une surface modeste de 10 m², contrairement à l’impression qu’en donne le célèbre tableau de Watteau, L’enseigne de Gersaint.
A l’époque de Gersaint, le pont Notre-Dame, reliant le quai de Gesvres au quai de la Corse sur l’île de la Cité, comportait une soixantaine de maisons de 6 étages de chaque côté de la rue qui le traversait, bordée de nombreuses boutiques.
Ces maisons furent les premières dotées d’un numéro à Paris.
Elles étaient décorées de termes d’hommes, de femmes, et de rois.
La Joute des mariniers devant le pont Notre-Dame, 1756, par Nicolas Jean-Baptiste Raguenet, Musée Carnavalet
L’Enseigne de Gersaint, par Wateau, 1720, Berlin-Château de Charlottenbourg
« Il ne s’est point encore trouvé en France jusqu’à présent, un Cabinet qui ait autant mérité l’attention du Public, que celui que nous exposons ici en vente. La variété des objets qui en forment le fonds, la quantité des Morceaux de choix, la difficulté de pouvoir rassembler tant de raretés, demandaient un Amateur aussi ardent, & aussi riche que feu Monsieur Bonnier de La Mosson, pour pouvoir parvenir à l’exécution d’un projet aussi vaste, indépendamment du lieu que cela exigeait, pour placer le tout avec ordre & avec avantage. Cet amas immense de diverses Curiosités est assez connu dans Paris, & même au-dehors, sans que l’on soit obligé d’en faire ici un éloge, qui n’apprendrait rien de nouveau à ceux qui seraient dans le cas d’un devoir être instruits. M. de La Mosson a toujours procuré avec plaisir la vue & l’examen de ce qu’il possédait, tant à nos Curieux qu’aux Etrangers ; & c’était même l’obliger, que de venir s’amuser avec lui dans ses Cabinets. Il voulait connaitre tout ce qu’il achetait, & il s’était fait un principe sûr & avantageux dans l’intention de parvenir facilement à la connaissance de tout ce qu’il recherchait : c’est pourquoi il refusait souvent d’acquérir des suites toutes formées, afin de pouvoir se familiariser petit-a-petit avec ses Curiosités, en formant lui-même ces suites, morceaux à morceaux.
En effet, c’est le véritable chemin que doit suivre un Amateur, qui ne se contente pas seulement de jouir & de se récréer par la vue de choses curieuses & agréables ; mais qui, voulant encore en tirer un avantage plus solide, cherche à se mettre en état de connaitre leur nature, leurs différences, leurs espèces, leurs propriétés & leurs usages. Il n’arrive que trop souvent qu’un Curieux quand il se charge d’un Cabinet tout fait, ignore lui-même ce qu’il possède ; & qu’il parvient difficilement ensuite à cette connaissance, à cause de l’Etude particulière qu’il se trouve alors obligé d’en faire, s’il veut se la procurer ; ce qu’il regarde ordinairement comme un travail : au lieu que quand il n’acquière que par degrés, il acquiert en même temps & sans peine, la connaissance de ce qu’il choisit.
Comme M. de La Mosson ne trouvait pas assez facilement à Paris à se procurer abondamment & avec choix les différentes parties qui faisaient l’objet de sa Curiosité, quoiqu’il allât souvent au- devant de tout ce que le hasard pouvait lui offrir, il fit exprès deux voyages en Hollande, pour satisfaire les désirs plus promptement, & il y acquit tout ce qu’il put trouver de beau & de singulier. C’est ce qui l’a aidé à pousser ces Curiosités à un si haut point.«
La description précise de Gersaint nous servira de fil rouge dans la découverte du contenu du Cabinet. S’appuyant sur la rigueur de l’ordonnancement voulu par Bonnier de La Mosson, Gersaint l’a conservée dans son catalogue de vente, nous offrant ainsi la possibilité unique de visiter ce Cabinet tel que le faisaient les « Curieux » du XVIIIème siècle.
La disposition que feu M. de La Mosson avait donné lui-même, & qui existera jusqu’à la vente, consiste en neuf Cabinets de plain-pied. Chacun de ces Cabinets est consacré à quelque genre particulier de ces différentes Curiosités, & aux choses qui y ont quelque rapport. Elles y sont arrangées dans un ordre capable de satisfaire également les yeux & l’esprit. En voici la distribution :
- Le Cabinet d’Anatomie.
- Le Cabinet de Chimie, ou le Laboratoire.
- Le Cabinet de Pharmacie, ou l’Apoticairerie.
- Le Cabinet des Drogues.
- Le Cabinet du Tour & des Outils propres à différents Arts.
- Le premier Cabinet d’Histoire naturelle, contenant les Animaux en Fiole dans une liqueur conservative, avec quelques Minéraux.
- Le deuxième Cabinet d’Histoire naturelle, qui renferme les animaux desséchés, les Papillons & autres Insectes, les Plantes, les Mines, les Minéraux, &c.
- Le Cabinet de Physique ou Cabinet des Machines avec plusieurs Pieces d’Artillerie, & nombre d’autres morceaux qui ont rapport aux Mathématiques.
- Le troisième Cabinet d’Histoire naturelle, contenant les Coquilles, l’Herbier, plusieurs Volumes d’Estampes qui la plupart ont rapport aux Coquilles, & à d’autres parties de l’Histoire naturelle & de la Physique. Ce Cabinet est aussi celui de la Bibliothèque.
Quoique chacun de ces Cabinets soit destiné en particulier un seul genre, il s’y trouve cependant quelquefois plusieurs pièces qui n’y ont aucun rapport. Mais comme la plus grande partie de ce qu’ils renferment, leur en a fait donner la dénomination, je n’ai rien voulu déranger. J’avertirai seulement, à la tête de chaque Cabinet, des différentes Curiosités qui s’y rencontrent, ce qui se trouvera plus amplement détaillé dans les Numéros. Ces Cabinets sont ornés par tout ce que l’Art a pu imaginer de mieux & de plus agréable. Le tout selon les attributs qui leur conviennent à chacun, suivant le genre des choses qu’il contient. Rien n’y a été épargné ; Propreté dans l’exécution du bois qui en forme les Armoires, ou Bureaux qui les renferment ; Sculpture recherchée & délicate ; Glaces ; Dessus de Portes : tout enfin concourt à faire un Ensemble qui étonne, & qui en même temps satisfait infiniment les yeux.
Restitution de l’agencement du Cabinet et de ses accès
Les différentes sources disponibles, quoique très détaillées, ne permettent pas de restituer avec une totale certitude l’agencement du Cabinet de Bonnier de La Mosson au 1er étage de l’Hôtel particulier du Lude. Seule la modélisation en 3D permet de lever les incertitudes et de parvenir à une implantation fidèle du Cabinet de Bonnier tel qu’il existait.
L’examen attentif des plans des relevés du Cabinet effectués par Courtonne en 1739-1740 révèle à la fois un élément en doublon, un manque et l’absence de plan global de situation.
En effet, Courtonne a exécuté deux relevés distincts du Cabinet des Drogues, d’une part, et du Cabinet des animaux en fioles, d’autre part. Or, Dezailler d’Argenville ne fait qu’une seule pièce, la quatrième, de ces deux Cabinets. Il s’avère qu’au moment de la visite de Dezaillier d’Argenville, avant 1742, les deux Cabinets cohabitaient et partageaient la même pièce. Franck Bouvier (L’extravagant cabinet de Bonnier, Connaissance des Arts, n°90, août1959, p.53) nous en donne l’explication : il évoque « l’ancien droguier , que Bonnier avait transformé en 1740 en cabinet des animaux en fioles ».
Courtonne a effectivement daté son dessin du Cabinet des Drogues de 1739 et celui du Cabinet des animaux en fioles de 1740 mais, dans les deux cas, boiseries, portes et armoires (à leur contenu près) sont strictement identiques et simplement dupliqués. Cependant, on peut observer que son dessin du Cabinet des Animaux en Fioles ne reflète aucune cohabitation avec celui des Drogues. Le cadre est dupliqué mais les armoires contiennent uniquement des bocaux d’animaux.
Sans doute Bonnier souhaitait-il privilégier la présentation d’animaux en fioles, nettement plus attractive pour ses visiteurs que de simples flacons de drogues. Au sujet du Cabinet des Drogue, Gersaint écrit d’ailleurs dans son catalogue :
« Comme ce Cabinet n’a été achevé que peu de temps avant la mort de feu M. de la Mosson, il ne se trouve pas aussi rempli d’excellentes drogues, qu’il auroit pủ l’étre par la suite (…) ».
Il s’agit là certainement d’un argument de vente destiné à justifier le faible nombre d’articles dans cette partie du cabinet. Et il est donc plus vraissemblable que Bonnier avait en réalité renoncé à développer sa collection de Drogues. Gersaint indique ainsi que le contenu de ce Cabinet des Drogues tenait en une seule armoire, alors que le Cabinet des Fioles était contenu dans « six grands corps d’armoires« .
Autre source d’interrogation, le relevé de Courtonne ne contient pas celui du Cabinet d’Anatomie. A-t-il été dessiné et est-il perdu ? Une autre hypothèse serait qu’il ne l’a volontairement pas été, ne faisant pas partie du circuit « officiel » du visiteur ordinaire, compte tenu du caractère sans doute jugé trop impressionnant pour certaines personnes sensibles. On sait seulement que ce Cabinet d’Anatomie se situait derrière les Cabinets des Fioles et des Drogues et qu’on y accédait par un « petit corridor », en ouvrant une porte dérobée au fond du Cabinet des Fioles.
Mis à part ces interrogations, il faut noter que le plan disponible de l’Hôtel particulier de Blondel, tout d’abord, est celui du rez-de-chaussée, et pas du 1er étage, où est installé le Cabinet. Cependant, le plan de la façade sur jardins nous renseigne avec certitude sur le nombre de fenêtres : elles sont au nombre de 16. Compte tenu du plan décentré côté cour de l’Hôtel, et des renseignements donnés par Blondel, le positionnement du Cabinet de Physique est absolument certain. Lui seul possède en effet une porte donnant sur le côté cour. Et cette porte, à deux battants, ne peut se positionner qu’à l’arrivée de l’escalier principal d’accès au 1er étage.
A partir de là, il faut déterminer de quel côté du cabinet de Physique se positionnaient les autres pièces.
En regardant la façade du jardin, si l’on positionne la Bibliothèque à gauche du Cabinet de Physique, il en résulte que, la profondeur de cette pièce étant égale à celle du corps central de l’Hôtel, deux fenêtres côté cour seront rendues aveugles. En revanche, si l’on envisage d’y placer le Cabinet des Animaux desséchés, dont la profondeur est inférieure à celle de la Biblothèque, on observe que l’espace entre le mur du fond de ce Cabinet et les fenêtres sur cour correspond très précisément au chambranle de la porte à deux battants qui est située au fond à gauche du Cabinet de Physique mais qui est masqué par une armoire rapportée. Ainsi, cette porte, qui faisait pendant à celle sur le même mur côté jardin était-elle temporairement condamnée car n’étant pas indispensable.
Une autre observation conforte cet agencement. Le Cabinet de Chimie est le seul à ne posséder qu’une seule porte. Or, si, en regardant toujours la façade du jardin, le Cabinet des Animaux desséchés était placé à droite de celui de Physique, celui de Chimie, dont la porte est placée à droite, ne pourrait plus communiquer avec le suivant, l’Apothicairerie, d’une part, et aurait sa porte ouvrant sur le mur de l’Hôtel sans même laisser la largeur suffisante d’un couloir pour y accéder.
Il en découle le placement certain, de part et d’autres du Cabinet de Physique, des autres Cabinets : en regardant de face la façade côté jardins, la Bibliothèque se situe sur le côté droit et ouvre sur l’appartement d’été évoqué par Dezaillier d’Argenville. Les deux fenêtres du Cabinet des Animaux desséchés se situent de part et d’autres du pilier gauche prolongeant le fronton triangulaire. Les autres pièces se suivent ensuite en enfilade.
Plan de coupe de la suite des 7 pièces du Cabinet
Reste enfin à comprendre le sens de visite et de circulation. Si la visite débutait bien, comme l’indique Dezallier d’Argenville, par le Cabinet de Chimie, on ne pouvait y accéder qu’en entrant par l’une des deux pièces munies de portes donnant à l’extérieur du périmêtre ainsi défni des Cabinets : soit par la porte à doubles battants de la Bibliothèque en passant par l’appartement d’été, soit par la porte à triple vantaux du Cabinet de Physique, accessible à l’arrivée de l’escalier principal de l’Hôtel.
S’il nécessite ainsi un cheminement préalable par d’autres pièces, l’ordre de visite décrit par Dézaillier d’Argenville peut se comprendre d’un point de vue logique : débuter par les plus petits Cabinets pour continuer par les pièces prestigieuses du Cabinet des Animaux desséchés, puis du Cabinet de Physique, et finir en apothéose par la Bibliothèque et le coquiller.

Visite du cabinet de Joseph Bonnier de La Mosson,
suivant les relevés de Courtonne, le récit de Dezallier d’Argenville, et le catalogue de vente de Gersaint,
complétée par des vues d’une restitution en 3D des différentes pièces
~ Le Cabinet d’Anatomie ~
« Ce cabinet contient 3 armoires vitrées, dans lesquelles sont conservés des squelettes humains de différents âges ; plusieurs autres squelettes d’animaux de diverses espèces ; quelques myologies & angiologies ; quelques beaux morceaux d’anatomie en cire coloriée, en quelques portraits en cire faits d’après nature. » (Gersaint)
« … on a pratiqué derrière ces deux pièces [Le Tour et le Droguier-Cabinet des Animaux desséchés], un petit corridor, où se conservent plusieurs Anatomies du corps humain, avec quelques parties injectées. » (Dezallier d’Argenville)
Le Cabinet d’Anatomie est le seul dont Courtonne n’ait pas réalisé le relevé. Et la modélisation en 3D du Cabinet ne permet pas de situer où se situait très exactement le Cabinet d’Anatomie. Seule certitude, on y accédait, comme l’indique Dezallier d’Argenville, par la porte à l’arrière-gauche du Cabinet des Animaux desséchés et des Drogues.
Cette porte se situait du côté du Cabinet suivant, des Animaux desséchés. Un couloir menait au « petit corridor » qui devait probablement se situer à l’arrière du Cabinet du Tour. En effet, ce dernier, qui était moins profond de 1,50 mètre que les 3 autres petits Cabinets, offrait l’espace nécessaire pour abriter les trois armoires décrites par Gersaint.
Vue et emplacement imaginés du Cabinet d’Anatomie restitué en 3D partiel
Si le contenu du Cabinet d’anatomie est le moins fourni, plusieurs pièces apparaissent intéressantes par leur rareté et leur modernité à l’époque : les « morceaux d’anatomie en cire coloriée« . Modernes par la technique, elles l’étaient aussi par leur sujet, qui explique l’emplacement disret du Cabinet d’anatomie, derrière une porte dérobée : les appareils reproducteurs masculin et féminin, ainsi que des « balanus » (le terme désignait alors le gland, mais ici, il désigne le pénis et scrotum), dont un « factice ».
Le catalogue de Gersaint mentionne "Deux autres morceaux curieux d'Anatomie, en cire coloriée, représentant les parties de la génération de l'homme & celles de la femme. Ils sont faits avec exactitude & placés chacun en situation, dans leur bassin.
Un autre morceau aussi exécuté en cire coloriée & représentant pareillement les parties de la génération de l'homme, mais vues d'une manière différente pour l'intérieur de certaines parties, que dans le précédent : il est travaillé avec la même exactitude, et les parties sont placées aussi en situation, dans leur bassin.
Deux autres beaux morceaux d'Anatomie injectés, qui représentent également les parties de la génération des deux sexes." (art.2021-22, p.4)
Les préparations du Cabinet d'anatomie de Bonnier de La Mosson furent exécutées par le chirurgien Faget à partir des dissections qu'il effectua à l'Hôpital général de la Salpêtrière, où il exerçait avant de devenir chirurgien ordinaire de la reine et chirurgien major des gardes-françaises. Faget s'appuyait pour le modelage de la cire sur un élève du sculpteur La Croix particulièrement réputé à Paris dans ce domaine (Bruno Pons, Le faubourg Saint-Germain, la rue Saint-Dominique : hôtels et amateurs, Exposition au Musée Rodin, Paris, 11 octobre-20 décembre 1984). Bonnier connaissait certainement bien Faget puisqu'ils étaient tous deux membres de la Société des Arts.
Lors de la vente, elles échappèrent à Buffon, qui aurait souhaité les acheter, mais l'acquéreur les offrit ultérieurement au Cabinet du Jardin du Roi qu'il dirigeait. Il en fit faire les gravures ci-dessus qu'il utilisa dans le tome 3 de son Histoire Naturelle paru en 1749. Buffon y fit l'éloge de cette technique qui avait été importée en France par le sculpteur italien qui en était le meilleur spécialiste, Gaetano Zumbo :
« S’il est des circonstances dans lesquelles l’art surpasse la Nature, c’est sans doute dans celles-ci ; on a trouvé le moyen de représenter parfaitement, pour les formes et pour les couleurs, toutes les parties du corps humain, cela supposé on voit clairement que la myologie artificielle est préférable à la myologie naturelle ; il en est de même pour la splanchnologie, c’est-à-dire, l’exposition des viscères, et en général pour celle de toutes les parties du corps. Les pièces naturelles que l’on a gardées pendant quelque temps, ont la couleur d’une chair corrompue ou plûtôt d’une peau tannée, au contraire dans les pièces artificielles les couleurs sont fraîches et vives, et on peut les varier autant qu’il est nécessaire pour imiter la Nature : j’avoue qu’il seroit possible de peindre les chairs desséchées, mais on ne parviendroit pas à exprimer cette espèce de transparence qu’à la chair, comme on le fait dans les pièces d’anatomies modelées en cire. La première qui ait paru en France fut présentée à l’Académie des Sciences en 1701, par M. Gaëtano Giulio Zumbo de Syracuse. L’histoire de l’Académie dit qu’il apporta à la compagnie une tête d’une certaine composition de cire, qui représentoit parfaitement une tête préparée pour une démonstration anatomique, que les plus petites particularités du naturel s’y trouvoient, veines, artères, nerfs, glandes, muscles, le tout colorié aussi comme Nature, et enfin que la compagnie avoit beaucoup loué cet ouvrage. »
L'abbé Felice Fontana (1730-1805), médecin, naturaliste et physicien, fut le digne héritier de Gaetano Zumbo. Trente ans après Joseph Bonnier de La Mosson, et avec un même budget illimité, Fontana crée un Cabinet d'histoire naturelles pour le grand duc Léopold de Toscane, futur empereur d'Autriche-Hongrie. Il en naît La Specola, Imperial Regio Museo di Fisica e Storia Naturale (Musée royal et impérial de Physique et d’Histoire naturelle de Florence), dont il prend la direction.
Ce Musée d’histoire naturelle de Florence, ouvert au public en 1775, présente des collections de zoologie, de botanique, de minéralogie, d’astronomie (dont les instruments de Galilée) et de préparations anatomiques en cire colorée. Fontana, ainsi que le modeleur Clement Susini, vont porter l’art de l’anatomie artificielle en cire à son apogée et lui donner un statut hybride entre la science et l'art.
La Vénus anatomique en cire du Musée d'Histoire naturelle et physique de Florence va devenir extrêmement célèbre. Elle rivalise de beauté avec la Vénus Médicis des Offices. Parée d'un collier de perles, elle semble plus vraie que nature avec ses yeux de verre et sa chevelure humaine. Son corps se démonte et contient même un foetus enroulé dans son uterus.
Ayant visité la collection Fontana au début de la campagne d'Italie, Bonaparte écrit le 1er juillet 1796 la lettre suivante au Directoire :
"J’ai vu à Florence la célèbre Vénus qui manque à notre Museum et une collection d’anatomies en cire qu’il ne serait pas indifférent d’avoir. Fontana, le directeur du Cabinet du Grand-Duc, accepterait de faire une copie de ces pièces anatomiques. Cela coûterait peu de chose et serait d’un grand secours pour l’instruction d’une science si essentielle à l’humanité".
Fontana accepta la commande et 40 caisses, comportant 130 organes séparés, furent expédiées en 1803 vers Paris. Mais le Ministre de l'Intérieur Jean-Antoine Chaptal, originaire de Montpellier, fit en sorte qu'elle soit détournée au profit de la Faculté de médecine de Montpellier.
Restaurée, la colection Fontana y est visible au Conservatoire d'Anatomie, classé en 2004 monument historique.
En précisant que "la Myologie est la partie de l'Anatomie qui regarde les muscles, & l'Angeiologie, celle qui regarde les vaisseaux du corps humain qui sont les arteres, les veines & les vaisseaux lymphatiques", le catalogue de Gersaint recense dans le Cabinet d'Anatomie de Bonnier "Une Myologie & Angeiologie d'un corps humain entier, très bien conservée. Un autre sujet de corps humain, dont le côté droit est Squelette , & le côté gauche est Myologie & Angeiologie. (...)Une Myologie de la cuisse & du pied d'un corps humain. Une autre Myologie du pied d'un Ours" (art.5-6-7, p.4).
Aucune de ces pièces n'est actuellement localisée. Une série de dessins hollandaises de la fin du XVIIème, récemment redécouverte, peut cependant nous permettre d'imaginer ce qui pouvait être représenté à cette époque.
Ces illustrations proviennent du projet inachevé d'un grand atlas d'anatomie en couleur, sans équivalent à l'époque, conçu autour des années 1650-1660 par un professeur hollandais d'anatomie de l'Université de Leyden, Johannes Van Horne (1621-1670), et le dessinateur allemand Marten Sagemol (c. 1620-1669). Quatre volumes de ces exceptionnels dessins de myologie ont été mis à jour en 2016 à la Bibliothèque interuniversitaire de santé de Paris, comportant 251 dessins en tout, dont la plupart mesurent autour de 80 cm.
Foie, vésicule, rate, pancréas et anatomie vasculaire du foie
L'épanouissement de l'humanisme philosophique au XVIe siècle, avec Erasme de Rotterdam, et la liberté de culte du siècle d'or des Provinces Unies, créent un climat extrêmement propice et créatif, dans lequel s'inscrit le projet d'atlas de Johannes Van Horne. La liberté d'enseignement et de recherche qui régnait à l'Université de Leyde, fondée en 1575, attira des savants de toute l'Europe, dont Descartes, qui alla y étudier.
A l'opposé de ce climat de liberté, la dissection, qui seule permettait de prendre connaissance de l'intérieur du corps humain et de son fonctionnement, fut longtemps admise très parcimonieusement par l'Église catholique. Un seul cadavre par an était ainsi autorisé à l'université de Bologne, avec une dissection devant avoir lieu en public et en présence des autorités civiles et religieuses. À Lérida en Espagne les étudiants disposaient d’un corps tous les trois ans. A Paris, le Collège des Chirurgiens avait droit à quatre cadavres par an.












Les armoires du Cabinet d'Anatomie de Bonnier de La Mosson contenaient plusieurs squelettes humains et d'animaux.
"Un très-grand Squelete humain parfaitement confervé, & dont les os sont montés & joints avec du fil de laiton.
Un autre grand Squelete humain, dont les os sont pareillement joints & montés avec du fil de laiton. Ce Squelete est fort singulier, en ce que l'épine du dos forme une double SS, & que les os des cuisses, des jambes, des bras, des mains & des pieds, sont monstrueuſement grands, & d'une disproportion extraordinaire avec ceux du corps." (art.2,p.2)
Aucun de ces squelettes n'étant documenté, les dessins antomiques du hollandais Gérard de Lairesse (1641-1711) nous serviront à illustre cette partie du Cabinet.
Surnommé "le Poussin néerlandais", Gérard de Lairesse a réalisé en 1685 les illustrations de l'ouvrage d'anatomie de son ami médecin Govert Bidloo, intitulé Anatomia Hvmani Corporis.
C'est en se portant acquéreur le 15 mars 1796 de cet ouvrage que l'École de santé de Paris a acquis en même temps (sans le souhaiter, puisque le lot ne pouvait pas être disjoint) les volumes de myologie de Johannes Van Horne pour 3.600 livres (soit plus de 51.000 euros).


Le catalogue de vente de Gersaint mentionne ensuite :
"Un autre Squelette d'enfant, ayant toutes les dents, & dont les os sont joints par leurs propres ligamens. (art.3,p.2)
Un autre Squelette d'enfant pareil au précédent. (art.4,p.2)
Deux petits Squeletes de fætus humain". (art.7,p.2)



Plusieurs squelettes d'animaux complétaient cet ensemble :
- "Le Squelete d'une Loutre.
- Le Squelete d'un chien de Mer.
- Deux autres Squeletes d'animaux.
- Le Squelete d'un Lievre.
- Celui d'un Chat.
- Celui d'un Peroquet
- Celui d'une Perdrix.
- Le Squelete d'un Castor.
- Celui d'un Aigle.
- Un autre Squelete d'un Aigle.
- Celui d'un Cigne.
- Douze Squeletes de differents animaux comme, Aigles, Perdrix, Becasses, &c."



Eléments qui auraient justifié à eux seuls la dissimulation du Cabinet d'Anatomie, "Deux Balanus placés chacun dans une phiolle remplie d'esprit de vin ; l'un est naturel & garni de son Scrotum, & l'autre est factice" (art.23,p.4).
Balanus vient du grec ancien βάλανος (« gland » ; « fruits et objets en forme de gland », et par analogie depuis le XVIème siècle chez Rabelais : gland anatomique, pointe du pénis).
Ces deux "balanus" figurant au catalogue de Gersaint ont réalisé un prix conséquent lors de la vente : 146 Livres, soit près de 2.300 euros.
Autres temps, autres moeurs, un musée du phallus a ouvert en 1997 en Islande, visité par 60% de femmes et par des groupes scolaires. On peut y voir des phallus allant de 2 mm, celui du hamster, à 1,70 m et 75 kg, celui d'une baleine bleue.
Mais cela fait plus de 1500 ans au Japon que, tous les 15 mars, le pénis est fêté lors d'un festival dédié à la fertilité des terres agricoles.
Cette fête traditionnelle mêlant défilés, danse et prières rappelle une ancienne légende : un démon à corps de femme attirait les hommes dans sa couche, mais des dents acérées placées dans son vagin castraient les amants qui y risquaient leur membre. Le festival atteint son apogée avec la parade d’un pénis géant (haut d’1.80m) rose fushia.
Pour demeurer dans un cadre scientifique et artistique, le Musée florentin de la Specola possède plusieurs "balanus" de cire que les "curieux" pourront s'ils le souhaitent observer en cliquant sur les boutons ci-dessous...

~ Le Cabinet de Chimie, ou Laboratoire ~
Dezailler d’Argenville décrit un « laboratoire doré & peint en Marbre, avec deux fontaines dans des niches, & plusieurs tablettes sur lesquelles sont arrangés les Alambics, les Récipients & les Matras en cristal d’Angleterre ; rien n’est plus propre que les fourneaux. «
« Ce Cabinet renferme des fourneaux, pluſieurs Mortiers, differentes sortes de Bain-Marie, des Alambics & des Cucurbites, tant de cristal que d’étain ; plusieurs beaux & grands Balons aussi de cristal, des spatules de toutes grandeurs, & enfin les ustenciles nécessaires & propres à la distilation & aux autres operations de la Chimie, avec quelques verres curieux de cristal d’Angleterre. » (Gersaint)
Vue du Cabinet de Chimie restitué en 3D partiel

~ La Pharmacie ou Apothicairerie ~
« L’Apothicairerie vient ensuite composée de plusieurs rangs de pots aux armes du Maître ; les armoires d’en bas font remplies d’Esprits, d’Elixirs, de Sels & autres productions de la Chimie.«
(Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville)
« Comme ce Cabinet n’a été achevé que peu de temps avant la mort de feu M. de la Mosson, il ne se trouve pas aussi rempli d’excellentes drogues, qu’il auroit pủ l’étre par la suite, quoiqu’il y en ait plusieurs de fort bonnes: il contient donc une quantité de Vases de fayence de différentes formes & grandeurs, & faits exprès pour les placer ; plusieurs bouteilles grandes & petites, dans lesquelles il se trouve toutes sortes d’eaux simples & composées, Elixirs, Beaumes, &c. Plusieurs drogues dispersées dans les tiroirs qui entourent l’Apoticairerie, ainsi que les ustenciles convenables à cette partie, comme Balances, Mortiers & autres, avec deux Nécessaires en argent pour les dents, ce qui sera détaillé suivant la distribution ci-après énoncée. (Gersaint)
Vue de l’Apothicairerie restitué en 3D partiel

~ Le Cabinet du Tour & des Outils propres à différents Arts & Métiers ~
« Ce Cabinet est un des plus attrayants pour ceux qui aiment à s’amuser à construire eux-mêmes differents Ouvra ges ; il ne comprend pas seulement un Tour à guillocher, garni de toutes ses dépendances, ce qui en forme un des plus beaux qui soient connus, & dont nous donnerons ci-après la description, ainsi que des Outils qui ont rapport à un Tour entre deux pointes, tous extrêmement finis & montés avec une propreté extraordinaire ; mais aussi les Outils convenables, tant à la Menuiserie, à l’Ebenisterie & à l’Horlogerie , qu’à plusieurs autres Arts, & les Etablis nécessaires pour opérer. On trouve outre cela dans ce Cabinet plusieurs Chefs d’oeuvres de Tour en bois & en ivoire, & quelques autres curiosités à-peu-près du même genre, avec une jolie Boîte qui renferme les Ustenciles propres à la Peinture, la plupart faits en argent; ce qui sera détaillé suivant les numeros ci après énoncés. » (Gersaint)
Le tour à guillocher, du nom de l’ouvrier Guillot qui l’aurait inventé, est un tour qui permet de tracer des courbes et des volutes, toutes sortes d’ornements utilisés par exemple pour graver légèrement les boîtes de montres et les pièces d’horlogerie et d’orfèvrerie.
Au XVIIIe siècle, les cours se passionnent pour les tours ornementaux qui permettent désormais de tourner « en figure ».
« En me délassant par un art mécanique, je crois, après mes grands devoirs, me rapprocher des dernières classes, qui font également partie de ma grande famille« , écrivit le roi Louis XVI.
Lors de la vente de 1745, le guillocher de Bonnier de La Mosson a été acquis pour 1500 Livres, soit plus de 23.000 euros, par le Roi de Suède pour son château de Drögttningholm.
La photo du tour ci-contre représente le tour du Comte d’Artois acquis par le Château de Versailles en 2006 pour remplacer celui , disparu, du Roi Louis XVI.
Vue du Cabinet du Tour restitué en 3D partiel

~ Le premier Cabinet d’Histoire naturelle ~
(abritant l’ancien Cabinet des Drogues)
contenant les Animaux en Fiole dans une liqueur conservative, avec quelques Minéraux
« La quatrième pièce est destinée pour le Droguier, composé de Bocaux placés sur des tablettes, avec des portes vitrées. On trouve aussi dans des fioles quantité de Fœtus, de Serpents & autres Animaux rares, avec des tiroirs par bas où font les Minéraux, les Métaux, les Marcassites, les Marbres , les Agathes & autres différentes Pierres. » (Dezallier d’Argenville)
« Comme ce Cabinet n’a été achevé que peu de temps avant la mort de feu M. de la Mosson, il ne se trouve pas aussi rempli d’excellentes drogues, qu’il auroit pủ l’étre par la suite, quoiqu’il y en ait plusieurs de fort bonnes: il contient donc une quantité de Vases de fayence de différentes formes & grandeurs, & faits exprès pour les placer ; plusieurs bouteilles grandes & petites, dans lesquelles il se trouve toutes sortes d’eaux simples & composées, Elixirs, Beaumes, &c. Plusieurs drogues dispersées dans les tiroirs qui entourent l’Apoticairerie, ainsi que les ustenciles convenables à cette partie, comme Balances, Mortiers & autres, avec deux Nécessaires en argent pour les dents, ce qui sera détaillé suivant la distribution ci-après énoncée. (Gersaint)
« Ce Cabinet contient près de quatre cents vingt Phioles ou Bocaux grands & petits, dans lesquels sont renfermés plus de mille Animaux de differentes especes , comme Serpents & autres insectes , Oiseaux , Quadrupèdes , Poissons , Monstres , quelques Foetus humains & autres, quelques Fruits ou Plantes Etrangères , &c. & parmi lesquels il y en a de fort curieux & d’extrêmement rares. Ces Animaux sont placés sur des tablettes dans un corps de six grandes Armoires, & nagent dans une liqueur conservative : cette collection est une des plus considérables en ce genre, & je ne connais guerres de Cabinet qui en fournisse un si grand nombre.
J’aurais souhaité pouvoir instruire les Curieux, de la nature, de l’espèce & du nom de chacun de ces Animaux ; mais comme cette partie de l’Histoire naturelle fait une étude particuliere à la quelle peu de personnes s’appliquent, par la difficulté de trouver fréquemment l’occasion de posséder ou d’examiner la nature de ces Animaux, qui la plupart, viennent des Pays les plus éloignés, & que les recherches que j’aurais été obligé de faire, auraient sûrement exigé un temps trop considérable, je n’ai pu satisfaire la curiosité des Amateurs, que sur ceux avec lesquels j’ai pû faire ci devant quelque connaissance, & qui m’ont déja passé par les mains. On pourra avoir recours aussi à deux petits Catalogues qui ont paru en 1736 & 1737 à l’occasion de deux Ventes de cette nature que je fis alors.
On trouve outre cela dans ce Cabinet pluſieurs autres Animaux desséchés, qui sont attachés tant au plancher que sur les montants des Armoires : quelques Plantes, quelques Pétrifications & Congellations ; un grand Corps de tiroirs remplis de differents Minéraux Marbres, Mines, Pierres, Cailloux Agates & autres morceaux de même genre. » (Gersaint)
Vue du Cabinet des Animaux en Fioles restitué en 3D partiel
Une réplique du Cabinet hollandais de Livinus Vincent
Bonnier possédait dans sa bibliothèque le livre publié par le collectionneur hollandais Livinus Vincent, intitulé « Catalogue et description des animaux volatiles, aquatiles, et des reptiles. Comme aussi des animaux à quatre pieds, tant ceux qui portent des œufs, que ceux qui nourrissent leur fœtus de leur substance, & autres créatures très rares … conservés dans leur naturel dans des liqueurs« .
Ce livre comporte une description exhaustive de l’ensemble des animaux conditionnés en fioles que le cabinet de Vincent possède. Il n’y a en revanche aucune précision concernant les procédés de conservation utilisés.
Plusieurs planches de ce catalogue, que l’on croirait être celles du Cabinet des Animaux en Fioles dessiné par Courtonne, montrent les collections d’animaux en fioles du Cabinet de Vincent. Bonnier a retenu la même présentation des fioles par ordre de tailles décroissant vers le haut, placées dans des rayonnages de hauteurs elles aussi harmonieusement décroissantes.

Animaux en Fioles du Cabinet de Vincent

Animaux en Fioles du Cabinet de Bonnier

~ Deuxième Cabinet d’Histoire naturelle ~
qui renferme des insectes & autres animaux desséchés, contenant aussi des fossiles, des minéraux, des cristallisations,
des Madrepores & autres plantes marines, avec quelques habillements indiens
« La cinquième pièce qui suit , infiniment plus grande & plus élevée, est consacrée à l’Histoire Naturelle. Rien n’est rangé avec plus de goût & de magnificence : cinq grandes armoires de menuiserie vernie, séparées par des montants sculptés en serpentaux, forment des portes & des cadres garnis de glaces, pour exposer sur les tablettes les Oiseaux, les Reptiles , les insectes, surtout les Papillons collés sur des cartons blancs, cinq petites armoires pratiquées entre les grandes, offrent des Plantes marines, des Minéraux, des Métaux & des Coraux. Au-dessous sont cinq ouvertures garnies pareillement de glaces, où l’on découvre les plus belles congellations, pétrifications, quelques gros morceaux d’Agathe, de Calcédoine Orientale, une ramification d’Or, & une grosse mine d’Argent, il y a au-dessous plusieurs tiroirs remplis de Crustacés, d’Etoiles différentes, de Besoarts, de Crabes & autres curiosités. Toutes les armoires font surmontées de grandes Plantes marines, de Cornes d’Animaux & de Plumages, qui paraissent sortir des têtes sculptées dans le couronnement d’en haut. » (Dezallier d’Argenville)
« Ce Cabinet forme un coup d’oeil des plus séduisants il renferme une multitude innombrable de Papillons & autres Insectes desséchés, dont plusieurs sont posés sur des cartons couverts de grandes glaces, ou sur des quarrés de carton garnis de verres blancs ; plusieurs Oiseaux singuliers & rares, montés sur des pieds de bois garnis de feuillages artificiels ; des Mines d’or & d’argent fort riches & autres Mineraux ; des Fossilles de toutes especes , des Pétrifications, des Congellations, des Cristalizations simples & mêlées; des Madrepores & autres Plantes pierreuses fort singulieres & parfaitement bien conservées des Litophiton , des Coraux de toutes espèces, des Plantes moles & Panaches de mer, des Serpents d’une grandeur monstrueuse , des Animaux ou parties d’Animaux desséchés, tant terrestres que marins, dont plusieurs sont fort rares, des Cornes de Licorne ou de Narwal , & de Rinoceros de la plus grande sorte ; un bel assortiment de divers habillemens Indiens & instrumens à leurs usages ; & enfin plusieurs autres morceaux curieux. La plupart de ces pieces sont placées dans un grand corps d’Armoire de bois de chêne magnifiquement sculpté, & dont les portes sont ceintrées & contournées, & garnies de grandes glaces dans le haut & dans le bas, qui donnent la facilité de pouvoir tout appercevoir d’un coup d’oeil ; le reste est placé tant sur le Parquet & sur les Armoires, qu’attaché au plancher & sur les différentes parties de la boizerie. » (Gersaint)
Vues du Cabinet des Animaux desséchés restitué en 3D partiel
Les armoires du Cabinet des animaux desséchés
Voici la description que fait Gersaint de ces armoires :
« Un grand & magnifique corps de Boiserie du plus beau bois de Hollande verni, qui renferme la plus grande partie des curiosités de ce Cabinet. Il est composé de cinq Armoires à jour, ceintrées par le haut, ouvrante chacune à deux batans, dont trois de ces Armoires forment un corps de face, & les deux autres font en retour des deux côtés ; de six pilastres tant convexes que concaves, dispersés également entre les Armoires, dont deux sont à jour & les quatre autres sont pleins; D’un bas d’Armoire régnant autour & faisant un corps en avant, bombé en forme de Tombeau, qui contient cinq Armoires Oblongues & à jour, & six pilastres pleins, dont deux sont unis & les quatre autres font cannellés. Au-dessous de chacune de ces cinq Armoires Oblongues, il y a quatre Tiroirs. Les grandes Armoires sont ornées par le haut de cartouches accompagnés de divers ornements de sculpture, ainsi que les portes qui sont entourées de Serpents entrelassés, & chaque Pilastre est terminé dans le haut par une console, disposée pour recevoir des Bronzes ou des Porcelaines. Le tour sculpté avec une propreté & une délicatesse admirable.
Toutes ces Armoires à jour tant grandes que petites sont garnies de vingt neuf glaces, dont il y en a vingt-quatre pour le haut, savoir : Quatre de 38. pouces sur 21. Quatre de 36. pouces sur 21. Quatre autres de 38. pouces sur 22, Six de 36. pouces sur 22. Deux de 43. pouces sur 22. Deux de 34. pouces sur 9. & deux de 33. pouces sur 9. Ces quatre dernières sont pour les deux Pilastres à jour. Les cinq autres Glaces employées au bas d’Armoire sont, deux de 47. pouces sur 14. Deux de 45 pouces sur 14. & une de 48. pouces sur 14. Tout cet assemblage peut former une des plus belles Bibliothèques qui ſoient connues, & très facile à placer tant pour la hauteur que pour la largeur, portant onze pieds quatre pouces depuis le bas jusques au haut du ceintre de chaque grande Armoire, seize pieds deux pouces de face, & six pieds cinq pouces pour chacune des deux Armoires de retour. Ce morceau est un des plus beaux que l’on puisse exécuter en ce genre, & passera toujours auprès des Connoisseurs pour un chef-d’oeuvre de Menuiserie. »
Pour le Cabinet du Roi, dont il était l’Intendant des Jardins, Buffon acquiert pour 3000 livres (près de 47.000 euros), les cinq armoires du Cabinet des animaux desséchés, qui sont le plus important élément subsistant du Cabinet Bonnier de La Mosson. Elles sont remontées au Jardin du Roi et sont représentées sur ces gravures de Babel qui illustrent la description du cabinet du Jardin du Roi, dans Buffon, Histoire naturelle, Paris, 1749, 1. III, p. 13.
Leur présentation depuis 1996 au Museum National d’Histoire Naturelle de Paris est appréciable mais n’apparait pas satisfaisante pour trois raisons :
- Tout d’abord, ces armoires ont été installées dans une salle de la bibliothèque du Museum au mobilier moderne et au plafond trop bas : elles sont de ce fait placées artificiellement et de manière étriquée dans une niche à près de -50 cm du niveau du sol et au plafond évidé. Une balustrade, rendue nécessaire par le dénivelé les entourant achève de faire de cette installation une hérésie.
- Deuxième raison : les cinq armoires sont toutes présentées sur le même plan alors qu’elles étaient à l’origine installées en U, les trois armoires centrales étant flanquées d’une armoire en retour d’angle de chaque côté.
- Enfin, les deux armoires de côté étaient prolongées par des miroirs qui offraient aux regards des visiteurs deux armoires supplémentaires en reflet.
La simulation en 3D de cette salle des Animaux desséchés illustre l’intérêt qu’il y aurait à replacer ces armoires dans un cadre les mettant mieux en valeur et respectant leur histoire.
Contenu du Cabinet des animaux desséchés
C’est une liste « à la Prévert » que celle établie par le marchand Gersaint des articles du Cabinet des Animaux desséchés. On y trouve ainsi « un calumet de paix garni de sa pipe de caillou » (art.380, p77), « Deux monstrueuses Têtes de Vaches Marines dissequées & garnies tant de toutes leurs dents machelieres, que de celles qui leur sont extérieures » (art.384, p.79), un Tambour chinois « qui est fait de peau humaine » (art.386, p.79), « une peau de Tigre qui sert de couverture aux Indiens quand ils veulent s’armer » (art.387, p.80)
Certains articles du Cabonet Bonnier de La Mosson sont des classiques que se doit alors de posséder tout Cabinet de curiosités digne de ce nom. Plusieurs de ceux qui sont détaillés par la suite représentent des reliques de croyances et légendes désormais révolues, ou en passe de l’être au XVIIIème siècle. Leur présence dans le Cabinet de Bonnier de La Mosson témoigne du fait que ce Cabinet, s’il s’inscrit à l’aube d’un rationalisme scientifique révolutionnaire, contient encore quelques oripeaux de pensée magique.

Un "Bézoard de porc-épic enchassé dans de l'or" est ainsi mentionné par Gersaint comme "un morceau des plus en réputations de ce Cabinet".
Bien que Gersaint mentionne en note que l'usage médicinal des bézoards soit devenu rare compte tenu de son absence d'efficacité (prouvée par une expérience d'Ambroise Paré) ou de la préférence portée à d'autres remèdes, ce n'est qu'au début du XIXème siècle que son inefficacité sera établie... en Europe.
Des vertus médicinales sont en effet aujourd'hui encore attribuées en Asie, et particulièrement en Chine, au bézoard, notamment de porc-épic. Cet animal fortement braconné pour cette raison, est de ce fait en danger de disparition.


Potosi est une ville minière de Bolivie fondée par les colons espagnols en 1545 au pied du Cerro Rico (« Montagne riche »), une montagne de minerai d'argent dont le sommet atteint 4 782 mètres.
Exploitée pendant 60 ans, Potosi devient la ville la plus peuplée d'Amérique derrière Mexico, avec au moins 200 000 habitants. Elle dépasse alors Londres, Paris ou Rome. Potosi est une des villes les plus hautes du monde, inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO.
C'est Buffon qui a acquis le morceau de mine d'or pour 1340 livres, soit plus de 20.000 euros...
Parmi les articles de cette pièce du Cabinet mis en vente, Gersaint met en avant "un magnifique morceau de mine d'or du plus pur, venant du Potosi" et "une très belle & très-grosse Mine d'argent, venant aussi du Potosi".
Potosi est une ville minière de Bolivie fondée par les colons espagnols en 1545 au pied du Cerro Rico (« Montagne riche »), une montagne de minerai d'argent dont le sommet atteint 4 782 mètres.
Exploitée pendant 60 ans, Potosi devient la ville la plus peuplée d'Amérique derrière Mexico, avec au moins 200 000 habitants. Elle dépasse alors Londres, Paris ou Rome. Potosi est une des villes les plus hautes du monde, inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO.
C'est Buffon qui a acquis le morceau de mine d'or pour 1340 livres, soit plus de 20.000 euros...
"Deux belles Racines de Mandragore représentant deux Figures comiques" figurent parmi les articles de la vente.
Les très anciennes et étranges légendes et croyances entourant cette plante méritent d'être contées.
Les médecins grecs prescrivaient la mandragore contre la mélancolie et la dépression. On la croit longtemps de deux espèces : la blanche, considérée comme la mandragore mâle, et la noire, considérée comme la femelle. A la suite des conquêtes orientales d'Alexandre le Grand, la pensée magique mésopotamienne et égyptienne se diffusa en Grèce et imprégna les observations et travaux scientifiques. En témoigne ces indications de Théophraste selon lesquelles, lors de la cueillette, il faut « tracer autour de la mandragore trois cercles avec une épée, couper en regardant vers le levant, danser autour de l'autre et dire le plus grand nombre possible de paroles grivoises ».
Au Moyen-Âge se répand la croyance que l’arrachage de la Mandragore s’accompagne d’un cri effroyable poussé par la plante qui peut rendre fou.
On recommande donc de se boucher les oreilles de cire et de faire arracher la plante par un chien attaché à elle qui détournerait sur lui le cri maléfique.
La Mandragore était vendue très cher en raison du risque lié à sa cueillette. On accusait les sorcières d’en composer des philtres mettant à profit ses propriétés hallucinogènes, leur permettant notamment de voler sur leurs balais magiques.
"Deux belles Racines de Mandragore représentant deux Figures comiques" figurent parmi les articles de la vente.
Les très anciennes et étranges légendes et croyances entourant cette plante méritent d'être contées.
Les médecins grecs prescrivaient la mandragore contre la mélancolie et la dépression. On la croit longtemps de deux espèces : la blanche, considérée comme la mandragore mâle, et la noire, considérée comme la femelle. A la suite des conquêtes orientales d'Alexandre le Grand, la pensée magique mésopotamienne et égyptienne se diffusa en Grèce et imprégna les observations et travaux scientifiques. En témoigne ces indications de Théophraste selon lesquelles, lors de la cueillette, il faut « tracer autour de la mandragore trois cercles avec une épée, couper en regardant vers le levant, danser autour de l'autre et dire le plus grand nombre possible de paroles grivoises ».
Au Moyen-Âge se répand la croyance que l’arrachage de la Mandragore s’accompagne d’un cri effroyable poussé par la plante qui peut rendre fou.
On recommande donc de se boucher les oreilles de cire et de faire arracher la plante par un chien attaché à elle qui détournerait sur lui le cri maléfique.
La Mandragore était vendue très cher en raison du risque lié à sa cueillette. On accusait les sorcières d’en composer des philtres mettant à profit ses propriétés hallucinogènes, leur permettant notamment de voler sur leurs balais magiques.
Les cornes de Narval sont un objet emblématique exposé dans les cabinets de curiosités, dont la valeur phénoménale au Moyen-Âge a longtemps été liée à son identification aux cornes de l’animal légendaire qu’est la Licorne et à ses vertus supposées de contre-poison universel.
Les notes de Gersaint, page 74, relatives aux deux cornes de Narval du Cabinet Bonnier de La Mosson mises en vente, sous les numéros 368 et 369, illustrent parfaitement la fin de cette identification.
« 368 - Une des plus belles & des plus grandes Cornes de Narwal que l'on puisse trouver, appelée communément corne de Licorne. Elle porte sept pieds sept pouces de haut. Elle est attachée au bout du mufle d'une tête de Narwal très-bien sculptée en bois, & faite telle que l'on dépeint cet animal.
369 - Une aussi belle Corne de Licorne ou de Narwal, que la précédente, attachée pareillement sur une tête très proprement sculptée, & telle que l'on dépeint celle d'une Licorne. Elle porte sept pieds dix pouces de haut. »
Gersaint écrit en note : « Il y a déjà du temps que l'on est désabusé de l'erreur dans laquelle on était, que cette corne était une défense posée sur la tête d'un animal appelé Licorne. Comme il ne s'est trouvé que des Auteurs suspects qui en ayaient parlé, sans même avoir pû dire qu'ils en avoient vû, ni le lieu de leur naissance ; on a reconnu que ce n'était qu'un être imaginaire, autorisé simplement par des oüi dire & des rapports mal-fondés, & sans preuve ; & l'on a enfin découvert par la suite que cette corne était la défense dont était armé un certain gros Poisson appelé Narwal, qui s'en sert pour attaquer ou pour se défendre contre les plus grosses Baleines, & qui se trouve communément dans la Mer du Nord vers les Côtes d'Islande & de Groenlande, Cette corne est très-pesante, dure, luisante, blanche, tortillée ou de figure spirale, creusé en dedans, diminuant avec proportion depuis la racine jusques à fa pointe, & ressemblant à de l'yvoire. Il est extrêmement rare d'en trouver d'aussi belles & d'aussi grandes que les deux qui sont dans ce Cabinet ».
C'est au cours du XVIIème siècle que la croyance en l'existence de la Licorne a été été mise en brèche par les voyages en Europe du Nord du naturaliste Ole Worm qui prouve en 1638 que ce ne sont que des cornes de narval. Son prix ne cesse de baisser au cours des années suivantes pour s'effondrer au XVIIe siècle.
Le prix de vente des Cornes du Cabinet illustre cette perte de valeur : la plus grande atteint 67 Livres, soit un peu plus de 1.000 euros.
A son apogée au XVIème siècle, la corne de Licorne valait 12 fois son poids d'or : 450 grammes de poudre de corne de Licorne atteignaient alors 1536 écus, soit 251.000 euros, le même poids d'or valant 148 écus seulement, soit 21.000 euros.
En 1576, la reine Elizabeth 1er d'Angleterre acheta une corne de licorne 10.000 Livres, soit plus de 600.000 euros...
Les cornes de Narval sont un objet emblématique exposé dans les cabinets de curiosités, dont la valeur phénoménale au Moyen-Âge a longtemps été liée à son identification aux cornes de l’animal légendaire qu’est la Licorne et à ses vertus supposées de contre-poison universel.
Les notes de Gersaint, page 74, relatives aux deux cornes de Narval du Cabinet Bonnier de La Mosson mises en vente, sous les numéros 368 et 369, illustrent parfaitement la fin de cette identification.
« 368 - Une des plus belles & des plus grandes Cornes de Narwal que l'on puisse trouver, appelée communément corne de Licorne. Elle porte sept pieds sept pouces de haut. Elle est attachée au bout du mufle d'une tête de Narwal très-bien sculptée en bois, & faite telle que l'on dépeint cet animal.
369 - Une aussi belle Corne de Licorne ou de Narwal, que la précédente, attachée pareillement sur une tête très proprement sculptée, & telle que l'on dépeint celle d'une Licorne. Elle porte sept pieds dix pouces de haut. »
Gersaint écrit en note : « Il y a déjà du temps que l'on est désabusé de l'erreur dans laquelle on était, que cette corne était une défense posée sur la tête d'un animal appelé Licorne. Comme il ne s'est trouvé que des Auteurs suspects qui en ayaient parlé, sans même avoir pû dire qu'ils en avoient vû, ni le lieu de leur naissance ; on a reconnu que ce n'était qu'un être imaginaire, autorisé simplement par des oüi dire & des rapports mal-fondés, & sans preuve ; & l'on a enfin découvert par la suite que cette corne était la défense dont était armé un certain gros Poisson appelé Narwal, qui s'en sert pour attaquer ou pour se défendre contre les plus grosses Baleines, & qui se trouve communément dans la Mer du Nord vers les Côtes d'Islande & de Groenlande, Cette corne est très-pesante, dure, luisante, blanche, tortillée ou de figure spirale, creusé en dedans, diminuant avec proportion depuis la racine jusques à fa pointe, & ressemblant à de l'yvoire. Il est extrêmement rare d'en trouver d'aussi belles & d'aussi grandes que les deux qui sont dans ce Cabinet ».
C'est au cours du XVIIème siècle que la croyance en l'existence de la Licorne a été été mise en brèche par les voyages en Europe du Nord du naturaliste Ole Worm qui prouve en 1638 que ce ne sont que des cornes de narval. Son prix ne cesse de baisser au cours des années suivantes pour s'effondrer au XVIIe siècle.
Le prix de vente des Cornes du Cabinet illustre cette perte de valeur : la plus grande atteint 67 Livres, soit un peu plus de 1.000 euros.
A son apogée au XVIème siècle, la corne de Licorne valait 12 fois son poids d'or : 450 grammes de poudre de corne de Licorne atteignaient alors 1536 écus, soit 251.000 euros, le même poids d'or valant 148 écus seulement, soit 21.000 euros.
En 1576, la reine Elizabeth 1er d'Angleterre acheta une corne de licorne 10.000 Livres, soit plus de 600.000 euros...

L'Agnus Scyticus est une plante légendaire, aussi connnue sous le nom d'agneau tartare ou agneau de Scythie ou Barometz.
Gersaint précise en note que "Les Anciens ont donné le nom de Zoophite à plusieurs espèces de Plantes qu'ils ont crû tenir autant de l'Animal que de la Plante. Le plus renommé de tous les Zoophites est celui-ci, que l'on appelle Agnus Scyticus, l'Agneau de Scythie, qui est aujourd'hui la Tartarie ; elle est véritablement faite comme un Agneau ; elle tient à la terre par une tige ou pédicule qui lui sert de nombril ; en croissant elle change de place autant que son pédicule le lui permet, & quand elle meurt sa tige se sèche & elle se revêt d'une peau velue & douce. Cette Plante croît proche de Samara sur le Wolga ; on pourrait la mettre dans l'espèce des Champignons".
En 1751, Diderot consacrera un article de son Encyclopédie (Tome 1, p. 179-180) à l'Agnus Scythicus, s'en servant pour illustrer la façon dont une fausse croyance se construit et les principes méthodiques permettant de l'infirmer, "principes d’après lesquels on accordera ou l’on refusera sa croyance, si l’on ne veut pas donner dans des rêveries, & si l’on aime sincerement la vérité".
Borgès mentionne l'Agneau Tartare dans Le Livre des Êtres imaginaires.

~ Cabinet de Mécanique et de Physique ~
renfermant différents modèles de machines, divers instruments propres à la physique, à l’astronomie & à la géographie ; plusieurs pièces d’optique ; une machine pneumatique avec les pièces assortissantes ; plusieurs beaux morceaux d’artillerie & autres elles armes à feu ; des plans en reliefs ; des orgues, clavecins & autres instruments de musique de conséquence ; des globes et sphères de divers systèmes et grandeurs ; des pendules singulières ; des pierres d’aimant naturelles & artificielles ; des microscopes ; des verres ardents ; des télescopes & lunettes d’approche, etc
« C’est à la mécanique qu’on a destiné la sixième chambre, de grands montants de menuiserie, sculptés en Palmier, soutiennent par leurs branches plusieurs tablettes , où sont rangés les machines & les modèles en bois & en carton, qui concernent l’Hydraulique, l’Artillerie, la Navigation & l’Architecture ; des instruments de Mathématique & toutes les figures d’Optique garnissent les armoires des encoignures ; on y voit aussi plusieurs figures Chinoises & des habillements étrangers, une belle Sphère céleste mouvante & toute dorée en remplit le milieu. » (Dezallier d’Argenville)
« Ce Cabinet est celui qui est le plus récréatif pour l’esprit & pour les yeux , puisque tout ce qui le compose instruit en même tems qu’il amuse. Il renferme en Mécanique & en autres sciences de Mathématique plusieurs morceaux de conséquence faits avec une précision admirable, établis tant sur des principes connus, que sur des systêmes particuliers & nouvellement imaginés, ayant tous rapport aux forces mouvantes & à differentes autres parties des Mathématiques. Ces machines sont exécutées en bois, en cuivre, ou en fer, & elles ont été la plupart construites, rétablies, ou perfectionnées par les soins du sieur Magny, qui doit être regardé comme celui qui a formé sous les ordres de feu M. de la Mosson ce Cabinet en entier, pendant près de dix années qu’il a passé chez lui ; il y en a nombre qui sont de son invention, & elles sont toutes finies avec tout le soin & toute l’attention dont il est capable. On connoîtra facilement à la vue de ces machines avec quelle précision & quel scrupule il finit tout ce qui sort de ses mains. Cet excellent Artiste ne s’en tient point servilement à la main d’oeuvre, & chez lui l’imagination a le pas sur le mérite & l’exactitude de l’exécution : avantages que l’on trouve rarement réunis dans un même Sujet.
Gersaint fait ensuite l’éloge d’Alexis Magny en rapportant un récente apport qu’il a fait à la science en amléiorant la précision des boussoles et indique que les machines du Cabinet Bonnier de La Mosson « sont presque toutes sorties de ses mains en qualité d’Inventeur, de Constructeur ou de Réformateur« . C’est Magny lui-même qui a fourni à Gersaint les renseigments détaillés du catalogue de vente.
« Ce Cabinet comprend de plus, nombre de jolis Problemes tant pour la Mécanique, la Statique, l’Arithmétique que pour la Géometrie des Solides. Plusieurs Instruments à l’usage de l’Optique, comme Miroirs, Microscopes, Telescopes, Binocles, Lunettes, Cylindres, Verres ardents, &c. Quelques Machines d’Optique, curieuses & aussi ingénieusement imaginées qu’agréablement exécutées. Une Machine Pneumatique avec toutes ses dépendances propres à faire les expériences de l’air & du vide. Plusieurs Pendules d’une construction particuliere, & dont les effets sont très étendus & multipliés. Un grand nombre de morceaux d’Artillerie en fonte, avec les instruments qui sont à leur usage. Quelques Ouvrages en relief tant pour l’Architecture civile que militaire, très-proprement finis. Des armes anciennes & singulieres. Plusieurs Inſtruments de Mathématique & autres, servant à l’Astronomie, ainſi qu’à la * Gnomonique & à la Geographie. Des Globes célestes & terrestres de differents Auteurs & Diametres. Des Pierres d’Aimant, naturelles & artificielles. Des Modèles de Vaisseaux & de Galères. Des Figures Indiennes avec leurs habillements, & enfin quelques autres morceaux de curioſités de différents genres (…)« .
* La Gnomonique est une Science qui enseigne à trouver la juste proportion des ombres pour la construction de toutes sortes de Cadrans au Soleil & à la Lune, & pour connoître les heures par le moyen des ombres & d’un instrument qui les marque, auquel on donne le nom d’un Stile ou d’un Gnomon.
(Gersaint)
Vues du Cabinet de Physique restitué en 3D partiel
La science du XVIIIème siècle, et ses découvertes, suscite un enthousiasme qui dépasse les cercles éclairés. L’intérêt pour les découvertes devient populaire. L’Abbé Nollet, en France, les vulgarise en organisant cours et démonstrations publiques. La Science se donne en spectacle.
On peut tout à fait imaginer que Bonnier ait organisé lui-même de telles démonstrations ou conférences dans son propre Cabinet, qu’il avait ouvert au public, en solliciant l’abbé Nollet ou bien son assistant Alexis Magny.
Gersaint fait l’éloge d’Alexis Magny en indiquant que les machines du Cabinet Bonnier de La Mosson « sont presque toutes sorties de ses mains en qualité d’Inventeur, de Constructeur ou de Réformateur« . C’est Magny lui-même qui a fourni à Gersaint les renseigments détaillés du catalogue de vente.
- Microscopes
- Miroirs ardents
- Lunettes
- Tableau mécanique
- Suisse ouvre-porte
- Machine pour l'élévation de Louvre
- Machine pour lever l'obélisque de la Place Saint-Pierre
- Vis d'Archimède
- Cercle d'arpenteur
- Machine pneumatique
- Globes terrestre et céleste
- Sphère mouvante
- Jeu de dés mécaniques
- La pompe du Pont Neuf
- Machine à polir les lentilles
- Problèmes
- Baromètre et thermomètre
Plusieurs microscopes figurent au catalogue de la vente. L'article 467, page 115, décrit ainsi "Un très-beau & très-complet Microscope à lentilles simples, servant aux liqueurs & aux objets opaques, garni de huit lentilles de différents foyers, pour les pouvoir changer selon la grosseur & l'étendue des objets que l'on veut observer".
Alexis Magny se fera connaître 7 ans après le décès de Bonnier de La Mosson en devenant opticien du roi Louis XV et en fabriquant 8 microscopes de ce type entre 1751 et 1754.
Réalisé selon les projets et études du Duc de Chaulnes, gendre de Bonnier de La Mosson, c'est un microscope composé de type Cuff, à crémaillère et à trois verres. Les lentilles étaient fournies par Claude-Siméon Passemant et le micromètre par André Maingaut. Le socle en bronze doré est attribué au sculpteur Caffieri.
Les microscopes étaient de trois types :
- les microscopes composés, munis de plusieurs lentilles, apparus dès la fin du XVIe siècle et dérivant directement de la lunette, dite plus tard lunette astronomique ou lunette de Galilée.
- les microscopes simples, munis d'une seule lentille, qui ont permis, dès le XVIIe siècle, d'importantes avancées dans la connaissance du vivant.
- les microscopes solaires enfin, clous des cabinets de physique du XVIIIe siècle, qui projetaient au mur les images agrandies de pattes de puces ou grains de pollen.

Plusieurs miroirs ardents figurent dans le catalogue de vente du Cabinet Bonnier de La Mosson.
Les miroirs ardents permettent, en dirigeant un rayon lumineux thermique à partir d’une source de chaleur, d’enflammer une cible. Archimède aurait ainsi enflammé des navires romains lors du siège de Syracuse selon une légende sûrement peu probable.
S’il s’agit très probablement d’une légende, le dispositif fonctionne bel et bien entre deux miroirs concaves, ou paraboles, dont l’un renvoie vers l’autre la chaleur dégagée par des charbons ardents placés devant lui, et enflamme ainsi à distance de l’amadou.
Cette expérience de science physique était très en vogue dans les cabinets scientifiques du XVIIIème siècle, comme celui de Bonnier de La Mosson.
Buffon en a fait la démonstration au roi Louis XV en 1747 au Château de La Muette.
Présenté ci-dessus en bas sur le piedestal de gauche, le catalogue de Gersaint décrit à la référence 466 "Un Miroir ardent compose de trois verres de differens foyers & grandeurs, placez à des distances proportionnées à leurs foyers, afin de pouvoir réunir les rayons du Soleil avec plus de force ; le premier verre a douze pouces de diamètre, le second en a neuf, & le troisième trois & demi ; ils sont tous trois entourez de cercles de fer bronzé, montez sur un même affut, & disposez de façon à pouvoir faire un seul effet conjointement ensemble. Cette pièce est de l'invention du feu Père Sebastien. On prétend que ce miroir a presqu'autant de force que celui qui est à l'Observatoire."
Le gatalogue Gersaint décrit sous la référence 567 "Une excellente & belle Lunette d'approche, faite par le sieur le Bas, d'environ quatre pieds , renfermée dans un tuyau de chagrin rouge, garnie de cercles & boutons d'argent, montée fur un pied à trois branches mobiles, avec un genouil courbant."
Les tableaux mécaniques (paysages avec des figures en mouvement) sont très en vogue en France au XVIIIème siècle.
Celui que le Cabinet de Physique de Bonnier de La Mosson possédait est l’un des rares objets du Cabinet à être parvenu jusqu’à nous. Il figure dans les collections du Musée des Arts Décoratifs.
La bordure du tableau comporte trois cadrans donnant respectivement
l’heure, les quantièmes, les jours de la semaine et les mois. Une soixantaine de sujets entre en mouvement grâce à un mécanisme, placé dans la partie inférieure du tableau, au moyen d’engrenages, de bielles et de leviers.
Le tableau a été peint par Nicolas Spayement et le mouvement a été réalisé par Desmares, « machiniste » à Versailles et Paris en 1739.
Gersaint décrit ainsi ce « Tableau mouvant » : « Un Tableau mouvant de deux pieds de long sur seize pouces de haut, sans comprendre la bordure qui est garnie d’un verre blanc & très – proprement sculptée & dorée.
Ce morceau est des plus amusants ; il renferme environ soixante Sujets variés, tant en figures qu’en animaux, qui tous sont en action. Les ressorts qui font agir les mouvemens sont faits avec beaucoup d’attention, & disposés de façon que ces mouvements deviennent lents ou précipités, selon que l’exigent les différentes opérations des figures & des animaux qui y font représentés.
Voici en partie les differents Sujets qui agissent dans ce Tableau mouvant : Des Blanchisseuses qui lavent du linge, un Pêcheur ; un Enfant qui joue avec un Chien; un Gagne-petit aiguisant des couteaux ; un Charpentier qui fait une mortaise; des Poules qui ramassent du grain; des Canards barborant dans l’eau, plusieurs Tailleurs, Appareilleurs & Scieurs de pierres ; deux enfants qui se balancent ; un Sculpteur qui travaille sur un Frontispice, avec plusieurs autres ouvriers occupés au même bâtiment. Au milieu de ce Tableau paroissent deux chemins, dont l’un conduit du bas d’une montagne au haut d’un château, & l’autre va de ce château vers la même montagne. Ces deux chemins font remplis de voitures, comme charrettes, tomberaux, brouettes, chevaux , mulets, ânes, tous chargés de differents matériaux propres à la construction d’un bâtiment ; on voit aussi sur ces chemins plusieurs figures qui portent pareillement differents ustenciles convenables à un bâtiment.
On apperçoit de plusieurs autres côtés, un Soldat qui fait l’exercice au son du tambour sous l’ordre d’un Officier ; deux Moulins, l’un à eau, & l’autre à vent ; un Meunier & une Meuniere qui reviennent d’un des Moulins avec plusieurs chevaux chargés.
Tous ces Sujets sont tous en mouvement, comme nous l’avons déja dit, ainsi que plusieurs autres dont le détail de viendrait trop long ; ainsi l’on doit juger du travail de cette Piéce par la multitude des differents objets qui y sont représentés.
Le fond de ce Tableau représente une vaste & belle campagne remplie de valons & de plusieurs morceaux d’Architecture. La bordure porte dans la partie du bas deux pieds tournants qui servent à placer ce Tableau ſur une table quand on le juge à propos, & qu’on veut l’examiner de plus près.
Oure l’avantage de l’amusement que procure ce Tableau on a eu l’adresse de ménager dans l’interieur du cartouche placé au milieu du haut de la bordure, une petite Pendule à cadran d’émail qui marque l’heure, & dont les ressorts font en même-tems agir des Machines placées dans les quatre coins de la même bordure, qui instruisent du mois, du quantième du mois, du jour de la semaine, & du nombre de l’année courante, ce qui augmente encore le mérite de cette Pièce, qui indépendamment de ce dernier mérite, en a par elle-même assez pour pouvoir piquer la curiosité d’un Amateur« .
Le catalogue présente (art.402, p.95) « Le Modele d’un projet imaginé à dessein de faire ouvrir une porte d’elle-même, par le moyen de plusieurs ressorts ; on y voit un Suisse qui agit & change d’attitudes, par le mouvement des mêmes ressorts.
Ce Modèle est une simple idée d’un Projet que le sieur Magny avoit imaginé, au sujet d’un Suisse artificiel qui devoit ouvrir une porte, faire le salut de la hallebarde, & refermer ensuite la porte après que la Compagnie serait entrée; ce qui aurait été exécuté à la porte de ce Cabinet de Mécanique« .
Les Gardes suisses étaient des soldats mercenaires qui louaient leurs services auprès de souverains pour leur protection ainsi que pour la garde de leurs résidences.
C’est ansi que le terme « Suisse » a désigné, du XVIIe au XIXe siècle un concierge, portier d’un hôtel particulier, d’une grande maison, au costume chamarré rappelant celui des gardes suisses.
Alfred Franklin (1830-1917) nous apprend, dans « La vie privée d’autrefois : arts et métiers, modes, moeurs, usages des Parisiens, du XIIe au XVIIIe siècle« , que « La porte cochère était gardée pàr un portier. Les grands seigneurs. seuls avaient le privilège d’y placer un Suisse de nation; celuici se distinguait par un large haudrier orné des armes de son maître, et on lisait au-dessus de la loge Parlez au Suisse. Depuis quelques années, écrivait Prud’homme vers 1807, on voit des nouveaux riches qui, ne pouvant pas avoir de Suisses, font mettre au dessus de la loge de leur portier Parlez au concierge. Cette nouvelle distinction est encore bien ridicule’. » (Tome XXV, p.55, 1901).
Joseph Bonnier de La Mosson avait un suisse à la porte monumentale (près de 10 mètres de haut) de son Hôtel du Lude. Il lui avait coûté 150.000 livres, soit plus de 2,2 millions d’euros, nous apprend Grasset-Morel (Les Bonnier ou une famille de financiers du XVIIIème siècle, 1886, p.120). Sa fortune lui permettait cette folie.
Les gardes suisses de certaines grands Hôtels particuliers dotés de collections de peinture sont aussi chargés de les faire visiter, moyennant rétribution, comme le rappellait l’historien Bruno Pons : « La plupart de ces collections sont accessibles aux artistes et aux amateurs ; les guides leur indiquent les plus importantes et, lorsque le propriétaire ne réside pas dans son hôtel, il suffit de s’enquérir du suisse. Moyennant une petite rétribution, fixée à l’avance à 3 sols à l’hôtel de Lassay, il ouvrira les galeries » (Le faubourg Saint-Germain, la rue Saint-Dominique : hôtels et amateurs, Exposition au Musée Rodin, Paris, 11 octobre-20 décembre 1984).
On sait que Joseph Bonnier de La Mosson aimait faire visiter lui-même son Cabinet. Mais il est fort probable que son suisse en ait été chargé en son absence.
L’ingénieux Magny avait pour sa part imaginé un ouvre et ferme porte automatique qui aurait pris la forme d’un mannequin de garde suisse posté à l’entrée du Cabinet.
Très en vogue au XVIIIème siècle, les mécanismes automates étaient prisés des Cabinets de curiosité étant donné leur pouvoir d’étonnement de voir une machine accomplir de taches humaines. La science et la technique sont alors utilisées à des fins ludiques et divertissantes dans la fabrication d’androïdes écrivains, musiciens.
Les automates réalisés en 1737 par Vaucanson (1709-1782) – un joueur de flûte traversière, ainsi qu’un Joueur de galoubet et de tambourin – jouent réellement de la musique.
Alors qu’il n’a que 24 ans, il avait auparavant fabriqué en 1734 un célèbre canard automate qui reproduisait même la digestion et la défécation. D’Alambert le décrit dans son Encyclopédie et il devient un symbôle.
Ces automates présentés publiquement en 1739 font sensation. Bonnier de La Mosson et Magny les ont inévitablement vus.
L'article 409, pages 98-99 du catalogue est selon Gersaint "Un des plus agréables morceaux de ce Cabinet. Il donne le modèle exact en relief, de la Machine qui a été construite pour l'élévation des deux fameuses pierres qui ont été placées au fronton du péristyle du Louvre, avec la représentation en élévation de la façade de ce péristyle , de la colonnade & de la galerie qui forment le corps entier de ce riche Bâtiment, qui est regardé comme un chef-d'œuvre en ce genre, & qui fait face à l'Eglise de Saint Germain de l'Auxerrois. Cette représentation est faite en carton, & porte plus de quatre pieds de long sur quatorze pouces de haut. La planche sur laquelle le tout est élevé, porte un pied de profondeur, sur le devant de laquelle on voit nombre de pierres taillées de formes différentes & plus finies les unes que les autres, ainsi que cela se trouve ordinairement dans de pareils Ateliers.
L'Architecture en carton de cette pièce, est du sieur Maréchal. La Machine en bois est de feu Monsieur de Clermont, ci-devant Officier dans les Mousquetaires. Il y a aussi plusieurs pièces dans ce qui forme l'Atelier, qui sont du sieur Magny.
Il est bon d'observer que le grand point du mérite de cette Machine n'a point existé seulement dans sa construction, ni par rapport à la grande pesanteur de la pierre, mais bien dans le grand ordre que l'on a dû tenir dans le moment de l'opération. Ceux qui sont familiers avec les lois des Mécaniques, sente bien à l'aspect de cette Machine, que toute la difficulté de cette opération ne dépendait que de l'accord des treuils & des cordages; sans quoi, la rupture s'en serait nécessairement suivie.
Personne n'ignore que nous avons cette belle Machine gravée par le fameux Sébastien le Clerc, & qui est connue sous le nom de la Pierre du Louvre."
La gravure de Le Clerc, présentée ci-contre sur le dessin de Courtonne, est au Musée Carnavalet, où sa notice indique que "La gravure de 1677 est un hommage à l’énergie de Colbert et de ses conseillers pour faire avancer le chantier du Louvre alors même que Louis XIV s’en désintéressait. Les énormes pierres destinées à couvrir le fronton du Louvre avaient été taillées dans les carrières de Meudon en 1672. Leur taille et leur poids nécessitèrent la mise au point d’une machine élévatrice spéciale conçue par le maître charpentier Quiclin. L’opération eut lieu en 1674".
Les deux pierres formant la cimaise du fronton avaient chacune 17 mètres de long et 2,50 mètres de large.
L'article 416, pages 101-102 est "Un Modele en bois extrêmement fini & exact, de la fameuse Machine qui a été faite par ordre de Sixte V. pour élever le grand Obelisque qu'il a fait placer devant l'Eglise de S. Pierre de Rome, avec tous les moufles, poulies, cordages & autres pieces qui en dépendent, & aussi avec le modele d'un Obélisque en marbre.
Ce morceau est un des plus beaux de ce Cabinet ; toutes les pieces qui y étoient exécutées en fer le font pareillement de même matiere dans ce modèle, & toutes finies avec une précision admirable : il porte vingt sept pouces de haut sur vingt-six pouces de base.
L'Auteur de cette Machine est un nommé Fontana, célébre Architecte Romain, qui fut chargé de faire élever cet Obelisque par l'ordre de Sixte V. comme je l'ai dit, il est bon de rapporter ici ce qui arriva à cette occasion.
Fontana ayant donc imaginé cette Machine, pour en faciliter l'élévation, disposa sa manoeuvre & enfin éleva son Obelisque; mais dans le temps qu'il était prêt d'achever son opération il se trouva que toutes les moufles se touchaient, ce qui l'arrêta & l'empêcha de pouvoir aller plus avant : il ne fut pas peu surpris de cette avanture à laquelle il ne s'attendait point ; car il ne s'agissoit pas moins que de perdre tout le temps qu'on avait employé à cette manœuvre, qui était considérable ; mais par une préſence d'esprit toute singuliere, il répara sur le champ la faute qu'il avait faite, en donnant ordre qu'on arrosa doucement tous les cordages, ce qui les allongea & donna en même temps la facilité de pouvoir élever la pièce de six pouces ; comme il ne s'en fallait auparavant que de quatre pouces pour qu'elle fût à la hauteur nécessaire, il eut encore deux pouces de jeu qui lui suffirent pour la pouvoir placer sans gêne.
Ce qui prouve que les plus grands hommes manquent quelquefois dans les plus petites choses , mais aussi qu'il y a toujours chez eux des ressources heureuses par lesquelles ils sont en état de remedier aux fautes qu'ils peuvent faire. Quelques-uns même avancent que ce ne fut point Fontana qui imagina cet expédient pour se tirer d'affaire, mais un simple Paysan , qui comme bien d'autres, étoit spectateur de cette opération , & qui s'appercevant de son embarras, se mir à crier tout haut , qu'il n'avoir qu'à faire mouiller les cordages, ce qui lui réussit. Ce modele a été exécuté par le sieur Magny".
Le Pape avait décidé de faire déplacer l'obélisque, apporté d'Égypte sous le règne de Caligula, qui était alors en partie enseveli et situé à côté de la vieille sacristie de Saint-Pierre.
Le transport de l'obélisque, qui mesurait plus de 25 mètres et pesait auour de 750 tonnes, avait été jugé irréalisable par Michel-Ange.
Mais le Pape s'obstina et le projet présenté par un jeune architecte, Domenico Fontana, fut retenu. Il consistait à soulever l'obélisque et à le poser horizontalement sur un traîneau pour le transporter au centre de la place Saint-Pierre, là où il devait être érigé.
Le transfert à proprement parler, qui nécessita plus de 900 hommes et 150 chevaux, se déroula devant une foule de spectateurs réduits à un silence absolu par édit du gouvernement.
Les illustrations relatant ce déplacement titanesque sont tirées du livre paru en 1590 pour célébrer ce succès.
Deux vis d’Arrchimède sont visibles sur les étagères du Cabinet de Physique de Bonnier de La Mosson.
La vis d’Archimède, ou pompe à vis, ou encore vis sans fin, est un dispositif qu’aurait inventé Archimède afin de permetre aux égyptiens habitant au bord du Nil d’arroser leurs terrains. Elle aurait déjà selon certains été en usage en Assyrie 350 ans pour alimenter en eau les jardins suspendus de Babylone. Une maquette de Léonard de Vinci est visible au Clo Lucé.
D’un diamètre de 49 cm, cette lunette d’arpentage a été exécutée en 1727 par Jean Langlois, élève de Michael Butterfield (1635-1724), ingénieur et mathématicien français d’origine britannique établi quai du Grand-Cours-d’Eau (sur l’île de la Cité), à l’enseigne « Aux Armes d’Angleterre ». Membre de la corporation des fondeurs, il signait ses instruments : « Jean Langlois élève du Sieur Butterfield, aux Armes d’Angleterre, à Paris ».
Cet instrument porte aussi le nom de « planchette« , défini comme une petite plateforme montée sur pied munie d’instruments, qui sert à lever des plans.
C’est Buffon qui l’a acquis pour la somme de 24 livres, soit 370 euros.
Gersaint en fait la description suivante : (art.566, p.142) « Une très belle Machine proprement finie, le tour en cuivre poli. Elle est faite par le sieur Langlois. Elle consiste en une grande planche de cuivre de dix – neuf pouces de diamètre, dont la grande alhidade porte une Boussole de quatre pouces, garnie d’un quart de cercle & d’un équinoctial ; ayant de plus une lunette d’approche de chaque côté, munie de son poids & d’une genouillère placée sur un trépied de bois mouvant, avec autres dépendances propres à en faire les opérations. Ce morceau, qui est de conséquence, sert à lever des Plans & à prendre hauteur, largeur & profondeur« .
Le mot alhidade (de l’arabe العضادة al-idhâdah, « réglette ») désigne une règle mobile, qu’on applique sur un astrolabe, ou un graphomètre, ou sur tous les autres instruments de Géométrie, et d’Astronomie, qui servent à prendre la mesure des angles.
Le mot théodolite est issu de la même racine arabe, corrompue par emprunt et réemprunt entre l’anglais et le français.
Gersaint décrit à la page 128 de son catalogue l'article 515 qui est "Une très-belle Machine Pneumatique, garnie de son récipient de cristal, de ses platines, consoles, seringue & robinet de cuivre ciselé; d'un piſton à pédale & manivelle de fer : Le tout monté sur un trepied de bois verni, très proprement sculpté. Cette Machine est de la construction de M. l'Abbé Nollet, à qui les honnêtes gens sont redevables de l'amour qu'il a eu le talent de leur inspirer pour toutes les parties de la Physique, par les instructions & ses expériences interessantes, solides & amusantes, qui entretiennent cet amour & l'augmentent, même de jour en jour. La réputation de ce grand Physicien, suffit pour faire l'éloge de cette Machine".
Une machine pneumatique permet de créer le vide en aspirant l’air contenu dans une cloche de verre. Son invention fondamentale au XVIIème siècle a ouvert la voie à celle de la machine à vapeur.


A partir des expérimentations de Blaise Pascal, de Galilée et de Torricelli sur la pression atmosphérique, le bourgmestre de Magdebourg, Otto von Guericke (1602-1686) avait inventé en 1650 la pompe à air, instrument de physique fondamental qui va permettre, grâce à un piston et un clapet anti-retour, d’extraire l’air d’un contenant en verre afin d’étudier expérimentalement les effets du vide.

En 1654, il réalise grâce à cette pompe la célèbre démonstration dite de Magdebourg ou Hémisphères de Magdebourg. L’air est aspiré d’une sphère formée de deux hémisphères en bronze. Deux attelages de huit chevaux ne parviennent pas à les séparer, ce qui devient immédiatement possible lorsqu'on laisse pénétrer l'air dans la sphère.


Après les expériences d'Otto von Guericke, Robert Boyle construit à Oxford en 1654, avec l’assistance du physicien Robert Hooke, une pompe à air, plus perfectionnée que celle de von Guericke, à l'aide de laquelle il entreprend une série d'expériences sur l'élasticité et la nature de l'air, ce qui le conduit à la découverte de la loi qui porte son nom et celui du français Mariotte, qui expérimentait alors en France : « à température constante une même masse d'air occupe un volume inversement proportionnel à sa pression ».
Dans une époque révolutionnaire de l’histoire de la pensée et de la science, où tout est remis en cause, la pompe à air va permettre de réduire à néant le principe aristotélicien que l’on croyait définitivement acquis : «natura abhorret vacuum» - la nature a horreur du vide. L’existence du vide est niée par Aristote qui enferme l’Univers dans une sphère fixe et immubale.
« Admettez le vide, écrit le physicien belge Pierre Marage - dans un essai lumineux sur L’Histoire du vide - et le monde pourra s’étendre à l’infini ; il ne sera plus sphérique, ni immobile ; il n’y aura plus de haut ni de bas ; vous abolirez la différence entre repos et mouvement, celui-ci pourra être infiniment rapide, et vous devrez même admettre le mouvement sans cause » (voir « Pour une histoire du vide », dans Le vide, Univers du tout et du rien, éd. par E. Gunzig et S. Diner, Revue de l’Université de Bruxelles, Complexes, Bruxelles 1997).
L’invention de la pompe à air ouvrait la voie à la révolution de la machine à vapeur dont Denis Papin est le précurseur en mettant au point en 1690 le premier cylindre piston à vapeur. Il sera suivi par la création en 1712 par l’ingénieur anglais Thomas Newcomen (1663-1729) d’un dispositif reliant le cylindre piston de Papin à un balancier qui transfère les mouvements verticaux du piston à une pompe, permettant un usage industriel de l’invention de Papin.
L’article 596, page 151 du catalogue de vente présente « Deux Globes de douze pouces de diametre, l’un céleste & l’autre terrestre ; tous deux faits par M. de l’Ille Géographe du Roy : Ils font garnis de differents cercles de cuivre, & montés, chacun, sur un trepied de bois sculpté & doré, dans le bas desquels il y a une boussole garnie de cercles de cuivre« .
Guillaume de L’Isle (1675-1726) est un géographe et cartographe français, élève de Cassini. Il enseigne la géographie au jeune Louis XV et reçoit en 1718 le titre de géographe royal.
Guillaume de l’Isle est surtout connu pour son oeuvre de cartographe. Un globe terrestre dédié par lui au Régent a été vendu dans le passé par Christies. Il semble identique à celui de la paire, non répertoriée à ce jour, possédée par Bonnier de La Mosson.
L’illustration ci-dessus présente des globes de l’abbé Nollet, classés en 2007 comme trésor national.
Ces deux globes ont été réalisés en 1728-1730, à la même époque que celui de Guillaume de l’Isle, à la demande de la famille La Rochefoucauld, qui les installa dans son château de La Roche–Guyon, où fut créé en 1741 un petit observatoire.
Aux XVIIe et XVIIIe siècle, la fabrication de paires de sphères terrestre et céleste illustre le triomphe du modèle sphérique de l’univers.
L’exploration des nouveaux mondes a confirmé depuis le XVIe siècle l’aspect sphérique de la Terre et précise sa géographie.
La sphère céleste représente quant à elle le modèle d’un monde clos composé de sphères concentriques portant astres et étoiles autour d’une Terre sphérique et immobile au centre de l’Univers, position alors encore défendue par l’Eglise, partisan du système de l’astronome danois Tycho-Brahe plutôt que de celui, héliocentrique, de Copernic.
Les couples de sphères terrestre et céleste sont censés exposer les deux faces d’un d’un système où la Terre est toute petite au centre, et la sphère du ciel très grande à l’extérieur.

La sphère armillaire, alors appelée "sphère mouvante", qui trône au fond du Cabinet de Physique, constitue pour Gersaint "Une des plus belles Pièces & des plus intéressantes qui soient dans ce Cabinet", qu'il décrit de manière très détaillée :
C'est une Sphère mouvante, établie sur le système de Ticho-Brahé. Comme ce morceau est de conséquence, il est nécessaire d'entrer dans le détail de la construction, & d'en donner une idée qui puisse rendre compte, en partie, de ses effets & de son mérite.
Cette Sphère mouvante a deux pieds de diamètre ; on y a suivi, comme je viens de le dire, le système de Ticho Brahé. Elle est exécutée en cuivre & composée des huits cercles ordinaires, qui sont les deux Colures, l'Equateur, le Zodiaque, les deux Tropiques, & les deux Cercles polaires. La terre est au centre de cette Sphère ; elle a un mouvement de Rotation en vingt-quatre heures sur son axe, qui est incliné a l'Ecliptique de vingt-trois degrés & demi ; son globe est supporté par un petit cercle qui lui sert de Méridien.
La Lune qui est enſuite, fait sa révolution autour de la terre, dont elle tire ses differents mouvements, & qui lui fait marquer ses phases, son lieu dans le Zodiaque, ses conjonctions & oppositions avec le Soleil, & sa latitude.
Le Soleil, dont le Globe est réprésenté par une boule dorée, fait pareillement sa révolution autour de la terre en une année, sur les poles de l'Ecliptique, & il emporte avec lui les orbes des cinq planètes de Saturne, Jupiter, Mars, Venus & Mercure, qui ont le Soleil pour centre de leurs révolutions.
Les Orbes des trois Planettes supérieures, Saturne, Jupiter & Mars, envelopent le Soleil & la Terre ; & ceux des deux Planètes inférieures , Venus & Mercure, envelopent seulement le Soleil.
Par le moyen du mouvement des Planètes autour du Soleil, on voit de la Terre leur lieu dans le Zodiaque, leur Apogée & Perigée, leurs directions stations & rétrogradations, ainsi que leurs differents aspects ; on voit aussi les conjonctions supérieures & inférieures de Venus & Mercure, & les Phases de ces deux Planètes, qui sont contraires à celles de la Lune : car lorsque la Lune paraît le soir elle est dans son croissant, & lorsqu'on la voit le matin elle paraît dans son déclin ; au lieu que Venus & Mercure paroissent le soir quand ils sont dans leurs déclins & le matin quand ils sont dans leurs croissans.
Le Satellite de Jupiter fait aussi sa révolution autour de cette Planète pour connaître ses immersions & émersions.
Le mouvement est donné à cette Sphère par une Pendule qui est au-dessus, & qui termine la Machine. Cette Pendule va huit jours, & elle sonne l'heure & la demie ; elle porte de plus des Cadrans sur ses quatre faces.
Le premier Cadran marque l'heure & les minutes.
Le second marque les Phases de la Lune, son âge & son lieu dans le Zodiaque.
Le troisième marque l'Année courante, les Lettres Dominicales & l'Epacte.
Le quatrième enfin, marque le lieu du Soleil dans le Zodiaque, le jour du mois , & l'heure du lever & du coucher du Soleil pour l'élévation du Pole de Paris.
Quoique deux de ces Cadrans ne paraisssent qu'une répétition des mouvements de la Sphère, par rapport au Soleil & à la Lune , ils ont cependant leur utilité, parce qu'ils servent de Tables Astronomiques pour remettre ces Planètes dans leurs positions, lorsque l'on a fait quelques démonstrations avec la Sphere.
(...) Cette fameuse Machine est montée sur un pied de marqueterie, garni d'agraffes & autres ornemens de bronze, lequel pied de marqueterie est élevé sur un autre beau pied de bois peint en marbre. Ce morceau peut être regardé comme unique, & doit avoir coûté beaucoup de temps & de dépense ; il est l'ouvrage de Monsieur Fortier, Notaire à Paris, dont le génie & le mérite font assez connus de tous les Gens de Lettres & les Artistes, sans être obligé d'en instruire ici le Public".
C'est Alexis Magny qui acquit cette sphère mouvante pour 760 livres (soit 11.800 euros). Elle fut plus tard revendue au baron de Thiers.
Une sphère armillaire modélise la sphère céleste en montrant le mouvement apparent des étoiles, du soleil et des planètes autour de la Terre.
Elle est constituée de cercles métalliques ou armilles, du latin armilla (cercle, bracelet), représentant la géométrie des éléments décrits par la sphère céleste.
La sphère décrite par Gersaint a disparu. L'illustration ci-dessus est une sphère mouvante elle aussi géocentrée, réalisée par Jérôme Martinot (1671-1725) entre 1709 et 1718, et détenue par la BNF. La voûte céleste est le dernier cercle de la sphère, où les étoiles sont toutes représentées équidistantes de la Terre.
Cette Sphère armillaire, rendue mobile grâce à un mécanisme d’horlogerie, est conçue selon le système géocentré de Tycho-Brahé, inspiré par celui de Ptolémée et non de Copernic.
Le danois Tycho-Brahé (1546-1601) est le dernier astronome ayant effectué toutes ses observations à l'oeil nu, avant l'invention des lunettes d'astronomie. L’idée de combiner des lentilles pour allonger la portée de vue d’un homme remonte à 1589 et la lunette est sans doute une invention hollandaise réalisée empiriquement et qui se vendait dès 1608 à la foire de Francfort. Galilée perfectionne cette lunette en 1609 et publie ses découvertes en 1610 dans son ouvrage "Sidereus nuncius", qui bouleverse l'astronomie.
Le système aristotélicien géocentrique règne alors, décrivant une Terre immobile, au centre d'un Univers sphérique clos par la sphère des étoiles. Deux parties composent cet univers : le monde sublunaire, où les choses sont imparfaites et éphémères, où les êtres naissent et meurent ; et le monde supralunaire, au-delà de l'orbite de la Lune, où les choses sont parfaites, immuables et éternelles.
Bouleversant la théorie d'Aristote d'un ciel immuable, Tycho-Brahé observe en 1572 et décrit dans un livre les mouvements d'une nouvelle étoile. Le roi du Danemark lui offre alors une île et une pension pour mener ses recherches. Il y bâtit un palais, qu'il nomme Uraniborg "Château du ciel", et qui comporte deux tours d'observation principales, un laboratoire de chimie, un four et toutes sortes de globes et d'instruments. Là, il détermine la position de 777 étoiles.
Non pas par conviction religieuse mais parce que ses instruments ne le lui permettaient pas, il propose un système mixte, à la fois géocentré (la Terre est encore immobile) et héliocentrique, où la Lune et le Soleil tournent autour de la Terre, tandis que les autres planètes tournent autour du Soleil, comme chez Copernic.
Le mécanicien et mathématicien Jean Pigeon (1654-1739) sera le premier à fabriquer des sphères mouvantes en France à partir du système héliocentrique de Copernic. Il publiera en 1714 l'ouvrage Description d'une sphère mouvante. Sa fille, Marie Anne Victoire Pigeon, sera une célèbre mathématicienne qui publira en 1750 Le Mécaniste philosophe qui retrace la vie de son père Jean Pigeon.

L’exemplaire du « jeu de dés mécaniques » de l’horolger Louis-Charles Gallonde, décrit par Gersaint, était « monté sur un pied d’écaillé garni de bronzes dorés d’or moulu« . Un modèle très similaire est conservé dans les collections du Musée de l’Observatoire de Paris, où il est cependant décrit comme une machine à calculer.
Les premières machines à calculer apparaissent au XVIIème siècle. La programmation était apparue avec les rouages complexes des horloges. A la suite de Pascal en 1642, c’est Grillet, l’horloger du roi Louis XIV, qui réalise la machine arithmétique à cylindres népériens. On nomme d’ailleurs alors « Horloges à calculer » les machines à calculer.
L’appareil de Gallonde, mettant en mouvement trois dés, serait en fait destiné à reproduire les combinaisons du hasard d’un lancer de dés.
Depuis 1608, et pendant 200 ans, un bâtiment de 3 étages ressemblant à un moulin et abritant une pompe, était bâti sur le Pont Neuf, et sur pilotis, afin de répondre à un besoin croissant d'eau dans la capitale.
Entourant un bassin doré, des statues de bronze sur la façade côté pont de l’édifice représentaient la rencontre de Jésus et de la Samaritaine au Puits de Jacob. D’où le nom donné à la pompe (puis du magasin éponyme bien plus tard).


Le projet, dont la maquette figurait dans le Cabinet de Physique de Bonnier de La Mosson, était censé répondre aux pannes fréquente de cette pompe.
"Un autre Modele très-ouvragé d'un nouveau Moteur particulier, imaginé & proposé pour faire agir les Pompes du Pont Notre-Dame, faisant les effets sans roues, rouets ni lanternes, mais simplement avec deux balanciers.
Ce Moteur est de l'invention de M. de Parcieux, il a été approuvé par Messieurs de l'Académie Royale des Sciences. Le but de l'Auteur a été de prévoir à la grande depense que la construction ordinaire exige, ce qui n'arrive que par les grands frotements & leur quantité que les rouets & les lanternes a fuseaux occasionnent : or dans cette nouvelle construction on supprime toutes ces pieces, ce qui ne peut procurer qu'une plus grande force & une plus grande durée que ne fait la méthode commune : ce Modèle est de l'exécution du sieur Magny" (art. 415, pp.100-101).
Au début du XVIIIe siècle, il a été décidé de remplacer la pompe et de détruire l'ancien bâtiment. Il fut reconstruit par Robert de Cotte, l'architecte qui avait constuit l'Hôtel de Bonnier de La Mosson.t achevée au mois d’aoûtsuivant. La nouvelle pompe fut ensuite restaurée par Soufflot et Gabriel en 1771, puis détruite en 1813 car elle menaçait ruine et son entretien était coûteux.
Le musée Carnavalet possède l’une des 2 maquettes de la fontaine, une horloge-baromètre. Il s’agitde l’un des deux exemplaires commandés par le comte d’Artois, pour être offerts en cadeau à son épouse et à la dauphine Marie-Antoinette.



(art. 408, pp.97-98) « Une très-jolie Machine servant à polir des verres. Elles a dix pouces de long, cinq pouces & demi de large & environ dix pouces de haut : Elle est garnie de roues, arbres, Plate-formes, molettes, manivelle & challis pour placer les verres : Le tout de cuivre & d’acier, très proprement executé, & monté sur une carcasse de bois, ayant de plus un tiroir dans le bas. Cette Machine est de l’invention de M. de Parcieux Maitre de Mathématique ; elle a été presentée à l’Académie il y a quelques années, après avoir été exécutée en grand : elle est fort ingénieuse. Son principal objet est pour travailler les objectifs des grandes Lunettes. Celle-ci est l’ouvrage du sieur Magny qui l’a perfectionnée, en faisant décrire aux molettes des cercles parfaits, au lieu que dans l’Original, elles ne décrivaient que des élipses ou ovales irréguliers. Ceux qui sçavent les Mécaniques par principes jugeront facilement du mérite de cette pièce, la Théorie en étant fort bien imaginée, mais trop longue pour pouvoir être inserée dans ce Catalogue« .
109 Un des plus agréables morceaux de ce
Provenant du Père Sébastien, le Cabinet de Physique comporte dans une armoire une série de "problèmes", représentations modélisées de questions scientifiques, selon le sens donné à ce mot par Descartes en 1632.
Article n°528 : "Seize petits Pieds portant chacun un Pro-blême Arithmétique, exécurez la plûpart en plomb, dont les uns sont destinez pour les nombres piramidaux, triangulaires, &c. & les autres pour les cubes de differentes grandeurs, & pour les nombres quarrés.
Cet assortiment de pieces est d'une précision admirable. Ayant été fait par le Pere Sebastien, on peut raifonnablement en esperer une grande perfection, & il seroit difficile d'en trouver une aussi belle suite".
Article n°534 : "Une très-belle & grande suite de Problêmes Mathématiques & Géometriques, comme Poliedres, Exhaedres, Octaedres, &c. ainsi que cosnes réguliers, taillez pour produire differentes sections coniques & autres. Plusieurs sont évidez à jour pour les opérations de Géometrie, & les autres sont coupez dans différentes proportions. Ils sont tous de plomb bronzé & montez sur des pieds de bois noir, tournez, à l'exception de sept qui sont de plomb, sans bronze. Cette suite est une des plus belles & des plus completes que l'on puisse faire ; la propreté & l'exactitude y regnent dans toutes leurs parties. Cet assortiment vient du Cabinet du Pere Sebastien, & a été retouché par le sieur Magny".
Le catalogue Gersaint décrit sous la référence 472 "Un Barometre & un Thermometre a pieds, de la construction du sieur Cleret, montez sur un fond de bois de poirier noirci, à filets de cuivre, & portant chacun quarante pouces de hauteur."
Sur le modèle de baromètre de Cleret présenté ci-dessous, le panneau arrière est en chêne recouvert de bois de rose à motif à chevrons. Les cadres sont en ébène. Le couvercle du plateau du réservoir à cinq côtés est amovible. Le plateau est décoré de 3 boutons en laiton tournés. Le fond est orné de 6 pieds tournés en laiton.
Le tube du baromètre en verre est placé dans un réservoir en bois tourné et décoré d'un manchon en laiton gravé de fleurs à la hauteur du couvercle du bol. Le tube est maintenu à mi-chemin à travers un support finement gravé et scié. Les plaques d'échelle peuvent être déplacées de haut en bas à l'arrière du baromètre. Les plaques d'échelle peuvent être étalonnées en fonction de la hauteur à laquelle le baromètre est au-dessus du niveau de la mer.
Les plaques d'échelle du cadran sont en laiton et magnifiquement gravées de motifs de fleurs et de feuilles et au sommet un tissu suspendu avec des pompons. La plaque d'échelle de gauche est fournie avec les conditions météorologiques et celle de droite avec la signature du fabricant et une échelle en pouces français. Un indicateur de tendance est monté coulissant sur la plaque.
Un Baromètre et un Thermomètre de Cleret à Rouen, identiques à ceux présentés de part et d'autres de la porte principale d'entrée du Cabinet de Physique de Bonnier de la Mosson ont été vendus à Paris en salle de vente en 2012.
Ils sont décrits comme étant en placage d'ébène et filets de laiton, surmonté de trois balustres, d'une hauteur de 107,5 cm.

~ Troisième Cabinet d’Histoire naturelle ~
contenant les Coquilles, l’Herbier, plusieurs Volumes d’Estampes qui la plupart ont rapport aux Coquilles,
& à d’autres parties de l’Histoire naturelle & de la Physique. Ce Cabinet est aussi celui de la Bibliothèque
« Enfin l’on voit dans la dernière pièce une Bibliothèque contenue dans neuf grandes armoires remplies de Livres des plus curieux sur différentes matières ; l’Histoire Naturelle en fait le principal objet, la grande table, ou bureau qui est dans le milieu sert de parterre à de très belles Coquilles rangées en compartiments, & autant que l’on a pu par genres ; il y en a de très rares. » (Dezallier d’Argenville)
Vues de la Bibliothèque restituée en 3D partiel
- Globes terrestre et céleste de l'abbé Nollet
- Sphères terrestre et céleste en faïence de Rouen
- Le coquillier
Jean-Antoine Nollet a conçu et assemblé cette paire de globes, qui montrent des cartes de la surface et du ciel de la terre. Des globes ornaient fréquemment les bibliothèques de l’aristocratie, donnant un air de respectabilité scientifique à une époque où des territoires inexplorés à travers le monde étaient cartographiés et de nouvelles routes commerciales établies. Ils apparaissaient fréquemment dans les portraits du XVIIIe siècle, mais étaient généralement soutenus sur de simples colonnes tournées. D’une hauteur de 107 cm, ces exemplaires, avec leur rouge et jaune
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Bien que Jean-Antoine Nollet ait été formé en théologie et se soit appelé «abbé» jusqu’à la fin de sa vie, ce sont ses apports scientifiques qui l’ont rendu célèbre. Très jeune, il installe son premier laboratoire à Paris; grâce à ses contacts avec la Société des Arts(Société des Arts), il rencontre des membres de l’aristocratie qui deviennent finalement ses mécènes et amis. Un contemporain a écrit à son sujet: «Seules les voitures des duchesses, des pairs et des jolies dames peuvent être vues devant ses portes.» L’une des premières réalisations de Nollet a été de dessiner de nouvelles cartes du monde, basées sur les résultats des récentes expéditions hollandaises et anglaises. . Il a ensuite été impliqué dans les premières expériences avec l’électricité. Nollet a enseigné la physique aux membres de l’aristocratie française et au roi de Sardaigne. En 1758, il fut nommé «professeur de physique aux enfants royaux» et créa le Cabinet des Physiques (cabinet de physique) pour Louis XV, roi de France.
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Les autres paires connues de ces sphères de l’abbé Nollet sont les suivantes :
– en France, acquis dès 1732 par Alexandre de Durtal, duc de La Rochefoucauld pour la bibliothèque du château de La Roche-Guyon, ils sont devenus propriété de la Bibliothèque Nationale de France lors de leur vente à Sotheby’s Monaco, le 6 Décembre 1987, sous le n° de lot 85 ;
– en Italie, à la bibliothèque Maldotti, à Guastalla, acquis en 1921 ;
– en Italie, à la bibliothèque du Séminaire épiscopal de Mondovi, en 1921.
Les photographies de deux sphères identiques, provenant du château de Boisguilbert (Seine-Maritime), ont été réalisées dans l’ancienne fabrique d’Edme Poterat, dirigée depuis 1722 par Madame Le Coq de Villeray. Leur décor a été peint par Pierre Chapelle (1695-1730) en 1725.
A l'époque de son occupation par la fille de Louis XIV, la princesse de Conti, deux mêmes sphères ornaient le vestibule du château royal de Choisy, édifié pour Mademoiselle de Montpensier.
La Sphère céleste fait écho à celle commandée par Louis XIV au cartographe Vincenzo Coronelli, reproduite en 1684 dans un recueil de gravures, le Livre des Globes. Les constellations, symbolisées par des figures zodiacales ou mythologiques, sont représentées dans la configuration qu’elles avaient le jour de la naissance du roi. Les quatre éléments apparaissent sur le piètement, sous la forme de leurs divinités tutélaires : Junon pour l’Air, Amphitrite pour l’Eau, Cérès pour la Terre et Vulcain pour le Feu. Sur les volutes sont peintes les différentes conceptions du système solaire à travers les âges. Le mouvement annuel de la Terre est figuré sur le piédouche avec Mars, Vénus et Mercure, tandis que la Lune, le Soleil, Jupiter et Saturne ornent le socle.
Le décor de la Sphère terrestre s’inspire des gravures de Guillaume Delisle exécutées autour de 1700. Trente-six fuseaux de dix degrés divisent la surface du globe et les principales routes maritimes sont tracées, agrémentées de navires et de monstres peuplant l’océan. Le piètement accueille les figures allégoriques des saisons : Flore pour le Printemps, Cérès pour l’Été, Bacchus pour l’Automne et Vulcain pour l’Hiver. Sur les volutes, trois des sept arts libéraux (la Grammaire, la Musique, la Géométrie) auxquels Pierre Chapelle a ajouté la Peinture, sont peints sous forme de trophées. Les continents sont représentés sous leur apparence animale sur le socle : le cheval pour l’Europe, le lion pour l’Afrique, l’éléphant pour l’Asie, le crocodile pour l’Amérique.
Le catalogue de Gersaint contient la description suivante du Coquillier :
Ce Coquillier est placé au milieu de la Pièce qui renferme la Bibliothèque. L’arrangement qu’a donné feu M. de la Mosson a ses Coquilles, forme le plus beau coup-d’œil que l’on puisse s’imaginer. Cet amas considérable est distribué en différents compartiments agréables & élevés, dont le fond est garni de satin bleu ; ces compartiments le détachent de dessus un fond général , aussi couvert de satin blanc, garni pareillement de Coquilles, ce qui donne tout-à-fait l’idée d’un beau parterre varié par la vivacité & l’émail des couleurs différentes & opposées répandues sur les Coquilles qui s’y trouvent rangées artistement ; joint à la singularité & à la contrariété qui se rencontrent dans les formes de certaines Coquilles, & qui concourent encore à l’agrément de ce coup d’oeil.
Je n’exagère point dans cette description, & les termes dont je me sers n’ont point trop de force, puisque je n’ai procuré la vue de ce Coquillier à personne qui n’ait été saisi d’admiration, & qui ne m’ait fait part de l’effet que cette vue faisait sur ses sens.
Cette collection est composée de plus de mille Coquilles, tant Bivalves qu’Univalves, grandes, moyennes & petites parmi lesquelles se trouvent les plus rares, & entr’autres, la fameuse Scalata, qui n’existe à Paris que dans ce Cabinet ; des Amirales, des Marteaux, des Ailes de Papillons, des Uniques, le Cocluchon, des Nautiles papiracés de la belle espèce, des Pelures d’Oignon , des Bécasses épinenfes , etc la plus grande partie d’une condition parfaite.
Les Huitres épinenfes, surtout, y sont, superbes par la quantité, la variété des espèces , & les différents groupes & jeux de nature qui y sont fréquents & admirables.
Outre ce Coquillier, il y a encore vingt-sept tiroirs remplis, en partie, de Coquilles qui se sont trouvées doubles & surnuméraires, & qui seront vendues en détail, ainsi que celles du Coquillier, & đistribuées selon les numéros énoncés, ci-après.
La SCALATA. Ce nom lui a été donné par les Italiens , à cause de sa ressemblance avec un escalier tournant. Cette coquille, uniforme dans sa robe,
offre au regard la couleur aimable qui caractérise la candeur. Elle est régulièrement tournée en spirale, dont les orbes séparés sont à jour, et semblent être soutenus seulement par une série de petits anneaux extrêmement déliés. L’élégance de cette coquille, ainsi que sa rareté, ont contribué à la rendre très-chère. Elle vient de l’isle d’Amboise. Les femmes de Batavia la portent aux oreilles , et la regardent comme la plus riche parure ; les Indiens la portent au col, et la mettent au nombre de leurs bijoux les plus précieux.
La plus belle SCALATA que j’aye vu, offroit quatre pouces de long sur trois de diamêtre, et avoit coûté six mille livres. On assure que la plus belle SCALATA connue se voit dans le cabinet de l’impératrice de Russie. On sait que cette souveraine n’étoit étrangère à aucune science ni à aucun art, et que si elle tenoit d’une main savante et ferme les rênes d’un gouvernement difficile, elle n’en dirigeoit pas moins habilement de l’autre la loupe de l’observation, sur les objets dignes d’une attention philosophique.
Une exceptionnelle bibliothèque qui en dit beaucoup
Joseph Bonnier de la Mosson possédait une bibliothèque à l’image de son Cabinet, contenant des ouvrages recouvrant méthodiquement l’ensemble des idées et des connaissances. Comme pour son Cabinet, la vente de cette Bibliothèque, en avril 1745, donna lieu à l’édition d’un catalogue détaillé, qui nous permet de mieux cerner ses centres d’intérêts.
Le recensement par thèmes des références de sa bibliothèque permet de faire les constats suivants :
- le tiers des références de sa bibliothèque concerne les sciences que nous nommons aujourd’hui « exactes » ;
- Bonnier est un mélomane averti, avec près de 250 partitions détenues ;
- la religion est réduite à la portion congrue avec un nombre de références qui est même inférieur à celui des sciences « occultes » ;
- on trouve en effet dans la bibliothèque de Bonnier 45 ouvrages relatifs à l’Alchimie, à l’Astrologie, aux « Secrets & Expériences » et à « l’Histoire Naturelle des Prodiges, Monstres, etc… ».
• Sciences……………………………. 534
• Beaux-arts et Littérature….. 413
• Histoire-Géographie…………. 277
• Musique…………………………… 246
• Philosophie………………………. 68
• Occultisme……………………….. 45
• Théologie…………………………. 40
NB : nous avons procédé aux regroupements suivants :
- la « Jurisprudence » est classée avec l’Histoire ;
- l’Histoire religieuse est regroupée avec la Théologie.

La place dominante, dans la bibliothèque de Bonnier, des ouvrages consacrés aux Sciences (Physique, Chimie, Marhématiques, Mécanique, Optique,etc..), illustre et confirme le rattachement de son Cabinet à l’esprit scientifique éclairé, fondé sur la raison et la classification, et mettant en valeur les inventions et leurs applications.
On trouve dans les livres de sciences présents dans sa Bibliothèque le même niveau de qualité que celui des objets de son Cabinet. Bonnier réunit le meilleur et le plus à jour de la littérature savante, et cela dans tous les domaines scientifiques.
Cependant, on remarque aussi la présence de quelques rayons d’ouvrages relevant de l’occultisme.
L’astrologie est représentée par les quatre livres suivants :
- Robert Boyle, Tentamina quædam physiologica. Londres en 1661 (réf.691)
- La Chyromantie naturelle de Ronphyle. Paris 1665 (réf.692)
- Instructions pour apprendre les sciences de chiromance & physionomie, par Jean Belet (réf.693)
- La clef de Nostradamus ou introduction au véritable sens des prophéties de cet Auteur, avec la critique, par un Solitaire, Paris 1710 (réf.694)
L’Alchimie est le sujet de 27 livres :
Peut-être plus intéressante et originale est la présence d’ouvrages que le catalogue de vente classe sous la dénommination d' »Histoire Naturelle des Prodiges, Monstres, &c. » et de « Secrets, expériences, &c.« .
Quelques livres de la bibliothèque de Bonnier illustrent bien cette période charnière, entre la Renaissance et les Lumières, où l’on débat de manière passionnée de l’existence des Géants.
Bonnier possède tout d’abord, sous la référence 378, un ouvrage d’un pasteur calviniste, Joannes Cassanio, connu sous le nom de Jean Chassanion (1531-1598), intitulé De Gigantibus & eorum reliquiis et paru en 1580. Dans De Gigantibus, Jean Chassanion explique que certains fossiles de grande taille étaient des restes de géants. Il s’opposait en cela au médecin érudit néerlandais Johannes Goropius Becanus (Jean Becan), pour lequel les «géants» dont il parle dans une section intitulée Gigantomachia de son livre Origines Antwerpianae étaient des restes de formes de vie éteintes. Jean Chassanion traite dans son livre des hommes de taille extraordinaire, géants et colosses, connus dans l’histoire, mais décrit également ceux qui vivaient au temps de l’auteur, à la fin du seizième siècle. Des hommes de taille prodigieuse, en effet, étaient apparus en Italie (Sicile), en France (Bordeaux), en Espagne (Burgos), etc.
On trouve ensuite dans la bibliothèque de Bonnier quatre livres (réf.379 à 382) liés à la découverte en 1613, dans une supposée tombe du Dauphiné, d’os humain d’une taille gigantesque. Exposés à Paris, ces os avaient fait l’objet d’un opuscule d’un certain Nicolas Habicot, «Maistre Chirurgien en l’Université de Paris», dédié au roi, et intitulé « Gygantosteologie, ou Discours des os d’un geant ».
Bonnier possède sous la référence 380 la réponse à ce livre de Habicot, écrite par Jean Riolan, Professeur d’Anatomie et de Botanique au collège royal de Médecine, et médecin de Marie de Médicis. « Gigantomachie, pour répondre à la giganstologie » dénonce l’imposture de son confrère et pense que les ossements pourraient appartenir à un éléphant.
Il avait en réalité parfaitement raison. L’os objet de cette controverse est le plus ancien fossile de la collection du Museum d’Histoire Naturelle, l’humérus d’un ancêtre de l’éléphant, le Deinotherium, qui pouvait atteindre plus de 4,50 mètres de hauteur au garrot, et qui vécut il y a environ 10 millions d’années.
Les deux autres livres de 1618 sont de nouveaux ouvrages conflictuels : « Histoire de la grandeur des Géants où il est demontré, que de toute ancienneté les plus grands hommes et géants, n’ont esté plus hauts que ceux de ce temps », de Jean Riolan, et la réponse de Habicot, « Antigigantologie, ou contre-discours de la grandeur des Géans » (réf.381).

L’os de Deinotherium, objet de la controverse sur les Géants
Il ne faudrait pourtant pas tirer de trop rapides conclusions sur la présence de ces quelques ouvrages, peu nombreux, dans la Bibliothèque de Bonnier.
A l’image des reliques des vieilles croyances figurant encore dans son Cabinet (bézoards, cornes de licorne, racines de mandragore, etc…), ces livres sont nécessaires pour qui entendrait s’instruire des voies de la pensée magique pour mieux leur opposer la rationalité nouvelle des sciences exactes.
Il en est ainsi du livre De Monstro Nato a Lutetiae, écrit en 1605 par le médecin Jean Riolan, que possède Bonnier dans sa bibliothèque.
Dans cet ouvrage, Riolan, comme il l’avait fait dans la controverse sur les Géants, se montre d’un rationalisme très moderne.
Le « monstre » étudié dans son ouvrage par Riolan ce sont des jumelles nées soudées à Paris en 1605, qu’il humanise en expliquant qu’elles « viennent de la nature même qui a entrepris une œuvre parfaite, mais en a été empêchée par quelque cause comme un vice de la matière« . Il les distingues ainsi de monstres « in specie », mélanges contre nature d’espèces comme les enfants-chiens.
Pour les soustraire à la menaçante superstition populaire, il récuse par ailleurs que leur naissance soit le présage ou le signe d’événements funestes, comme le pensait Ambroise Paré, qui voyait dans les monstres « le plus souvent [des] signes de quelque malheur advenir »,
Riolan suit au contraire Montaigne qui considère que tout monstre peut avoir une explication naturelle, même si nous ne la trouvons pas du fait de l’insuffisance de notre raison ou de notre expérience.
Concernant à proprement parler l’occultisme et les superstitions populaires, Bonnier possédait plusieurs ouvrages :
Sous la référence 383, deux livres de l’avocat allemand Heinrich Kornmann (vers 1580-1620) : le Miracles des morts, de 1610, et le Miracles des Vivants, de 1614.
Dans Miracles des Morts, Kornmann compile un grand nombre d’histoires et d’exemples tirés de la Bible et d’autres ouvrages sur la mort, ainsi que sur les croyances et coutumes entourant la mort. Il pose des questions comme, par exemple, les morts sont-ils plus heureux que les vivants ? La pensée magique s’exprime à travers une multitude de croyances populaires, telles que le hibou est un présage fatal et le paon un présage de maladie, que la suffumigation avec la dent d’un homme mort expulse la sorcellerie et l’impuissance, que la bétonie herbacée protège les cimetières, et que si une mère embrasse son enfant mort, les autres enfants mourront bientôt aussi.
Kornmann questionne l’astrologie, à travers la question de savoir pourquoi des milliers de personnes avec des horoscopes différents meurent le même jour, la divination, par la question de savoir ce que les rêves sur les morts signifient.
Il discute des présages de la mort et les prophéties de ceux sur le point de mourir, rapporte la croyance que le cœur de Jeanne d’Arc n’était pas brûlé sur le bûcher et recense les cas répertoriés de cadavres dont les dents s’étaient allongées post-mortem.
Dans les Miracles des Vivants, Kornmann évoque les lycanthropes, diverses bêtes mythiques ainsi que de nombreuses autres merveilles de la Bible et de divers autres livres. En commençant par une discussion générale sur le microcosme et en passant aux géants, pygmées et hermaphrodites, nous arrivons bientôt aux hommes sans tête, aux hommes à tête de chien, aux hommes à un œil, à ceux qui voient la nuit, à la tribu ayant les yeux dans la poitrine, la tribu vivant uniquement de l’odeur, la race sans bouche, les dames barbus, les martyrs qui parlaient sans langue, les gros mangeurs et buveurs, les jeûneurs record.
Lycanthrope
(gravure du XVIIIe)
Sous la référence 384, Bonnier possède dans sa bibliothèque, dans une édition de 1669, le fameux livre de magie populaire de secretis mulierum, & de virtutibus herbarum, lapidum & animalium, connu sous le nom de Le Grand Albert. Diffusé depuis la toute fin du XVème siècle, il est faussement attribué au grand théologien et philosophe Albert le Grand (vers 1200-1280), n’en contenant seulement dans sa première partie « Des secrets des femmes » (De secretis mulierum) que certains éléments de son enseignement en gynécologie.
Cette compilation encyclopédique de savoirs occultes emprunte à de nombreux auteurs antiques, grecs, romains, arabes ou juifs, des recettes magiques liées à la puissance ou aux vertus occultes des plantes, des pierres, et d’animaux.
Les intitulés des chapitres (« Des secrets merveilleux et naturels », « Des vertus et propriétés de plusieurs sortes de fientes », « Secrets éprouvés pour manier plusieurs métaux », « Des jours heureux ou malheureux », « Des fièvres malignes ») présentent ce savoir magique comme un traité pratique utilisable en toutes circonstances de la vie.
Cet ouvrage rencontrera un succès populaire phénoménal.
La référence 386 – Levini Lemmii, Occulta naturae miracula (Les Miracles cachés de la nature) – est un livre de 1564 écrit par un médecin et astrologue catholique néerlandais dont le but est de rattacher à l’œuvre de Dieu tous les prodiges de la nature ainsi que les croyances populaires.
Les Secrets & merveilles de nature, par le médecin suisse Jean-Jacques Wecker (1528-1586), Rouen 1663 (réf. 387) est un très volumineux ouvrage encyclopédique, « donnant de très nombreux secrets occultes, pour nous concilier les bons anges, pour lier les mauvais esprits, magie naturelle, goétie, nécromancie, enchantements, ainsi qu’un grand nombre de recettes étranges relatives aux sciences occultes, à la médecine hermétique et procédés divers ».
Recherches & observations naturelles de Boccone. Amsterd. 1674 (réf.388)
Le titre complet de cet ouvrage est « Recherches et observations naturelles touchant le corail, la pierre étoilée, les pierres de figure de coquilles, la corne d’ammon, l’astroïte Undulatus, les dents de poissons pétrifiées, les herissons alterez, l’embrasement du Mont Etna, la sangsüe du Xiphias, l’alcyonium stupposum, le Bezoar Mineral, & les plantes qu’on trouve dans la Sicile, avec quelques reflexions sur la vegetation des plantes : examinées à diverses fois dans l’Assemblée de Messieurs de Societé Royale de Londres, & dans les conferences de Monsieur l’Abbé Bourdelot à Paris.
Cet ouvrage est constitué de plusieurs lettres portant sur les sujets décrits dans le titre, écrites par le botaniste italien Paul Boccone.

Mobilier du cabinet
Les objets curieux et rares abondaient chez Bonnier de la Mosson. Il serait aussi long que fastidieux de les énumérer, malgré l’intérêt qu’ils pourraient offrir, tant en ce monde on se lasse même des meilleures choses. Toutefois nous ne croyons pas devoir passer sous silence ces meubles et ces bijoux qui, par leur importance artistique, furent jugés dignes de figurer sur ce catalogue en si bonne compagnie, tels que deux petites bibliothèques garnies de « magnifiques bronzes dorés à l’or moulu, » surmontées Tune d’une pendule et l’autre d’un thermomètre du célèbre Cressant, qui atteignirent le prix alors insensé de 3201 livres.
De Cressant aussi étaient deux délicieuses commodes assorties à ces bibliothèques et qui se vendirent 3160 livres. Signalons, au hasard, ces tables de marbre à consoles dorées, « chefs-d’œuvre de sculpture, » ces bureaux de travail, ces pendules, ces écritoires, ces « tables de nuit (nous les trouvons parmi les objets rares et précieux), écrans et autres ustensiles proprement exécutés et d’un bon goût, » ces boîtes d’or, de nacre, de jaspe, « d’ancien lac, de vernis du sieur Martin, » des flacons d’or et d’autres objets que l’art et la matière rendent également précieux.
Enfin, pour résumer ce que nous venons de voir, nous ne saurions mieux faire que de recourir à une autorité incontestée qui nous dira : « Bonnier avait toutes les curiosités d’un homme de goût. Il recherche et réunit autour de lui: chasses de Desportes aux bordures armoriées, bergeries de Raoux, paysages de Moucheron, architecture de Lajoue et vieux tableaux de Quentin-Metzys ; tables «le marbre dans les pieds desquels courent des battues de sangliers, fouillées par Pelletier ; cabarets de Saxe, de Chine, groupes de sujets galants, girandoles, gros droguins de porcelaine, couchés sur des carreaux de velours bleu, et bronzes et bustes d’empereurs romains, portés sur des escabelons dignes d’eux; une merveilleuse pendule de Chagny, donnant le temps dans un petit monde, dans une danse champêtre, dans des arbres et des feuillages de cuivre émaillé, fleuris de porcelaine ; une écritoire de cristal de roche avec deux plumes d’or. Il avait des bibliothèques de bois violet bien garnies de livres. Il s’occupait : un tour, la physique et la chimie, à la mode depuis le régent. Il possédait un musée, neuf musées d’histoire naturelle, formés avec grand soin, poursuivis jusqu’en Hollande, qu’il savait par cœur et expliquait même avec grande science : ses armoires d’animaux en fiole, poissons desséchés, minéraux, cailloux, insectes, coquilles, renfermées dans un coquillier de satin bleu et de satin blanc, au milieu desquelles était la reine des coquilles, la Scalata, unique à Paris, ce cabinet que Buffon envie et qu’il enlèvera à sa vente, les figurations en cire coloriée du corps humain et les squelettes (1). »
Grasset-Morel, Les Bonnier ou une famille de financiers du XVIIIème siècle, 1886, pp.132-133
Château de La Mosson
La description idyllique que fait Grasset-Morel du Château de la Mosson, édifié à partir de 1723 par le père de Joseph Bonnie de la Mosson, et achevé par son fils en 1729, nous fait regretter sa destruction précoce et son état actuel de délabrement.
Le Château de la Mosson est chanté par tous comme « la plus belle terre qui soit« , « un coin de France où l’on s’amuse le plus cher et le plus haut« . Ses jardins, où se tiennent de somptueuses fêtes, semblent le décor rêvé des peintres du XVIIIème siècle galant : « La Mosson ! Une Cythère ! Et plaisirs sur plaisirs. »
« L’on n’y boit que dans un verre, Qui sert à l’Amour de carquois ! »
(E. de Goncourt, Portraits intimes du XVIIIème siècle – Etudes nouvelles, 1857, pp.101-102)
Mémoires de la Calotte. Cantate : Les plaisirs de la Mosson,
p. 40.
Le Château de la Mosson est chanté par tous comme « la plus belle terre qui soit« , « un coin de France où l’on s’amuse le plus cher et le plus haut« . Ses jardins, où se tiennent de somptueuses fêtes, semblent le décor rêvé des peintres du XVIIIème siècle galant : « La Mosson ! Une Cythère ! Et plaisirs sur plaisirs. »
Près des bords enchantés du Mont des trois Pucelles
Est un Palais superbe élevé par les Arts,
Où la paix, l’abondance et les sœurs immortelles
Loin du trouble des Cœurs et des horreurs de Mars,
De cent peuples divers attirent les regards ;
Sous les lois d’un mortel qui ne vit que pour elles,
Tout y rit, tout y plaît, tout y charme les yeux :
Il y rend tous les cœurs satisfaits de sa joie,
Et les plus doux plaisirs, d’une trame de soie,
Lui filent à l’envi des jours délicieux.
« L’été vient-il ? Bonnier se rappelle qu’il est marquis, marquis de la Mosson, marquis de la plus belle terre qui soit, et du coin de France où l’on s’amuse le plus cher et le plus haut. La Mosson ! une Cythere ! et plaisirs sur plaisirs.(…)
« C’était une de ces gracieuses résidences que le XVIIIe siècle avait marquées de son cachet si fin et si délicat« .
« Les réjouissances avaient leur grande part à la Mosson. Une salle était affectée aux pièces d’artifice, emblèmes, ornements pour les fêtes, qui se donnaient souvent la nuit sur la rivière, pendant le séjour du châtelain. L’on y voyait des toiles peintes, des drapeaux, l’un blanc et l’autre bleu, qui pavoisaient la gondole seigneuriale, et un pavillon en taffetas vert et blanc, frangé d’argent, sur lequel étaient brodées les armes de M. et Mme de la Mosson ; des écharpes en taffetas blanc, bordées d’argent, servaient les jours de fête locale. Mise en scène véritablement digne de tenter le pinceau de Boucher et qui donne bien l’idée d’un voyage à Cythère auquel, le plus souvent, rien ne devait manquer« .
(Grasset-Morel, Les Bonnier ou Une famille de financiers au dix-huitième siècle)






Dans un article du Journal des Débats politiques et littéraires, du 4 avril 1913, André Hallays a dressé un portrait mélancolique du Château de la Mosson en faisant revivre son hitoire.
La Mosson.. Ce n’est qu’une ruine, mais si expressive et elle est hantée par des fantômes si amusants !
Le château s’élevait au bord de la Mosson, une gentille petite rivière dont les bords sont encore, de loin en loin, plantés de quelques saules et de quelques peupliers. Jadis elle tra versait ici un parc et des jardins. Il n’y a plus ni parc, ni jardin ; il n’y a que des vignes.
Quelques-unes des constructions qui entouraient la première cour sont encore debout. Le large fossé qui précédait la cour d’honneur n’a pas été comblé. Quant au château même, ses deux ailes ont été abattues. Il ne reste plus que le corps central, qui présente un large balcon, un ordre corinthien et un fronton. L’autre façade, qui regardait les jardins, offre la forme d’une demi rotonde. Bien que mutilée et abandonnée, cette architecture conserve une grâce imprévue, au milieu des champs de vigne. Les terrasses qui entourent la maison portent encore des statues de nymphes et de fleuves mais rongées, cassées, décapitées. L’herbe n’a pas tout à fait disjoint les degrés des vastes escaliers par où l’on descendait vers les parterres. A l’intérieur du bâtiment, aujourd’hui transformé en cellier, on reconnait un vestibule et une vaste salle de fête qu’entoure une galerie, à la hauteur du premier étage : on y voit encore, sculptés au-dessus des ouvertures, des guirlandes et des masques.
A deux cents pas de la maison se dresse une de ces grandes fontaines, comme on en voit dans les villas italiennes, surtout aux environs de Gênes : une haute muraille enveloppe la scène d’un théâtre d’eau où des coquillages dessinent des pilastres, des arcades et toutes sortes d’ornements au milieu, une statue domine un amas de rochers d’où l’eau ruisselle en cascade pour remplir un petit bassin, et les lignes de la margelle répondent harmonieusement aux ligues du décor reflété. De chaque côté du motif principal, d’autres fontaines jaillissent du mur et tombent dans des vasques en forme de coquilles. Elle est maintenant bien délabrée, cette fine construction : la pierre des sculptures s’effrite ; des coquillages ont été arrachés ; les couleurs dont les parois étaient revêtues se sont effacées ; la végétation monte à l’assaut de la muraille. Et cependant, si dégradée qu’elle soit, la fontaine de la Mosson nous laisse entrevoir les magnificences des jardins disparus… Et tout de suite nous voulons voir pour qui fut créée cette féerie à jamais évanouie.
Cette fois notre curiosité est facile à satisfaire, car la chronique du temps n’est avare de détails ni sur la Mosson ni sur ceux qui l’habitèrent.
Il y avait, sous le règne de Louis XIV, un bourgeois de Montpellier, nommé Antoine Bonnier qui, tout comme M. Jourdain, avait coutume de donner du drap à ses amis et de recevoir en échange de bons écus sonnants. Il avait beaucoup d’amis et fit de bonnes affaires. Des envieux le traitaient de marchand drapier. Pour les réduira an silence, il acheta la charge de directeur des affaires du Roy.
Il mourut laissant une nombreuse postérité. Son fils ainé devint magistrat. Son fils cadet préféra la finance. Le vieux Penautier, trésorier de la Bourse des Etats du Languedoc, qui avait été un moment compromis dans l’affaire des poisons, voulut se défaire de sa charge. Joseph Bonnier, pour l’obtenir, compta 150,000 livres à Penautier et en avança 400,000 au trésor royal. La charge était de grande importance : le trésorier du Languedoc était le ministre des finances de la province. Bonnier accrut encore sa fortune par d’adroites, spéculations au temps du système. Il se fit bâtir une luxueuse maison à Montpellier dans le sombre quartier du Pas-Etroit, prit logement à Paris dans l’hôtel de Pomponne, place des Victoires, puis dans le magnifique hôtel du Lude, construit par de Cotte dans la rue Saint-Dominique ; enfin il acheta aux portes de Montpellier la terre de la Mosson pour s’y créer une résidence de campagne. Il fit raser un vieux castel à quatre tours qui s’élevait au bord de la rivière. Ensuite il chargea l’architecte Giral de bâtir un château et le peintre Raoux d’en décorer les appartements.
La première pierre fut posée au mois de juillet 1723 par « Messire Joseph Bonnier, baron de la Mosson, seigneur de Juvignac, Aussargues, Malbosc et autres lieux ». Trois ans après, les travaux n’étaient pas encore terminés, quand le baron de la Mosson mourut à Montpellier, victime d’un accident. On l’ensevelit dans un tombeau grandiose en marbre et en plomb doré, que lui-même s’était fait élever de son vivant par le sculpteur Dumont dans l’église des Récollets. On a dit qu’il avait été charitable et compatissant aux pauvres, mais les preuves qu’on en a données sont faibles. On possède une lettre de son évêque, Joachim Colbert, qui, au temps de la grande peste de Marseille, lui reprocha d’avoir fui le Languedoc, et lui réclama pour le diocèse un secours de cent cinquante mille écus. Or, comme on ne sait ce que le trésorier répondit, il est difficile de tenir sa générosité pour démontrée.
Son fils, qui, comme lui, se nommait Joseph, lui succéda. Celui-là avait gravi un nouvel échelon il était, à vingt-quatre ans, colonel des Dragons-Dauphin, un des plus beaux régiments de France. Malheureusement, la mort prématurée de son père l’obligea de briser son épée de retourner à la finance. Il administra donc à son tour la trésorerie du Languedoc. Sa fortune était énorme. Ses goûts étaient ceux de tous les parvenus de son temps. Il aimait très sincèrement les arts, pratiquait en amateur la peinture, la musique, la menuiserie et la serrurerie, connaissait le prix des beaux livres, fréquentait dans les coulisses, témoignait la plus tendre amitié à Thomassin, l’Arlequin de la Comédie italienne, et commanditait l’Opéra. Avec cela il avait payé cent cinquante mille livres le droit d’avoir un suisse à sa porte. Il acheva la Mosson. Il peupla les jardins de divinités et d’allégories et meubla les appartements avec un luxe extraordinaire. Un inventaire authentique énumère les tableaux, les Gobelins, les tables de marbre, les urnes du Japon, les glaces, les girandoles dispersés dans toutes les pièces du château. Ces royales beautés émerveillaient, quelques années plus tard, Lefranc de Pompignan voyageant dans le Midi de la France.
Ce fut dans cette belle maison qu’un jour Bonnier de la Mosson amena Mlle Petitpas, de l’Opéra. Il avait ravi cette personne sans rigueur, mais sans constance, au chanteur Jeliotte, amant passionné, jaloux, pauvre et fantasque. Il l’avait d’abord installée chez lui dans son hôtel de la rue Saint-Dominique, ne voulant point qu’elle parût désormais sur la scène ; puis il avait fait bâtir pour elle un pavillon merveilleux au fond de son jardin. Moncrif, l’auteur du poème des chats, avait, dit-on, miaulé l’épithalame. Mlle Petitpas s’ennuyait. M. de la Mosson devait se rendre en Languedoc pour remplir le devoir de sa charge et assister aux Etats qui, cette année-là (1735), se tenaient à Narbonne. Afin de distraire son amie, il décida qu’elle serait du voyage et prit avec lui, dans son carrosse, trois de ses vieux commensaux, rabâcheurs fastidieux et cyniques. Le train était magnifique, l’équipage somptueux, mais la jolie chanteuse mettait souvent le nez à la portière pour rire aux pages et aux laquais. Une fois parvenu la Mosson, le trésorier offrit à son idole des fêtes et des divertissements. Un poète fit une cantate pour célébrer ces beaux jours :
Près des bords enchantés du Mont des Trois Pucelles
Est un Palais superbe élevé par les Arts,
Où la paix, l’abondance et les sœurs immortelles,
Loin du trouble des cours et des horreurs de Mars,
De cent peuples divers attirent les regards ;
Sous les lois d’un mortel qui ne vit que pour elles,
Tout y rit, tout y plaît, tout y charme les yeux ;
Il y rend tous les cours satisfaits de sa joie,
Et les plus doux plaisirs, d’une trame de soie,
Lui filent à l’envi des jours délicieux.
Les délices durèrent peu. Un importun vint troubler l’idylle.
L’évêque Joachim Colbert, le même qui avait tancé le vieux Bonnier quand celui-ci s’était sauvé de Montpellier à l’annonce de la peste, habitait alors le château de Lavérune, proche de la Mosson. Un ordre du roi avait relégué dans cette maison l’intraitable jansoniste. Colbert apprit la présence de Mlle Petitpas chez son voisin. Lui qui avait exigé du cardinal-archevêque de Narbonne, Mgr de Bonzi, la rétractation solennelle de tous les scandales de sa vie, il n’était pas homme à tolérer qu’une fille d’opéra fût traitée comme une reine par le trésorier des Etats du Languedoc. Et voici la lettre que reçut M. de la Mosson le 17 nombre 1735 :
« Je ne puis, Monsieur, garder plus longtemps le silence sur un scandale qui demande de moi les remèdes les plus prompts et les plus efficaces. Le cri de la Mosson retentit de toutes parts. Personne n’ignore que vous avez amené de Paris une fille de l’Opéra, qui loge, qui mange, qui couche chez vous et qui reçoit toutes parts. Personne n’ignore que vous avez amené de Paris une fille de l’Opéra, qui loge, qui mange, qui couche chez vous et qui reçoit toutes les distinctions que recevrait une épouse légitime ; quand le vice se montre avec si peu de retenue, il n’est pas possible de ne le pas voir. L’évêque qui le souffrirait dans son diocèse attirerait sur soi la colère de Dieu et l’indignation. Je commence, Monsieur, à remplir les devoirs de mon ministère en m’adressant à vous dans le secret pour vous porter à rentrer en vous-même, à renvoyer la créature qui cause le scandale et à apaiser Dieu que vous offensez si publiquement. Je m’étonne que vous n’ayez pas vu que, venant aux Etats avec un pareil cortège, c’est offenser tous les évêques de la province. Il faut avoir d’eux une idée bien étonnante pour les croire capables de souffrir en vous une ignominie qui retomberait sur eux-mêmes. Je leur servirai d’interprète ; je serai leur langue. Tous disent déjà par ma bouche que vous fassiez finir un scandale qui n’a que trop duré. Vous êtes mon diocésain, je suis votre pasteur. Recevez, Monsieur, les avis que je vous donne dans le même esprit qu’ils vous sont donnés. L’intérêt de votre âme, l’édification de mon diocèse et la décharge de ma conscience sont les seuls motifs qui me portent à agir ; je suis très parfaitement… »
Quand il reçut cette lettre impérieuse et irréfutable, M. de la Mosson se rendit à Lavérune, promit qu’il ne conduirait pas la Petitpas à Narbonne et la renverrait les Etats finis. L’évêque insista pour qu’elle fût chassée sans délai, M. de la Mosson demanda vingt-quatre heures afin de se décider ; mais il laissa passer quelques jours et persista dans son péché ». Il se rendit à Narbonne, puis revint chez lui d’où la Petitpas n’était point sortie. Alors l’évêque le menaça des censures de l’Eglise : « Si vous ne craignez pas les jugements de Dieu, lui écrivit il, craignez au moins l’éclat que je vous annonce, ne mettez pas votre honneur dans ce qui fait notre confusion. Vos richesses ne pourront vous sauver ni de la colère de Dieu, ni de l’indignation des hommes ; plus vous différerez à vous soumettre, plus vous rendrez les esprits attentifs à vous. A la Cour, à Paris et dans tout le royaume, on ne parlera que du scandale que vous donnez ; et quel est l’homme qui osera se déclarer pour vous ?…
L’honnête et provincial janséniste nourrissait de grandes illusions : en 1735, la Cour, Paris et tout le royaume n’en étaient plus à s’indigner, parce qu’il plaisait à un financier de loger sa maitresse chez lui. La menace de l’excommunication n’en était pas moins propre à faire réfléchir un personnage haut placé, comme M. de la Mosson. Celui-ci prit le parti de décamper, mais non sans avoir décoché à l’évêque une lettre assez spirituellement tournée où il lui dénonçait les mauvaises mœurs du clergé dans le diocèse de Montpellier et qui se terminait ainsi : Je pars, encore un coup, pour aller habiter des climats plus doux et plus paisibles ; l’amour de la paix et de la tranquillité publique sont les seuls motifs qui m’y décident et non la crainte. Quand l’intérieur ne se lève pas contre nous, on ne doit pas craindre les foudres lancées injustement. Cette façon de penser ne vous est pas inconnue, (Impertinente allusion aux persécutions que le prélat avait souffertes à cause de ses opinions jansénistes.) Je finis donc en emportant, avec beaucoup de haine pour ce séjour, des sentiments cependant pleins de respect que je dois à votre caractère et avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc…
M. de la Mosson et Mile Petitpas déguerpirent nuitamment ; la belle fugitive portait un habit de cavalier. Ils allèrent à Narbonne et de là gagnèrent Paris, certains d’y trouver l’Eglise moins impitoyable que dans le Languedoc.
Mlle Petitpas remonta sur la scène et mourut en 1739. Alors M.de la Mosson prit femme ; mais le mariage n’était pas sa vocation : après quelques mois de vie conjugale, il retourna à l’0péra, et un certain abbé de la Coste, qui avait machiné le mariage de la Popelinière avec Mimi Dancourt et devait finir aux galères, se mit en quête d’une personne digne de remplacer la Petitpas ; il trouva la Dufresne, fille d’une blanchisseuse de Montmartre. M. de la Mosson en mourut à quarante-deux ans.
Il laissait une veuve et une fille en bas âge. La fille mourut neuf ans plus tard, la veuve se remaria. La fortune alla presque tout entière à cette extravagante duchesse de Chaulnes, sœur de Bonnier de la Mosson, qui, au dix-huitième siècle, étonna le monde par son esprit et ses frasques. Un an après la mort du châtelain commença la ruine du château de la Mosson : les glaces et les trumeaux furent enlevés. Puis la terre fut achetée par un magistrat besogneux qui fit argent des statues, des meubles et des pierres. La destruction de la maison et des jardins est bien antérieure à la Révolution. Quatre vases, quatre termes et quatre statues furent transportés à Nîmes et y décorèrent le jardin tracé autour de la Nymphée romaine…
La Ville de Montpellier, puis l’entité Montpellier Méditerranée Métropole ont heureusement engagé la restauration générale du domaine Bonnier de la Mosson, répartie sur divers programmes.
En collaboration avec les Monuments Historiques, l’architecte Yann Garnier a réalisé une reconstitution numérique du Château de La Mosson et de son domaine.
© Yann Garnier